Chapitre 1

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Monsieur Conrad Beauvin était un homme de très bonne classe. C'était un beau monsieur ayant la vingtaine qui aimait être organisé et surtout, surtout, il fallait que ses wagons-lits soient magnifiquement bien entretenus. Car oui, notre Beauvin tenait un train mais pas n'importe quel train : L’ Oiseau Bleu. Ce train avait pour trajet Paris-Belgique et plus précisément encore, Paris-Anvers. Anvers, jolie petite ville se situant au nord de la Belgique, le terminus de notre Oiseau Bleu. Mr.Beauvin venait justement de Belgique, il y avait vécu un long moment avant de partir faire ses études en France en tant que conducteur de train. Il aimait son métier et par dessus tout, son train.

Quand les Parisiens passaient devant, ils s'écriaient : « oh le bel oiseau bleu ! », ou bien « quel ravissant oiseau... » même ceux qui ne s'y connaissaient pas en train le connaissait lui. Surtout un jeune garçon au teint bronzé. Dès son jeune âge, il était fasciné par ce train qui n'était encore jamais parti de son garage. Du moins c'est ce qu'il avait vu. Il errait tous les jours dans la Gare du Nord de Paris, observant ce « bel oiseau ».

Ce petit garçon avait toujours rêvé de voyager en train. Il ne pouvait se permettre cela car il était pauvre, seul. Il n'avait plus de famille, simplement pour amis des petits chenapans comme lui mais plus âgés et Madame Wicht (qui se prononce « Vicht » et non « Ouicht »)qui faisait partie des vieilles bonnes de maison. Ils devaient voler pour se nourrir, se cacher pour se soigner et c'était chacun pour soi dans les pires moments.

Je vais vous le dire moi : ce n'est pas la belle vie ! Du moins, c'est ce que pensait la plupart des Parisiens aisés. Le petit garçon ne le pensait pas. Il disait qu'une vie de haute classe devait être d'un ennui! Et il insistait car il voyait la plupart des petites filles pleurer devant les vitrines des magasins de jouet ou soupirer d’ennui devant la fenêtre de leur balcon en sachant qu'elles ne pouvaient sortir... Le petit Eustache était bien content de vivre libre et seul même s'il versait quelques larmes la nuit en pensant à une vie avec un toit et plus d'amour dans un monde perdu.

Eustache était d'un vif que personne ne pouvait avoir. Il était assez beau garçon pour quelqu'un qui ne se préoccupait pas de lui tous les jours. Ces cheveux ors coupés courts se dressaient sur sa tête et les quelques mèches qui sont censées lui tomber sur le front lui donne une coupe à la Tintin. Son petit nez était en trompette comportant des taches de rousseurs qui atteignaient ses joues. Personne ne possédait ses magnifiques yeux bleus saphirs qui scintillaient même dans le noir. Enfin si, il tenait cela de ses parents et la plupart des Parisiens ayant connus ses parents disaient qu'il les tenait de sa mère alors le petit Eustache en était très fier. Enfin, petit petit, c'est un petit mot pour ce môme de 14 ans. Oui, notre cher Eustache fut né le 24 Janvier 1924 à minuit précise un jeudi.

Ce dernier se trouvait chez Madame Wicht, assis sur une chaise en paille dans un petit salon très peu illuminé par les quelques rayons de soleil qui parvenaient à peine à rentrer. Crispé, il attendait patiemment que Mme. Wicht soignait son pauvre genoux écorché par un cailloux. Alors qu'il se faisait courser par le shérif, il fut tombé et... vous voyez la suite. Il avait tout de même réussit à échapper au shérif, je vous le rassure.

Mme. Wicht trempa une énième fois son torchon dans la petite bassine d'eau qu'elle avait soigneusement apporté jusqu'ici, l’essora et tamponna le genoux ensanglanté d'Eustache. Celui-ci la regardait faire. Pour rompre le silence qui régnait entre eux, Mme Wicht demanda de sa voix douce :

-Où est ton alto ? J'aimerais que tu m'en joues un peu.

-Je l'ai laissé à Paulo car il voulait le montrer à ses amis.

