La princesse bleue [1/4]

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  Alors que Xaan s'était assis sur un banc, son sac de voyage calé entre les jambes, il entendit les marmonnements du lieutenant Crétin qui venait de le rejoindre et soupira. Ils n'étaient pas envoyés au même endroit tout de même ? Roman devait se demander la même chose. Il lâcha brusquement son sac qui s'écrasa presque sur les pieds de l'assassin. Ce dernier se dressa et serra les poings, prêt à lui en coller un dans la figure quand Santhià intervint à point nommé.

 « J'apprécie votre efficacité. Êtes-vous prêt à partir immédiatement ? Prendre l'air vous fera du bien à tous les deux. »

  Le ton était critique, la lamie ne comptait pas jouer les arbitres. D'ailleurs, elle n'était pas seule et les deux miliciens le remarquèrent avec étonnement. Que faisait le bagrilien avec Santhià ? Zoann les salua d'un geste amical, son nécessaire de voyage attaché à la ceinture.

 « Qu'est-ce qu'il fout là lui ? s'écria Roman avec hargne. Il devrait être avec les autres.

 — Il vous accompagne, répliqua Santhià.

 — Hors de question.

 — C'est un ordre du Gardien. »

  La conclusion fut amenée sèchement. Roman soupira et récupéra son sac pour le caler sur ses épaules. Dans ces conditions, il savait qu'il n'aurait pas le dernier mot. Xaan se désintéressa du lieutenant et regarda alternativement la lamie et le bagrilien.

 « Quelle est la mission ?

 — Vous êtes chargés de récupérer quelqu'un. Vous la reconnaîtrez à son ombre. On l'appelle la Vouivre. Je ne connais pas son âge. Tout ce que je peux vous donner comme signe distinctif c'est la couleur de ses cheveux. Ils sont bleus.

 — Ce qui n'est pas banal, commenta Zoann avec un sourire charmant.

 — En effet.

 — Cela devrait être suffisant. Où doit-on chercher ? »

  Santhià leur donna les détails géographiques que lui avait transmis la Sainte, mais ne fut pas en mesure de leur fournir une carte. C'était un coin perdu de la campagne larfonienne. L'Université n'avait pas cela en réserve. La lamie termina par les presser parce que le temps était compté.

 « Quelle est l'urgence ? demanda Xaan.

 — Elle est en danger de mort.

 — Rien que ça ? Grogna Roman.

 — Il faut la ramener en vie.

 — Cela va de soi, répondit Zoann.

 — Je vous ai transmis tout ce que je savais. Pour le reste, il faudra improviser.

 — Parfait ! réagirent en chœur les deux miliciens avec la même ironie.

 — Au moins vous êtes d’accord sur un point. Rejoignez vite le portail de Knia. On vous fournira des montures à votre arrivée. Après il faudra vous débrouiller. »

  Les deux soldats se dévisagèrent avec animosité. Santhià ne voyait pas d’un bon œil leur rivalité sur le terrain, mais après tout, elle n’y serait pas, donc ce n’était pas son problème. Considérant sa tâche accomplie, Santhià tourna les talons et retourna à ses écrans surveiller le reste des Descendants.


Ж


  Zoann était heureux de sortir un peu de l'Université, sans compter que se retrouver enfermé dans une cellule de quatre mètres sur quatre n'était pas pour le mettre à son aise. Son caractère enjoué lui faisait voir le meilleur de chaque situation, toutefois après l'épisode de la tour, le fils Vulcain avait besoin de comprendre dans quoi il avait été engagé à son insu. On n'enfermait pas des gens sans raison, surtout quand certains appartenaient à de hauts rangs de l'aristocratie. Cela ferait trop de bruit dans les cours des deux continents. Et quand bien même son père n'était pas l'homme le plus protecteur envers ses enfants, une attaque contre son clan devenait une affaire personnelle. D'un autre côté, Zoann était assez grand, sans mauvais jeu de mots, pour se défendre lui-même. Après tout, il était venu à Saltar dans l'espoir de devenir plus puissant et de pouvoir affronter son père dignement.

  Il suivit les deux miliciens en les observant avec attention. Le blond, dont il ignorait le nom parce qu'ils n'avaient pas été présentés, ne semblait pas porter le Champion Talin dans son cœur, et cela paraissait tout à fait réciproque. Le bagrilien ignorait ce qui avait pu les placer en si mauvais termes et pria un peu pour que cela ne soit pas invivable pendant leur mission. Il n'y avait rien de pire qu'une mauvaise ambiance.

  Ils arrivèrent rapidement dans le village de Knia. Zoann était arrivé par portail avant les sélections, mais il n'avait pas souvenir d'un lieu aussi désert. Il n'y avait personne. Certaines maisons avaient les portes grandes ouvertes et des objets du quotidien se trouvaient au milieu de la rue. Coussins, gobelets, vaisselles, vêtements… Pourquoi avait-il la sensation que les habitants avaient pris la fuite précipitamment ? Qu'avaient-ils cherché à éviter ?

 « Oh ! Tête de pioche ! Tu te magnes ? »

  Zoann commençait à comprendre pourquoi Talin n'appréciait pas Blondie. Il avait constamment à la bouche un pli arrogant et sa parole était loin d'être encourageante. Sans rien ajouter, le grand gaillard pressa le pas et se retrouva rapidement auprès des miliciens. Ils passèrent le portail quelques minutes plus tard et arrivèrent à Polonia, la troisième plus grande ville de Larfonie.

