Chapitre 3

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La chaleur réveilla Eustache qui n’avait jamais aussi bien dormi. Il avait oublié à quel point dormir dans un lit était agréable, sans être dérangé sans cesse par des voitures ou par le shérif. En ouvrant les yeux, il se trouvait dans un compartiment vide avec un simple lit rien que pour lui. Le soleil filtrait à travers la grande vitre qui donnait sur la Gare du Nord. Il se rappela qu’il ne devait pas traîner pour éviter de se faire attraper par le chef porteur. Eustache avait peur que s'il le croisait, ce dernier lui demanderait des tâches impossible à réaliser puisqu’il ne savait pas comment fonctionnait ce service.

Il eut beaucoup de mal à se lever car il ne voulait pas sortir de son lit bien chaud. Il se décida, au bout d’une dizaine de minutes, à se lever, s’habiller (car le chef de service lui avait passé un pyjamas !) et sortir enfin de se train. Sans bruit, il ouvrit la porte de son compartiment en oubliant de la refermer derrière lui. Il chercha la porte qui menait au dehors du train, mais chaque fois qu’il tirait sur celle-ci, elle ne s’ouvrait pas. Elles étaient toutes fermées à clef !

Eustache hésita un instant avant de repenser à la porte à l’arrière du train qui devait sans doute restée ouverte tout le temps. Il retourna sur ses talons avant d’être interpellé :

-Petit !

Il s’arrêta dans son geste et se retourna. Il soupira de soulagement en voyant Mr. Beauvin apparaître du fond du wagon. Il s’approcha d’Eustache et plissa les yeux.

-Que fais-tu ? lui demanda-t-il.

-Et bien… Je, je m’en vais monsieur. Vous savez, je ne suis pas censé être ici… balbutia Eustache en fixant le sol.

Mr. Beauvin leva un sourcil. Il regarda par l’une des fenêtres d’un compartiment, le regard dans le vide. Puis il finit par hausser les épaules et soupirer :

-Comme tu voudras. Va, vite ! Avant que le service ne te voie.

-Pourquoi ne doivent-ils pas me voir ? s’étonna Eustache.

Mr. Beauvin se pencha vers Eustache et murmura :

-Tu as signé des registres hier soir, n’est-ce pas ? Et bien, si tu ne le respecte pas…

Avec son index, il le passa sous son cou en faisant la grimace. Eustache comprit qu’il faisait référence à la potence, dans les pas de la mort.

-Mais, c’est tout bonnement ridicule ! protesta Eustache. Je ne pensais pas devoir rester ici toute ma vie… Je veux retourner chez moi.

Mr. Beauvin leva de nouveau un sourcil avant de soupirer. Il demanda à Eustache d’attendre un moment, le temps d’aller chercher les clefs. Une fois dans sa locomotive, lorsqu’il prit les clefs, il s’arrêta un instant sans réellement savoir pourquoi. Sa moustache frémit : Conrad Beauvin ne pouvait que se fier à sa moustache. Lorsque celle-ci frémissait, ce n’était pas toujours bon signe. Le conducteur avait un mauvais présage quant au futur du jeune homme s’il ne le surveillait pas.

Il regarda les clefs durant un long moment, puis se redressa. Il n’y avait pas de quoi s’alarmer après tout, ce garçon savait très bien ce qu’il faisait. Mais s’il faisait le moindre faux pas chez la police… Il retourna auprès du garçon, inséra la clef dans les portes coulissantes et les fit donc coulisser. Eustache ne perdit pas son temps en sautant sur le quai en s’écriant :

-Encore merci !

Conrad mit ses mains sur ses hanches et rit, tendu. Il se demandait bien ce qui allait arriver à ce pauvre jeune homme…

Eustache courait aussi vite qu’il le pouvait, loin de ce cauchemar. Mr. Beauvin lui avait donné la frousse avec cette histoire de registre ! Il ne voulait plus entendre parler de cette histoire, bien qu’il avait envie de la raconter à ces amis. Ils donneraient plus de respect à Eustache lorsqu’ils apprendraient qu’il avait pénétré un train pour la première fois.

Essoufflé, il s’arrêta au pied d’un poteau, le teint rougis par sa course matinale. Bien content d’être de retour dans ses rues, il se rappela devoir passer chez Mme. Wicht lui jouer un morceau d’alto. Alors, sans plus attendre, il courut à nouveau en direction de sa "maison". Il avait mal à son genoux mais il n'y prêtait pas attention : il voulait retrouver son alto.

***

Il fit son dernier vibrato avant de décrocher l’archet de ses cordes. Les yeux clos, il se remémora le morceau qu’il venait de jouer devant Mme. Wicht. Cette dernière n’avait cessé de sourire en entendant ce bel instrument. Elle reprit son souffle et applaudit. Fier de lui, Eustache lui lança un regard bienveillant.

-Bravo ! Bravo ! Je suis fière de toi, tu joues merveilleusement bien !

Elle tendit les bras pour donner un petit baiser sur la joue du jeune homme. Lui non plus ne pouvait décrocher son sourire de ses lèvres. Il aimait raviver la joie dans la pauvre vie de Mme. Wicht. Il l’aimait un peu comme une deuxième mère. C’était elle qui lui avait appris les gammes d’alto et à en jouer. Cette bonne femme était aux yeux d’Eustache une personne confiante et admirable.

