Fin de partie [4/4]

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  N’ayant rien de mieux à faire, et bienheureux de ne pas encore être de corvée de réparation, l'assassin suivit sa supérieure et l’épaula dans cette nouvelle entreprise. Ils passèrent par des couloirs secrets qui étaient un vrai dédale.

  En chemin, Xaan entendit un brouhaha de voix entremêlées. Ils n'étaient pas si loin de l'espace où étaient retenus les Descendants. L'assassin l'interrogea sur leur position. Santhià lui répondit vaguement, puis s’arrêta finalement quelques pas devant lui. Elle actionna une ouverture magique pour quitter le passage. Talin s’extasia brièvement du lieu dans lequel ils venaient d’entrer. C’était une immense salle entourée de hautes meurtrières. Hormis le chemin qu’ils venaient d’emprunter, il n’y avait aucun accès visible. La tour était vraiment des plus étranges.

  Santhià croisa son regard ébahi et un sourire détendit son visage sévère.

 « On dirait un enfant qui découvre un trésor. »

  Cette réflexion piqua l’assassin qui reprit son expression fermée. Il l’interrogea ensuite sur cette salle et ses particularités. Santhià lui raconta qu’ils étaient dans un espace vierge et qu’ainsi ils pouvaient y aménager ce dont ils avaient besoin.

 « Et de quoi avons-nous besoin ?

 — D’un assortiment de chambres et d’appartements, dans lequel vivront tous les Descendants et leurs Boucliers pour une durée indéterminée.

 — Tu sais que cela m’inclut ? »

  Le sourire taquin qu’elle lui adressa lui donna la chair de poule.

 « J’y compte bien ! Qui pourrais-je charger d'espionnage sinon ?

 — Ne me dis pas que je vais devoir jouer au gardien de dortoir !

 — Je suis certaine que tu t’en sortiras très bien ! »

  Il étouffa un juron avant de suivre ses directives concernant l'aménagement des chambres. Les lieux se modifièrent avec une facilité déconcertante. En un tour de bras, ce fut terminé. Chaque Boucliers, chaque Descendants allait avoir sa pièce personnelle, aménagée selon ses goûts. Il ne restait plus qu’à aller chercher les locataires.

 « Dans quel état d'esprit sont-ils d’après toi ? osa-t-il lui demander.

 — Ils vont être méfiants. Les deux ambassadrices ne sont pas des plus charmantes quand elles sont en colère. L'arguenne et le médecin sont ici depuis longtemps. Ils savent comment cela fonctionne. Certains feront semblant d'être coopératifs. J’ignore quelle pourrait être la réaction des nouveaux membres.

 — Offre-leur un joli sourire. Tu parviendras peut-être à les séduire.

 — Tu te moques... Une chance que je t’apprécie, Talin. »

  Il sourit pour faire bonne figure pendant que Santhià se rapprochait du mur. Elle traça des runes magiques qui formèrent une porte. Xaan s'approcha et décrypta les symboles en s'émerveillant de sa maîtrise.

 « Une porte à sens unique. Intelligent.

 — Les compliments sont toujours appréciés. »

  Talin se mit à rire doucement. Santhià termina son travail puis se déhancha, une main sur la taille, en fixant l'assassin. Il n'aima pas son sourire en coin. Qu'est-ce qu'elle attendait de lui ? Il pencha la tête et l'interrogea sur la suite.

 « Il faut que tu les rejoignes et que tu subisses le même sort qu'eux.

 — Le même sort, c'est à dire ?

 — Téléporte-toi dans ta cellule, fais mine de te réveiller, puis discute un peu avec eux. Je ne peux pas t'en dire plus. L'arguenne risquerait de comprendre.

 — Je sens que je ne vais pas aimer.

 — Ce ne sera rien de bien méchant, rassure-toi.

 — C'est encore moins rassurant. »

  Santhià lui donna le signal du départ et Xaan exécuta les consignes. Il retourna dans sa cellule, en sortit en jouant la comédie, puis rejoignit les autres qui commençaient à faire connaissance.

  Son arrivée fit quelques remous. Xaan fut interrogé comme un criminel. Aurait-il trop tarder avec la lamie ? L'arrivée encore plus tardive de Yugh Wolfgang lui sauva la mise et les esprits s'apaisèrent un peu ; tout le monde se souvenait de l'acharnement de l'arkien contre ses barreaux. L'enfermement les avait chamboulés. Aux mines défaites de certains, plus que bouleversés même. Lola Thouve ne cessait de pleurer dans les bras de Suna Rosales, tandis que le médecin interrogeait chacun pour savoir si tout allait bien.

