Chapitre 4

8 minutes de lecture

On obligea Eustache à s’asseoir sur la fameuse chaise du « coupable », placée face au bureau du shérif. Il ne pensait plus à son genoux qui lui faisait pourtant terriblement mal. Les agents de la police n’hésitèrent pas à attacher ses poignets à la chaise car ils savaient que le garçon pouvait s’enfuir à tout moment. Le cœur palpitant, Eustache ne retrouvait plus son souffle tant il avait crié. Ses yeux reflétaient la peur et la panique roulaient dans leur orbite à la recherche d’une quelconque issue. Sonné, il ne voulait pas entendre les réprimandes du shérif et sa peine de prison. Tous ses membres tremblaient et tout ce à quoi il pensait était Mr. Conrad Beauvin : il se remémorait chaque wagon qu’il avait vu dans l’Oiseau Bleu pour tenter de se calmer, sans y parvenir.

Crispé, il déglutit fortement. Il voyait flou et il pensa qu’une éternité s’était écoulée avant que le shérif ne se penche vers lui pour attraper ses joues et l’obliger à le regarder. Tout ce qu’Eustache entendait était :

-Toi… Partir… Potence…

Il se débattit sans réellement savoir s’il hurlait ou pas. Il était horrifié, il ne voulait pas mourir, il ne voulait pas partir comme ça sans avoir dit adieu à Lizzie.

Son pouls se calma lorsqu’il se rappela la petite fille à laquelle il pensait si souvent. Il la revoyait mettre sa pièce dans sa housse et partir avec un sourire. Sa tête commença à tourner, il ne voyait plus rien. Ses yeux se fermèrent petit à petit jusqu’à ce que le noir l’envahisse. Pour la première fois de sa vie, Eustache faisait un malaise.

***

En se réveillant, il se trouvait allongé sur un sol de pierre froid et dur. Il sentit la fraîcheur l’envahir jusqu’à l’en faire trembler. Tout se mélangeait dans sa tête, il se souvenait parfaitement de pourquoi il était là. Il n’arrivait pas à se lever, la peine l’envahissant. En boule sur le sol, enfermé dans une minable prison, une petite larme coula le long de sa joue. Il n’avait pas souhaité que cela arrive, il n’avait pas choisit cette vie.

Il ne voulait penser à rien, juste tenter de vivre. Qui sait, peut-être que dans quelques heures il serait mort, pendu devant une centaine de personnes. Il avait réussit à vivre quatorze ans de sa vie, c’était déjà pas mal, se disait-il. Sa seule crainte était arrivée, il ne pouvait supporter l’idée de mourir alors qu’il était innocent. C’était son alto… Mon alto…

Il entendit des pas se rapprocher de sa cellule. Eustache ne fit pas un geste, trop engourdi par le froid et la crainte. Il leva à peine les yeux pour voir qui se trouvait de l’autre côté de la grille. Il ne parvenait pas à voir qui il y avait, il savait simplement que ce n’était pas le shérif. Une voix familière retentit :

-Lève-toi.

Eustache rêvait ou on lui donnait des ordres ? L’homme derrière la grille le répéta encore trois fois et c’est au bout de la troisième fois qu’Eustache reconnu la voix monsieur Beauvin.

-Aller, debout jeune homme.

Eustache leva la tête. La grille était grande ouverte et Mr. Beauvin l’attendait avec patience, les mains sur les hanches. Il insista en levant un sourcil :

-Hop hop, debout ! Tu préfères mourir ici ?

Eustache fit non de la tête. Il n’arrivait pas à parler, sa gorge étant trop nouée. Il posa une main sur le sol, tenta une première fois de se lever avant de retomber lourdement, ses membres étant trop ankylosés.

-Tu peux le faire, l’encouragea Conrad. Aller !

Eustache ferma les yeux, souffla un bout coup et reprit confiance. Lentement, il refit le même mouvement moins tremblant que la première fois. A quatre pattes, il réussit à tenir debout quelques instants avant qu’il ne retombe. Heureusement, étant gentil-homme, Conrad stoppa sa chute en le rattrapant.

-Aller, vient avec moi. Tiens, ajouta-t-il en lui mettant son pull-over gris sur ses épaules. Tu auras plus chaud comme ça.

Puis, ses grosses mains autour des épaules d’Eustache, il l’aida à marcher jusque dehors. Le garçon sentait à peine ses jambes, heureusement que le conducteur était là pour le maintenir. Son pull-over le réchauffait, il se sentait en sécurité avec lui.

Conrad l’assit sur une chaise et lui demanda de patienter. Eustache s’assit en remettant le pull correctement sur ses épaules. L’esprit ailleurs, son cerveau n’arrivait pas à capter ce qu’il se passait. Conrad attendit quelques instants avant qu’un policier ne vienne à lui. Le conducteur sortit une bonne douzaine de billets qu’il donna au policier. Ce dernier le remercia en penchant la tête et partit avec la somme d’argent. Quand Mr. Beauvin se retourna, Eustache avait les yeux ronds.

- C-Combien y av-avait-il ? murmura Eustache de sa voix rauque.

Conrad haussa des épaules avant de répondre :

-Presque deux cents francs… Mais ça ira. Viens, je te ramène au train.

-Quoi ?

Eustache reprit peu à peu ses esprits. Il venait de comprendre que Mr. Beauvin était venu le sortir de prison ! Il cligna des yeux presque aussi vite que son cœur battait. Une bouffée de gratitude envahit Eustache. Sa vue revint nettement et il ne tremblait plus. Il baissa la tête, confus de lui avoir fait payer une aussi grosse somme. Eustache se racla la gorge et remercia Conrad.

-Je t’ai dit que ça ira, sourit-il. Viens.