-Quel dommage... soupira Mme. Wicht en se redressant. Bon, j'espère que ça ira mieux. Dis-moi si ça change demain d'accord ? enchaîna-t-elle en se levant. Mes maîtres ne rentreront pas avant dix-neuf heures, tu auras toute la journée pour venir me voir si tu le souhaites.

-Oh, ce serait avec plaisir Madame Wicht, répondit joyeusement Eustache en prenant la bassine. Je vous jouerait un petit air, c'est promis !

Mme. Wicht se mit à rire et alla étendre son torchon dehors tandis que Eustache vidait l'eau dans la ruelle qui menait à la gare.

Hé oui, notre cher Eustache jouait de l'alto et pas n'importe quel alto ! Il s'avérait être celui de son père mais Eustache avait des doutes car il avait déniché quelques partitions dans son ancienne maison familiale, celle de son papy qui se trouvait un peu plus haut dans Paris. Mais son père avait sans doute hérité de l'instrument.

Quand la vieille revint dans la maison, Eustache était déjà parti. "Je me demande si ce n'est pas le vent qui m'envoie se jeune homme" se moqua intérieurement Mme. Wicht.

Eustache se dirigea instinctivement vers la gare. Elle n'était pas très loin de chez Wicht et fort heureusement pour lui, ses amis avaient aussi pris l'habitude d'aller là-bas une fois leurs tâches terminée. Ils se retrouvaient souvent le matin juste avant l'heure du repas pour voir ce que les autres avaient à se mettre sous la dent. C'était pour ça que Eustache c'était fait choppé dans la ruelle un peu plus bas au marché. Il voulait prendre un sandwich à la française et fort heureusement pour lui, il avait réussit à garder sa nourriture intact dans la poche secrète de son veston en tissu marron moutarde. Il portait en dessous une chemise blanche bouffante et un pantalon à bretelle noir, taché. Bien sûr, Eustache n'était pas recherché pour rien : on l'accusait avoir volé l'alto au luthier du coin. Ce qui était faux bien évidemment puisque ce luthier n'avait jamais vu cet alto et il serait incapable de reproduire cet alto car il avait une particularité, et cette particularité, seul Eustache pouvait expliquer ce que c'était.

-Si si, je t'assure ! assurait-il à ses copains. Regarde, si tu observes bien le chevalet, les petits trous sur les côtés ne ressemblent pas à des cœurs mais à des ailes d'oiseau. Et quand je joue, j'ai l'impression que ces petites ailes battent pour s'envoler...

Mais ça, personne ne le voyait. Eustache était le seul maître de l'art dans la musique et lui seul pouvait comprendre son instrument.

Pour calmer ses nerfs à la joie de retrouver son instrument, il s'assit enfin sur un banc de la gare et attendit ses amis. Il en profita donc pour commencer son sandwich. Il n'était pas succulent, mais c'était la meilleure chose de la semaine qu'il put avoir.

La gare était moins bondée de monde puisqu'ils étaient un dimanche. Il y avait quelques hommes d'affaires pour empocher sans doute un milliard de francs, ou encore des militaires se préparant à partir rejoindre ses compatriotes. Il y avait aussi les conducteurs de train ici et là qui faisaient leur ronde matinale voir digestible. Ce que Eustache remarquait, c'était surtout un monsieur un peu rond à la belle moustache brune qu'il entretenait si bien. Ses petits yeux bleus ciels scrutaient les environs avec tant de sévérité que le garçon se demandait de quoi il avait peur. Il savait simplement qu'il était maître du fameux Oiseau Bleu.

Eustache était dans une gare à cinq voie ferrée : l'une partant pour la Belgique, l'autre pour l'Allemagne, et une partant pour le Luxembourg. Les deux autres servaient simplement à faire traverser le pays.

Un petit vent matinale se levait dans la Gare du Nord faisant vire-volter les quelques feuilles mortes de l'été. Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages, menaçant de faire tomber quelques goûtes de pluies. Les jambes ballantes, Eustache avait finit son sandwich que sa petite troupe arriva. Il sourit à leur arrivée en se levant.

