La princesse bleue [3/4]

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  Zoann pansa la blessure de Roman afin d'éviter les complications puis prit un milicien sur chaque épaule. Il traversa ensuite Joviel en essayant de ne pas s'arrêter sur les cadavres des soldats qui avaient tous, sans exception, perdu leurs yeux. Est-ce que Xaan Talin était responsable de ce carnage ? Zoann préféra ne pas y penser et se mit à courir. Le poids supplémentaire ne ralentit pas le fils des montagnes. Son endurance était digne de son sang de géant et son sens de l'orientation n'avait rien à envier au champion des sélections de Saltar. Zoann arriva à San Mario, comme il était initialement prévu, à la fin de l'après-midi.

   Malheureusement, il était trop tard. La plupart des maisons avaient été incendiées. Seuls les murs de pierre demeuraient vaillamment debout. Les charpentes s’étaient écroulées, les toits avaient partiellement ou totalement brûlé. Comme dans la première bourgade, les habitants étaient entassés comme du bétail, égorgés, éviscérés ou trépanés. Hommes, femmes et enfants sans distinction.

  Devant tant d’horreur, ce fut la mine grave que Zoann installa ses compagnons dans une zone relativement épargnée par les traînées de sang. Il posa ses affaires à côté d'eux puis explora le village. Trouveraient-ils la fille ? Plus il visitait de ruines, plus il perdait espoir. Comment aurait-elle pu survivre ? Les soldats s’étaient montrés méthodiques. Aucun bâtiment n’avait été épargné. Rien ne laissait supposer qu’il existait des cachettes dans les murs, pas plus que sous les planchers. Zoann se posa finalement sur les marches du temple, épargné par miracle ou par peur d'une malédiction divine, et se passa la main sur le visage. Il n’aurait jamais cru possible d’assister de son vivant à un tel carnage. Il avait envie de pleurer. Tous ces gens morts pour rien. Même s'il était un combattant, Zoann n'avait jamais connu la guerre dans son pays. Il soupira et se frotta les yeux.

  Quand il les rouvrit, une couleuvre lui passait sur les pieds. Zoann sursauta et l'esquiva par réflexe. L’animal ne lui accorda pas un regard et continua sa route. Comme d’autres reptiles de la même espèce, il se dirigeait vers l’extérieur du village. Poussé par la curiosité, le jeune homme les suivit jusqu’à une sorte de nid à l’arrière d’une porcherie. Parmi des débris de tonneaux, des serpents de toute couleur s’entortillaient et se regroupaient autour d’un petit être recroquevillé. Trois soldats étaient étendus à côté, livides et couverts de morsures boursouflées.

  Paniqué à l’idée que les serpents soient en train de tuer un survivant au massacre, Zoann se précipita et dégagea une petite fille aux cheveux bleu azur. Aussitôt la gamine entre ses bras, les reptiles se dispersèrent dans la nature. Passée la surprise d'un tel comportement, il reposa les yeux sur la miraculée et constata qu’elle n’avait pas une égratignure. Elle avait les cheveux bleus, comme leur cible. Il n'avait aperçu aucun villageois avec ce signe distinctif. Zoann pria donc pour que ce soit bien la personne qu'ils fussent venus chercher. lI la transporta avec délicatesse jusqu’à l’endroit où ses compagnons émergeaient douloureusement de leur sieste improvisée et sortit sa couverture pour l’envelopper chaudement. La fillette dormait profondément. Ses compagnons grognèrent en s'éveillant.

 « Tu l’as trouvée où ? s’enquit Talin en frottant la bosse qu'il avait sur la tête.

 — À l’écart du village. »

  Il n’en dirait pas plus tant qu’elle ne se serait pas éveillée. Zoann confia à l’assassin le soin de la surveiller le temps qu’il aille chercher de quoi faire un feu. Roman grogna qu’ils ne pouvaient pas s’attarder. Le bagrilien l’ignora et s’occupa de la fabrication d’un foyer de fortune et d’un repas comestible. En définitive, ils s’installèrent pour camper, bien que le soleil ne soit pas encore couché.

  Alors qu’ils se nourrissaient de ce qu'ils avaient pu trouver dans les environs, la fillette ouvrit les yeux et se redressa en voyant qu’elle était en compagnie de trois étrangers. Sans crier, elle se dépêtra de sa couverture et recula jusqu’à se retrouver dos au mur. Visiblement apeurée, elle garda tout de même son sang-froid et les questionna :

 « Qui êtes-vous ? »

  Xaan fit signe à Zoann d’ouvrir le bal puisque c’était lui qui l’avait trouvée. Roman ne fit aucun commentaire trop occupé à démembrer sa volaille. Le bagrilien, malgré sa grande taille, fit le tour du feu et s’approcha doucement de la petite. Elle n’avait pas quinze ans, peut-être même était-elle plus jeune encore. Il était assez mauvais juge, il devait l’avouer. Zoann lui sourit, posa la main sur son torse et fit les présentations d'une voix douce et chaleureuse.