Eustache se releva et marcha aux côtés du conducteur, son pull-over toujours sur ses épaules. Ils marchèrent tous les deux dans un silence pesant. Eustache n’avait pas les mots, et Mr. Beauvin aussi visiblement. Il ne semblait pourtant pas le moins du monde perturbé ou énervé. Il restait stoïque, les mains dans son dos lui donnant un air plus sérieux, ses petits yeux noisettes fixaient droit devant lui. Pour rompre ce silence, Conrad ralentit le pas et posa une main sur l’épaule du garçon.

-Alors ? Que vas-tu faire mon garçon ? demanda-t-il.

Eustache s’arrêta et croisa son regard. Il n’hésita pas :

-Je n’ai pas trop le choix, souffla-t-il. Je… Je viens avec vous.

- Bien-sûr que tu as le choix ! s’étonna le plus vieux. Mais c’est une sage décision. J’ai dis au shérif que…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’Eustache se jeta derrière Conrad. Tremblant de peur, il chuchota :

-La police !

Intrigué, monsieur Beauvin éclata de rire. Deux policiers passaient devant eux en leur faisant un signe de tête aimable. Ils ne prêtèrent pas attention à Eustache qui tentait désespérément de se cacher derrière monsieur Beauvin.

-Mais voyons, tu n’as plus rien à craindre ! Tu es avec moi.

Il s’arrêta net dans sa phrase. Ce n’était pas vraiment ce qu’il voulait dire, c’était sorti tout seul. Eustache n’avait pas pris en compte qu’il était libre maintenant. Il s’était simplement planqué par habitude, chaque fois que la couleur bleue foncée de la police apparaissait, pour Eustache, il devait à tout prix trouver une cachette ou courir. Son cerveau avait enregistré ça, c’était instinctif. Il se redressa lentement et se racla la gorge. La douleur à son genoux revint, il se plia pour éviter de crier. Mr. Beauvin le regarda bizarrement puis il vit sa grosse cicatrice.

- Comment t’es-tu fais cela mon garçon ? s’étonna-t-il en se penchant à son tour.

-Tombé, grommela Eustache en se redressant.

-Mmh, ce n’est pas beau à voir. Il doit y avoir de quoi te soigner dans le train. Allons-y vite.

Eustache tenta d’oublier la douleur le reste du trajet. Mr Beauvin avait l’air inquiet, Eustache ne saurait dire s’il était inquiet pour son genoux ou de devoir garder un soit-disant « voleur » dans son train. Après une bonne dizaine de minutes de marche, ils arrivèrent enfin devant le train. Le visage grimaçant, Eustache suivit tant bien que mal le conducteur jusqu’au train et monta devant lui. Il s’assit sur un siège et attendit le conducteur.

L’intérieur du premier wagon était assez joli à voir : les sièges en soies bleues ornés de feuilles dorées étaient très confortable, deux lustres étaient majestueusement accrochés au plafond et les vitres étaient impeccablement bien nettoyées.

Mr. Beauvin revint aussi vite avec les soins nécessaires pour le garçon. Il déballa d’abord un désinfectant et un coton. Il mit le liquide sur le coton et avant de le tamponner sur sa blessure, il prévint le garçon :

-Ça va piquer.

Eustache se cramponna au tissu du fauteuil, prêt à ressentir la douleur. Avec délicatesse comme l’aurait fait une mère, Conrad passa le coton une bonne dizaine de fois avant de déclarer que c’était terminé. Eustache n’avait presque rien senti, il était juste choqué de voir un adulte s’occuper si bien de lui. Il ne l’avait pas quitté du regard et lorsque le conducteur comprit que le garçon n’en revenait pas, il rit aux éclats. Eustache fit un sourire en coin.

-Merci beaucoup m’sieur.

-Ne t’en fais pas. Je n’ai sans doute jamais aidé des cas comme toi, mais je suis ravi de le faire.

Eustache se leva en douceur et se gratta la nuque, gêné. Il aurait voulu lui faire un câlin mais le conducteur aurait-il accepté ? Eustache secoua la tête et finit par demander :

-Que fait-on ?

Mr. Beauvin haussa des épaules et sa moustache frémit. Il emmena Eustache là où il avait dormit et l’obligea à se reposer.

-Tu en as bien besoin, dit l’adulte. Quand tu seras réveillé, je serais dans la locomotive, d’accord ?

Eustache fit oui de la tête et s’allongea, plongeant immédiatement dans l’un de ses plus beaux rêves.

Conrad regardait la liste des passagers qui monteront à bord de l’Oiseau Bleu. Il soupira en comptant le nombre : 126 passagers. C’était beaucoup, heureusement que le train comportait autant de sièges et de lits. Il renifla et s’assit pour prendre conscience des circonstances dûes au garçon. Il ignorait son nom, ni d’où il venait et si son alto lui appartenait réellement. Il était certain qu’il ferait du bon travail, les clients seront ravis de voir du personnel plus jeune. Cependant, il doutait de ce qui allait suivre, si le garçon n’allait pas commettre une bêtise ou un vol. Il sourit rien qu’en y pensant.

-Il ne peut pas faire ça, murmura Conrad. Je l’ai accueilli… Soigné… Aidé…

-Monsieur, tout va bien ?

Monsieur Beauvin sursauta et se retourna. Monsieur Hund, le chef-porteur se tenait debout contre un siège, l’air inquiet. Le conducteur sourit bêtement et se leva pour lui taper l’épaule.

-Tout va bien mon cher… Tout va bien.

Monsieur Hund leva un sourcil, peu rassuré. Il sourit tout de même pour le rassurer et s’en alla à ses tâches. Conrad mit les mains sur ses hanches et baissa les yeux. « Que me réservera ce garçon… »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Nore_9 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0