Le premier qui sortit de sa cachette fut Paulo. Lui avait un an de plus que Eustache et était de sang Belge. Il avait un fort accent allemand mais parlait très bien le français. Ses cheveux couleur jais reflétaient à la lumière du soleil en lui donnant un air sinistre.

Le deuxième était Marty. Très costaud, il ne pensait qu'à la bagarre et faisait tomber raides amoureuses toutes les minettes de seconde classe. C'était un peu le "beau gosse" de la bande bien qu'il soit aussi le protecteur. Il était le plus vieux de leur bande.

Les deux derniers étaient des jumeaux : Adrien et Emmanuel. Deux inséparables qui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. La seule différence qu'ils avaient, était que l'un avait les yeux amandes de sa mère et l'autre les yeux aussi noirs que ceux de son père. À part ça, ils avaient les mêmes cheveux bruns presque roux et le même nez grec de leur grand-père.

Ils avaient créé cette bande en souvenir de leurs parents morts, pour haïr tous ceux qui refusaient de les aider. Il n'y avait que Paulo auquel ses parents n'étaient pas morts, ils l'avaient juste abandonné à ses trois ans dans un orphelinat en Belgique. Il avait grandit que quelques années là-bas avant de s'enfuir prendre le train pour l'emmener loin en France. Il fut le premier à rencontrer Eustache qui lui, par je-ne-sais quel miracle, survécu aux intempéries des pauvres rues qui s'offraient à lui.

-Hey, comment va notre cher Eustache ? s'exclama brutalement Marty en lui donnant une grande tape sur l'épaule.

Eustache se frotta l'épaule et sourit.

-Moi ça roule. J'ai réussi à dénicher un sandwich chez Tommy. Je viens de le manger.

-Parfait ! enchaîna Adrien en tapant dans ses mains. Ça vous dit le bar de Nord ? Tu pourras jouer un peu de ton instrument Eustache, tu nous feras de l'argent.

-Tu es sûr que ça marchera cette fois ? questionna ce dernier.

Eustache était peu sûr de lui car la dernière fois, les jumeaux les avaient emmener dans un pub Irlandais, Eustache avait joué de son alto pour impressionner ces derniers mais au lieu de gagner de l'argent, il gagna la sortie ! Depuis cet incident, Eustache avait refusé de rejouer en publique avant un moment.

Adrien hocha vigoureusement de la tête en souriant bêtement. Eustache soupira et se tourna vers Paulo qui n'avait rien dit depuis le début.

-Où est mon alto ?

Paulo était un grand garçon qui ne parlait pas beaucoup. Il regarda autour de lui, se cacha un instant derrière le banc sur lequel il était assis et en sorti l'étui. Eustache le remercia du regard, ouvrit l'étui et regarda si tout était bien en ordre. Son archet, son alto, sa colophane... tout y était, pas de quoi s'alarmer.

-Qu'en ont pensé tes amis ? continua Eustache en refermant l'étui.

-Oh, ils ont été très contents. Ils trouvaient ça fantastique que tu jouais d'un tel instrument.

Eustache rit et la petite troupe suivit Adrien jusque dans le bar indiqué. Lorsqu'ils entrèrent, un pianiste jouait déjà sa première suite dans une ambiance posée. Marty qui était le plus grand, s'occupa de prendre une table et de commander quelques boissons. Eustache s'assit entre Emmanuel et Paulo, attendit que ses amis le pousse pour aller jouer avec le pianiste et se lança. Il sortit son instrument et alla se mettre debout à côté du pianiste. Celui-ci ne fit même pas attention au garçon et continua sa suite. Eustache souffla un bon coup, prit le rythme du pianiste et se lança.

Ses doigts pinçaient les cordes avec prestance, son archet frottait avec délicatesse les quelques cordes. Il ferma les yeux pour bien jouer en même temps que le pianiste sans fausses notes. Il se laissa emporter et son corps bougeait en rythme de la musique. Un souvenir lointain de lui et ses amis revint dans sa tête et il se mit à sourire bêtement.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, tout le bar le regardait avec de grands yeux. Eustache s'arrêta dans son geste, paralysé. Même le pianiste s'était arrêté de jouer. Puis, il y eut un clappement de main, puis deux, puis trois et toute la salle applaudit. Il tourna lentement la tête vers le pianiste en pensant qu'il serait furieux de lui avoir volé la vedette. Au contraire, il souriait lui aussi et applaudissait en s'écriant :

-Bravo mon garçon ! Tu joues incroyablement bien !