  L'assassin agit naturellement avec ses camarades, participa au débat naissant sur la conduite à tenir, puis un sifflement étrange attira l'attention de tous. Une étrange brume orange se répandait dans la pièce par le sol. Les épaisses volutes de fumées envahirent rapidement l'air et il suffit de quelques respirations pour que tout le groupe s'écroule sans avoir eut le temps de réagir. Xaan ne parvint pas à identifier la substance. Il s'évanouit comme les autres et se réveilla avec une gueule de bois monumentale et un étrange bracelet au poignet.

  En sentant le métal froid contre sa peau, Xaan leva le bras pour étudier cette nouveauté dérangeante. Est-ce qu'il s'agissait d'un traceur, ou pire, d'un bloqueur de magie ? L'un comme l'autre serait logique étant donné sa situation, mais pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ? Xaan referma les yeux, tendit l'oreille. Il perçut des bruits de voix lointains. Soit sa chambre était très bien isolée, soit ses camarades ne parlaient pas très fort, soit un peu des deux.

  Il n'y prêta soudain plus aucune attention. Il avait rouvert les yeux et son sang n’avait fait qu’un tour. Il se trouvait dans une chambre aux murs d'argile rouge. Il crut soudain être revenu à Zorta, pendant ses années d'entraînement pour devenir maître-assassin et son cœur s’emballa. De mauvais souvenirs refirent surface, le rendirent paranoïaque. Tous ses muscles se tendirent. Xaan devint nerveux. Attentif au moindre mouvement, l’œil aux aguets, il s'assit vivement sur sa couche et le monde tourna comme un manège. Il porta ses mains à sa tête en tâchant de rassembler ses esprits.

 « Pas le moment de flancher ! Ça va passer. »

  Le son de sa propre voix lui parut étrange. Sa gorge était comme du parchemin, l'intérieur de son nez le brûlait. Il avait conscience de la sensation depuis son réveil, néanmoins à présent il lui était impossible de ne plus y penser. Qu'est-ce qu'ils avaient inhalé ? Cela devait être un mélange assez complexe pour être efficace contre toutes les races présentes. Avaient-ils été déposés dans les logements qu'il avait aménagé avec la lamie ? Il n'y avait qu'une solution pour le savoir : quitter la chambre.

  Xaan pivota avec précaution pour s'assurer que les vertiges ne le faucheraient pas, puis il posa les pieds par terre et se leva. Il le regretta aussitôt. Tout se remit à tourner dans la chambre. Xaan se laissa retomber en arrière le temps que tout se stabilise et soupira, assis au bord de sa couche. Soit il mollissait, soit la Milice n'y était vraiment pas allée de main morte sur le dosage. L'autre hypothèse, c'était qu'il n'y avait pas que des soporifiques dans le mélange de drogues.

  Quoi qu'il en soit, il fallait aller de l'avant. Xaan se rendit compte qu'il était seul dans la pièce et il soupira de soulagement. L'absence de colocataire le rassurait. Si la compagnie des autres lui pesait, il serait en mesure de s'isoler pour ne pas être tenté d'en étriper un ou deux. Il fallait être honnête, Xaan avait déjà côtoyé ses camarades pendant les cours. Il savait pertinemment que vivre dans un lieu clos avec certains d'entre eux allait lui taper sur le système. Comme s'il n'avait pas déjà suffisamment de pression sur les épaules.

  Mais qu'est-ce qu'il était venu faire dans cette galère ? Est-ce qu'un jour la vieille carne le libérerait de sa dette ? Il aurait mieux fait d'abréger ses soucis dès le début en refusant de coopérer. Il aurait probablement eu une mort rapide. Du moins, il l'espérait. À présent, il était engagé dans un engrenage dangereux. Il avait l’impression de jouer plusieurs rôles. Et s'il ne répondait pas aux bonnes exigences au bon moment ? Pouvait-il être l’assassin, le champion des sélections, le milicien et lui-même ?

  L'agitation de ses pensées ne fit qu'accentuer la soif qui le torturait depuis qu'il avait parlé. Xaan ignorait combien de temps s'était écoulé depuis la brume orange. Il faisait clair par la fenêtre, cela faisait-il des heures ou des jours ? Son corps se rappelait à lui, de plus en plus pressant. Il était assoiffé, affamé, déshydraté. Xaan fit de gros efforts et se rassit en affrontant ses vertiges. Il repéra une carafe sur une table basse entourée de coussins colorés et remercia les dieux pour ce présent inespéré. Sans méfiance, il s'y dirigea, se laissa tombé à genoux sur le tapis et saisit la carafe à deux mains. Il but l'intégralité du récipient presque d'une traite. Comme l'eau du puits avec Hevlaska.

  Un goût amer resta sur sa langue après l’absorption du liquide et Xaan jura tout en se traitant d'idiot. À coup sûr, l'eau était droguée. Il était bêtement tombé dans le piège. Cela avait été une très mauvaise idée de se croire en sécurité. Il sombra derechef dans l’inconscience en tombant sur le côté. Il avait voulu rejoindre sa couche avant de s'évanouir. Il n'y était pas parvenu à temps.

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