 « Je m’appelle Zoann Vulcain. Derrière moi, il y a Xaan Talin. Et là en train de s’empiffrer c’est Blondie. Comment tu t’appelles ?

 — Lyra.»

  Elle les fixa tour à tour, pendant que Roman s'étouffait suite à la présentation de son camarade, puis elle regarda Zoann dans les yeux.

 « Vous n’êtes pas d’ici et vous ne ressemblez pas aux hommes qui nous ont attaqués.

 — Qu’est-ce qui t’a mis sur la voie, gamine ? railla Roman la bouche pleine.

 — Vous ne m’avez pas tuée.

 — Elle est intelligente, déclara Xaan en fouillant dans son sac.

 — Ne t'inquiète pas, reprit Zoann avec bienveillance. Nous sommes venus te chercher.

 — Me chercher ? Pourquoi ?»

  Elle dut penser à quelque chose en particulier parce qu'elle eut soudainement l'air paniquée et se leva vivement pour prendre la fuite. Zoann s'élança immédiatement après elle en tentant de la rassurer.

 « Attends, Lyra ! On ne te veut aucun mal ! »

  Xaan se leva pour prendre part à la course-poursuite. Même si la gamine connaissait les lieux par cœur, elle était minuscule à côté du géant. Il lui suffit de quelques enjambées pour combler la distance. Toutefois, elle lui fila entre les doigts comme une anguille. Lyra était vive et agile. Elle n'avait aucune intention de se laisser attraper.

  Voyant que le bagrilien avait manqué son coup, Xaan se téléporta devant la fillette et l'arrêta de son corps. Lyra percuta l'assassin et tomba en arrière. Il l'attrapa aussitôt par le bras pour ne pas qu'elle s'échappe de nouveau. Il la tint fermement, bien que sans violence et Zoann les rejoignit tranquillement. Il s'agenouilla devant eux, posa les mains sur ses cuisses et regarda Lyra dans les yeux.

 « Je sens que tu es assez douée pour savoir si je te mens. Écoute-moi, je t'en prie. Nous ne sommes pas là pour te faire du mal. On nous a demandé de te protéger. Nous sommes malheureusement arrivés trop tard. J'ai eu très peur en voyant ce qu'il s'était passé dans ton village. Mais je t'ai trouvée saine et sauve au milieu d'un nid de serpent. Est-ce que tu sais pourquoi ils ne t'ont fait aucun mal ? »

  Lyra percevait la sincérité du géant et hocha lentement la tête. Peut-être était-elle disposée à lui accorder un peu de sa confiance. Elle raconta alors ce qu'il lui était arrivé près de la porcherie.

 « Les serpents sont mes amis. Quand j'ai vu les soldats, j'ai compris qu'il fallait que je me cache. J'ai voulu entrer dans un tonneau mais l'un des hommes m'a vu. Après cela... »

  Lyra se tut et pencha légèrement la tête sur le côté. Quand elle avait senti qu'elle ne pourrait pas échapper aux soldats, elle avait prié pour que l'on vienne à son secours. Les gens hurlait dans le bourg. D'autres tentaient de fuir. À ce souvenir, des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Elle regarda vers le cœur du village.

 « Ils sont morts, n'est-ce pas ? »

  Zoann hocha la tête. Il était inutile de lui mentir. Son monde venait de s'écrouler et il fallait encore la convaincre de les suivre.

 « Je suis désolé. Où était ta famille au moment de l'attaque ?

 — À la ferme. »

  Les yeux de Lyra s'agrandirent d'espoir. Peut-être que les soldats n'avaient pas eu le temps d'aller jusqu'à la ferme. Ce n'était pas très loin du village mais ce n'était pas tout à côté non plus. Elle tenta d'échapper à Xaan qui resserra sa prise.

 « Où crois-tu aller ?

 — Chez moi ! Il faut que je vois mes pères ! »

  Zoann échangea un regard avec Xaan qui soupira en désapprouvant sa proposition. Il finit par lâcher la fille tandis que le bagrilien souriait en lui tendant une main amicale.

 « Est-ce que tu nous permets de t'accompagner ? »

  Lyra regarda vers l'homme à la chevelure blanche et jugea qu'elle n'avait pas vraiment le choix. D'un autre côté, elle devait admettre qu'ils avaient tenu parole jusqu'ici, ils ne lui avaient fait aucun mal ni chercher à l'enlever sauvagement. Elle posa donc sa main dans celle du géant, même si elle ne put que tenir deux doigts en se mettant en chemin.

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