-M-Merci, balbutia Eustache dont le cœur battait la chamade.

Stressé, il se pencha pour saluer et se redressa. Quelques hommes partirent du bar en mettant une petite pièce dans son étui pour le féliciter. Eustache se remit à jouer mais cette fois-ci seul. Le pianiste céda sa place en allant rejoindre ses vieux compères un peu plus loin pour commenter sur le petit Eustache.

Quelques minutes après, alors qu'il jouait son morceau favoris de Mozart, il vit une magnifique fille aux cheveux de jais lui balancer quelques pièces dans son étui. Ses yeux étaient rivés sur les siens qui étaient verts chat. Sa magnifique robe bleue lavande disait qu'elle était de famille riche. En se relevant pour regarder l'altiste, elle sourit et le regarda un instant jouer avant que son père ou son valet ne l'appelle. Eustache ne décrochait plus son regard d'elle. Il enviait sa magnifique peau blanche et son sourire charmeur. Alors qu'il allait la rattraper, ses amis vinrent l'entourer le féliciter pour ses morceaux.

Eustache soupira d'agacement en ayant perdu de vu cette belle petite fille. De toute évidence, quelle importance ? Même s'il avait essayé de lui parler, jamais les adultes qui l'entourait ne lui aurait permis de la voir. Il se dit qu'il valait mieux l'oublier. Ce n'était qu'une simple fille riche qui ne se préoccupait nullement des pauvres.

Il demanda à ses amis de sortir pour qu'il puisse ranger tranquillement. Alors qu'il mettait l'archet dans son étui, il entendit des pas de jeune fille s'approcher de lui puis une tête brune se pencha avec un grand sourire.

-Coucou !

Eustache sursauta en manquant de hurler. Il reconnu la fille de tout à l'heure ! Elle lui sortit son plus beau des sourires tout en se redressant.

-Je suis venue voir ton violon... puis-je ?

-J-Je, oui bien sûr ! bégaya Eustache. Mais attention, ce n'est pas un violon, c'est un alto.

-Oh, excusez-moi, je croyais que...

-Oui c'est normal, expliqua-t-il. Mais comme vous pouvez le voir, l'alto est plus gros et plus grand qu'un violon.

-Je me disais bien qu'il sonnait différemment. Puis-je ? ajouta-t-elle en tendant la main vers l'alto.

-Oui, bien sûr.
Il tendit son instrument en avant pour qu'elle puisse le toucher. Du bout de ses doigts fins, elle touchait la surface lisse de l'alto. Ses yeux émerveillés ne se décrochaient pas de l'instrument qu'elle touchait enfin.

Une voix d'adulte se fit entendre du haut des escaliers qui menaient dehors :

-Mademoiselle ! Votre voiture est prête.

-J'arrive tout de suite, Edgar, répondit la fille.

Eustache ne disait rien, paralysé. Il observait simplement la beauté de cette petite fille. Elle devait à peu près avoir son âge, pas plus. Ses cheveux couleur jais étaient attaché en couronne de nattes à l'aide d'une fleur.

-Mademoiselle ! insista son valet.

-J'arrive ! s'agaça-t-elle.

Elle se redressa, sourit au petit Eustache et s'en alla sans un mot de plus. Eustache ne la quitta pas des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse dehors. Il aurait tant aimé parler plus avec elle mais il était paralysé par une émotion qui montait et descendait en lui. Son alto contre lui dans une main, l'archet dans l'autre, il revoyait encore cette fille monter majestueusement ces marches avant de disparaître et revenir en boucle en bas des marches.

Eustache secoua la tête. Tout cela était absurde. C'était la première et la dernière fois qu'il la voyait, pourquoi s'en soucier ?

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