La princesse bleue [2/4]

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  Une odeur étrange les ramena à la réalité quelques minutes plus tard. Le vent leur portait l’âcre fragrance d’un mélange de matériaux brûlés. Xaan et Zoann échangèrent un regard grave. Et s’ils arrivaient trop tard pour la fille ? D’un commun accord, ils forcèrent l’allure, mirent à mal les chevaux avant de s’arrêter au sommet d’une colline. De la fumée s’élevait à une demi-journée de leur position. La route se faufilait entre les collines. Fallait-il la suivre ou couper à travers bois ?

 « On perdrait trop de temps par la forêt, évalua Zoann. Autant continuer sur la route. Même si c'est plus long, on perdra moins de temps en définitive.

 — Ces satanés canassons ne tiendront pas, fit remarquer Roman. Ils sont déjà éreintés !

 — Au premier village, on en changera, décréta Xaan. Allez ! »

  Il talonna sa monture qui répondit de mauvais gré. La route s'élargit un peu plus loin. Ils approchaient d'une ville ou d'un village. Ils auraient bientôt l'occasion de changer de chevaux. Les sabots claquèrent sur la route pavée à un rythme effréné.

  L’étalon de Roman fut le premier à s’écrouler au milieu du chemin. Celui de Talin n’était pas en meilleure forme. De colère, le lieutenant acheva l'animal sans faire d'histoire puis monta derrière Xaan. Ils étaient contraints de ralentir fortement la cadence pour ne pas tuer la deuxième monture. Zoann marchait presque à leur côté, la mine sérieuse.

  Quand ils aperçurent les premières maisons d’une petite bourgade, ils furent d’abord soulagés. Puis ils découvrirent que tout avait brûlé. Les maisons, les granges, les étables étaient en ruines. Tout était déjà froid. Au centre du village, ils trouvèrent un amas de corps enchevêtrés. Le sang avait séché. Les corbeaux se nourrissaient des cadavres. Certains s'envolèrent à leur approche en croassant.

  Zoann eut un haut-le-cœur assez brutal pour être contraint de détourner le regard. Son sourire légendaire avait disparu. L’odeur était encore supportable au grand air ; Talin prit sur lui pour aller étudier de plus près la manière dont ces gens avaient été tués. Du travail grossier. L’assassin se redressa et mit le feu aux cadavres après une courte prière puis il analysa ce qui se trouvait autour : les traces de passage, les traînées de sang, les empreintes. Il travailla à reconstituer la scène afin de définir la destination des bouchers et leur origine. Pendant ce temps, Roman fouilla les maisons en meilleur état. Toutes les victuailles avaient été emportées. Les animaux d’élevage aussi. Le lieutenant trouva un bout de carte locale dans la demeure la plus grande. Ils purent enfin se repérer concrètement. Talin se pencha dessus avec attention. Il avait l’habitude de travailler seul, et cela se sentait.

 « La prochaine ville, Joviel, est à dix kilomètres. Le cheval ne nous sera d’aucune utilité si l'on coupe à travers bois. La route fait trop de détours. En comptant sur une marche rapide, il vous faudra deux heures pour y parvenir. Je peux partir en éclaireur et me téléporter pour gagner du temps.

 — Pourquoi te fatiguer ? le questionna Zoann. San Mario est encore à une demi-journée, allons directement là-bas. Qui sait où les aptans attaqueront la prochaine fois.

 — Regarde. La frontière est là, à quelques kilomètres de Joviel, qui se trouve entre ici et San Mario. Je pense que la troupe qui a attaqué la ville où nous sommes est d'abord passée par Joviel avant de s’aventurer par ici. Ils ont pris ce dont ils avaient besoin et sont repartis renforcer leur prise. Connaissant les larfoniens, la ville frontalière devait être fortifiée. Ce qui signifie que la ville a dû tomber. Il n’y a rien entre Joviel et San Mario, sinon des bois et des collines. La troupe a pu préférer aller de ville en ville sans chercher à rejoindre les villages. Mais tout dépend des ordres qu'ils ont reçus. Dans tous les cas, on va être ralenti. Il y a de fortes chances que l'on croise des soldats et que nous soyons obligés de nous battre. Il va falloir s’économiser.

 — Ne m’apprends pas mon métier, grogna rageusement Roman à la fin de l'exposé.

 — Pourquoi s’attarderaient-ils dans les collines ? enchaîna Zoann, sans se préoccuper de l’ego de Blondie. Il n'y a pas grand intérêt à raser des villages de bûcherons.

 — Les aptans doivent préparer une nouvelle invasion. Ils ont dû comprendre qu’arriver en masse dans une plaine n’était pas à leur avantage, alors ils ont tenté les collines. Cela leur donnera un couvert et leur permettra de faire entrer d'autres troupes sans se faire remarquer.