Pendant qu’il rangeait son instrument, la vieille lui posa quelques questions.

-Alors, où étais-tu hier soir ? Où as-tu dormi ? Encore sous le pont ?

Eustache s’affaissa. Il n’avait pas envie de raconter son aventure maintenant. Mais peut-être était-ce plus raisonnable de lui en parler. Il ferma la housse d’alto et s’assit sur la chaise d’à côté. Il soupira et lança un regard qui ne voulait absolument rien dire à Mme. Wicht qui tentait de le comprendre. Elle fronça à peine les sourcils et s’inquiéta.

-J’ai passé la nuit dans l’Oiseau Bleu Lizzie, lâcha Eustache en se dandinant.

-Dans… Dans quoi ?

-L’Oiseau Bleu, répéta-t-il. Le train à la locomotive blanche.

Elle lâcha un petit « o » de surprise en fixant plus loin, derrière Eustache. Le regard pensif, elle se mit à sourire. Sans comprendre, Eustache sourit à son tour.

-A quoi pensez-vous Lizzie ? demanda-t-il gentiment.

-Et bien… Je pense à ton père, soupira-t-elle. Il était comme toi, passionné de locomotive et de trains… Tu sais, rajouta-t-elle en enrôlant un bras autour de ses épaules, à mon âge, plus rien ne m’étonne.

Eustache rit de bon coeur en entendant ces paroles. Puis il repensa au registre et au shérif, la prison et la potence… Il leva les yeux vers Mme. Wicht.

-Lizzie…

-Mmh ?

-Je…

Il ne se sentait pas réellement prêt à raconter son petit récit. Il se détacha de l’étreinte de Lizzie et fixa ses chaussures. Lizzie attendit patiemment, le doute s’installant en elle. Cette petite vieille connaissait Eustache et ses parents depuis sa naissance. Elle était cousine avec sa mère et elles s’entendaient très bien. Lizzie, à la mort des parents d’Eustache, prit la charge du garçon à partir de ses cinq ans. Bien sûr, son travaille l’empêchait de bien s’occuper de lui et de le loger, le garçon avait donc vite apprit à vivre dans la rue. Elle l’aimait comme un fils et ne pouvait le laisser à la police ou à l’orphelinat s’il se sentait bien comme ça.

Eustache inspira un bon coup, réfléchit par où commencer et se lança. Au fur et à mesure qu’il expliquait, Mme. Wicht plissait de plus en plus les yeux.

Son récit terminé, Eustache retint son souffle en attendant le jugement de Mme. Wicht. Celle-ci ne dit rien avant de se lever et de se diriger vers une armoire. Eustache ne bougea pas de sa place, silencieux comme un livre. Lizzie ouvrit un tiroir et en sortit une vieille pochette marron cuivrée, bordée de tissu noir. Elle le lui tendit avant de l’avertir :

-N’ouvre cette pochette qu’en cas urgent. En ce qui concerne ton fameux « voyage »…

Elle retourna à sa place et baissa la tête pour fixer le garçon. Elle sourit faiblement en annonçant :

-On n’a qu’un premier voyage dans une vie. Fais ce qui t’envie, la vie est un cadeau. Il ne faut pas la refuser.

Eustache sourit, les larmes aux yeux. Elle l’autorisait à partir loin d’elle, durant quelques semaines voir quelques mois. Il se pencha vers elle pour l’étreindre et la serra fort contre lui. Mme. Wicht fit de même et ils restèrent un long moment à se serrer sans rouvrir les yeux. Eustache lui-même ne savait pas s’il voulait y aller. Une partie de lui disait qu’un voyage gratuit ne se refusait pas. Mais quitter Paris voulait dire quitter tous ses repères, ses amis et sa « mère », tous ceux qu’il connaissait quoi.

Lorsqu’ils se desserrèrent, Mme. Wicht avait les larmes aux yeux. Eustache l’embrassa sur la joue avant de lui murmurer :

-Je verrais ce que je vais faire.

-Ne me déçois pas, mon grand, répondit-elle simplement.

Il se redressa, prit son alto et sortit de la maison en lui faisant de grands signes de la main. Heureusement qu’il n’était pas resté plus longtemps là-bas car la carrosserie des maîtres de Mme. Wicht rentrait déjà de son voyage. Il soupira en se disant que c’était peut-être la dernière fois du mois qu’il la voyait.

Il se pavanait dans les rues durant le reste de la journée, son instrument sur le dos. Il n’avait pas la tête à parler à qui que ce soit, il devait simplement réfléchir à ce fameux voyage à bord de l’Oiseau Bleu. Dans l’après-midi, ses amis avaient vite apprit par les jumeaux qu’il avait pénétré ce train et avaient insisté pour qu’il raconte comment cela était arrivé. Tout ce dont il avait dit était que le conducteur l’avait sauvé de la situation. Il ne leur avait pas parlé du registre ou du voyage.

Il s’assit sur un banc, la tête ailleurs quand il sentit deux paires de mains lui agripper les bras et les jambes. Eustache comprit instantanément qu’il était en danger. Alors qu’il allait se débattre, il sentit une autre main agripper son cou et ses cheveux.

-On te tient ! s’écria joyeusement le shérif.

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