  Un vieil homme maigre les réceptionna dans une cave et les guida dans la ville fourmillant d’activités. D'un côté, on stockait du grain, de l'autre, on distribuait des armes. Des habitants étaient entraînés à exécuter des gestes de défense simples, alignés dans la rue. Il y avait des soldats en uniforme dans toute la ville. Le bagrilien ignorait alors que le pays était en guerre contre son voisin et que toutes les régions proches de la frontière étaient ainsi sous loi martiale.

  Leur guide passa par de nombreux chemins de traverse pour ne pas attirer l'attention. Aux écuries, à l'extérieur de la cité, il remit à chacun une monture. Zoann refusa la sienne, de peur de lui casser le dos, préférant se déplacer à pied.

  Roman ne vit pas son refus d'un bon œil. Le géant allait les ralentir. Il le prévint d'un ton cassant:

 « Je te laisse sur place si t’es pas capable de suivre le rythme.

 — Ne t’en fais pas pour moi, Blondie. Je suis moins pataud que j’en ai l’air. »

  Roman rumina son surnom et lança son cheval au trot sur la voie dégagée. Talin l'imita aussitôt et Zoann ferma la marche. D’après le vieil homme, il leur faudrait une journée de chevauchée pour atteindre San Mario, le village de leur cible.

  Le lieutenant partit au nord, suivant la route pavée, grande spécialité locale. Talin le siffla et lui montra l’ouest, il fallait rejoindre San Mario au plus vite, pas faire du tourisme. L'assassin lança sa monture au trot, talonné par le bagrilien. Xaan se fichait de savoir si Roman suivait. C’était même le cadet de ses soucis.

  Profitant de la large plaine qui s’offrait à eux, ils lancèrent les chevaux au galop, Zoann allongea sa foulée. Un début de relief les obligea à ralentir quelques kilomètres plus loin. Plus tard, entre deux collines, ils firent une halte à un ruisseau pour les chevaux.

  Pendant qu'il s'assurait que les montures étaient en état de continuer, Talin s’étonna de la fraîcheur du bagrilien. Il transpirait à peine.

 « On dirait que tu te balades.

 — Ah ! Ah ! Difficile de se fatiguer sur du plat. Viens donc faire une randonnée dans les dentelles bagriliennes un de ces jours, tu verras la différence. »

  Intrigué et étonnamment à l’aise en présence du montagnard, Xaan poursuivit la conversation le temps de se remettre en selle. Même s'ils avaient déjà eu des cours en commun à l'université, ils n'avaient pas vraiment pris le temps de faire connaissance.

  Agacé par leurs bavardages, Roman les pressa et prit les devants cette fois-ci. Il comptait forcer l’allure mais son étalon se rebiffa, provoquant la colère de son cavalier. D’autant plus énervé, le cheval se cabra et mit Roman à terre. Ce dernier resta étourdi un moment puis poussé par le Vulcain, il s'assura qu'il ne s'était rien cassé tandis que l'assassin apaisait l’animal.

 « On perd un temps précieux, Blondie !»

  Talin se fit un plaisir de réutiliser le surnom donné par Zoann. Cela lui allait si bien. Grondant, le lieutenant se releva, l’orgueil blessé. Zoann l’aida à se remettre en selle puis mena l’étalon à la longe le temps de retrouver une voie plus dégagée. Toutefois, plus ils avançaient et plus les collines devenaient touffues. Les quelques bosquets qu’ils avaient esquivés jusque là s’étaient mués en une forêt de plus en plus épaisse. Rapidement, Roman contesta le choix de Talin. Quelle idée d’avoir voulu éviter la route ! L’assassin l’ignora et mit pied à terre pour éviter de chuter en se prenant une branche basse.

  Manquant par trois fois d’être éjecté de sa selle, Roman imita ses compagnons et continua à pied, confiant le soin de sa monture à Zoann sans même lui demander son avis. Ce dernier avançait quasiment plié en deux, mais cheminait le sourire jusqu’aux oreilles, comme si cela n’était qu’un jeu.

  Il leur fallut une heure pour déboucher sur une petite route. Pas de pavés ici, seulement de la terre et des feuilles. Roman salua l’ouverture avec soulagement et se remit en selle. Il en avait assez de se prendre les pieds dans ses racines noueuses. Il s’élança à gauche et Talin le siffla de nouveau.

 « De l’autre côté !

 — Tu n’as pas de carte que je sache ! Et l'ouest est par là !

 — Peut-être, mais il y a un panneau, rétorqua Xaan en lui montrant le poteau. San Mario est de ce côté. »

  Ne pouvant que reconnaître son erreur, Roman fit faire demi-tour à son étalon qui se rebiffa une nouvelle fois. Cette fois-ci, le Lieutenant le maîtrisa en critiquant la nervosité de sa monture et lui tint la bride serrée. Zoann sous-entendit que le plus nerveux des deux n'était pas l'animal, puis se mit à rire de leur maladroite équipée. Xaan ne put se retenir de pouffer, la joie du bagrilien était communicative.

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