 — On s'en fiche de tout ça ! Il faut se remettre en route ! »

  Xaan foudroya Roman du regard tandis que le lieutenant récupérait la carte et la pliait pour la ranger dans son sac. Évaluer leur situation n'était pas une perte de temps. Foncer tête baissée sans savoir sur quoi ils allaient tomber n'était pas un comportement professionnel. L'assassin se renfrogna pendant que Roman se mettait en marche. Zoann haussa les épaules et lui emboîta le pas. Xaan soupira et lança un dernier regard à la ville saccagée. Cela ne lui avait pas manqué.


Ж


  Deux heures et demie plus tard, ils s'arrêtèrent et guettèrent les abords de Joviel. Xaan ne s’était pas beaucoup trompé sur les mouvements des aptans. Toutefois, l'armée en place était plus nombreuse que prévu. Il ne s'agissait pas d'un petit détachement de mercenaires. Il n'était plus question de se battre. Le trio ne faisait clairement pas le poids.

  L'assassin comprit alors ce que Santhià avait entendu par danger de mort. L'invasion en cours ne faisait pas de prisonniers. Du moins, ils ne s'en donnaient pas la peine dans les zones les moins peuplées. Ils devaient vraiment se dépêcher de rejoindre San Mario. Sans cela, leur cible n'aurait pas pas la vie sauve.

  Roman fut obligé d'admettre que l’assassin savait y faire. Il se montra alors plus enclin à suivre ses conseils mais tint à avoir le dernier mot. Zoann se coucha au sol sur une directive de Xaan qui leur fit signe de ne pas bouger jusqu'à ce qu'il revienne les chercher.

 « Je traverse la ville puis je me téléporte et on reprend notre route. »

  Zoann leva le pouce pour valider son plan et resta à terre. C'était l'occasion de se reposer un peu. Il cueillit un brin d'herbe et le mit à la bouche pour le mâchouiller tout en observant les mouvements des soldats. Roman se posa derrière un arbre et se désaltéra. Faire une pause ce n'était pas mal non plus en effet.

  Laissant ses camarades à l'écart, l'assassin se faufila comme une ombre de bâtiment en bâtiment. Il utilisa quelques petites téléportations à vue puis tomba sur un soldat qui faisait sa ronde. Avant que l'homme n'ait pu donner l'alerte, Xaan lui trancha la gorge et le poignarda en plein cœur. Il l'assit finalement dans un coin, comme s'il faisait une sieste.

  Dès que l'homme fut mort, Xaan sentit son bras le brûler. Il fit abstraction de cette douleur pour continuer d'avancer, jusqu’à ce qu'elle devienne intolérable. À l’abri sous un escalier, il releva sa manche et vit les ombres sur son bras frétiller. Elles avaient faim. Sans savoir ce qu’il adviendrait, Xaan les libéra. Les Ombres se projetèrent sur les murs à la ronde puis disparurent dans la ville. Des hurlements s’élevèrent de toutes parts pendant quelques minutes puis plus rien. Le silence tomba soudainement sur Joviel.

  L'assassin se figea au silence soudain, puis il vit les Ombres glisser jusqu'à lui. Elles fondirent en une seule trame noire qui fusionna avec l'ombre naturelle de leur propriétaire. Xaan jeta un œil à son bras dénudé pour remarquer leur retour. Sans ordre ni commandement, elles étaient revenues à lui. Il n'avait pas le temps d'éclaircir ce mystère pour le moment. Il enregistra donc un mémento dans un coin de son esprit et se focalisa sur sa tâche.

  Il avait traversé la ville comme prévu. Son objectif suivant était de trouver une zone forestière assez dégagée pour trois personnes. À quelques centaines de mètres du dernier bâtiment de la ville, Xaan tomba sur l'endroit parfait. Il mémorisa bien les lieux avant de se téléporter auprès de ses camarades. Aussitôt arrivé, il esquiva le coup d'épée de Roman. Ce dernier, le souffle bruyant, grogna en le reconnaissant et essuya sa lame. Il ne lui fallut qu'une seconde de plus pour lui hurler dessus.

 « Qu'est-ce qu'il s'est passé, putain ? Pourquoi on s'est retrouvé avec des dizaines de gars sur nous ? Tu peux m'expliquer ça, bordel ?

 — C'est pour garder la forme, lui rétorqua Xaan avec un sourire insolent. Regarde-toi ! Tu es déjà fatigué ! Et quel langage ! On dirait un campagnard saoulé à la vinasse. »

  Le lieutenant se jeta sur Xaan prêt à en découdre pour une telle insulte. Zoann le retint en essayant de calmer les esprits. Le bagrilien lui retira son épée comme on enlève le jouet à un enfant récalcitrant tandis que Xaan ricanait en continuant de l'asticoter.

 « Messieurs, nous perdons un temps précieux, déclara le géant avec calme.

 — Répète-le à ce fils de chienne jusqu'à ce que ça rentre dans sa sale tronche de face blanche ! cria Roman, hors de lui. C'est lui qui nous retarde ! »

  Xaan accueillit la remarque sur sa mère en plantant un couteau dans la cuisse du lieutenant. L’escalade de jurons qu’ils échangèrent ensuite ne s’arrêta qu’au moment où le bagrilien les assomma tous les deux. Ils avaient perdu beaucoup trop de temps.

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