L'envol [4/5]

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  Après le grand tremblement qui secoua l'île et ses fondations, des alarmes se mirent à hurler dans l'infirmerie, ainsi que dans la salle de contrôle souterraine. Luc Nandru motiva ses troupes à sortir du bâtiment et à se rendre dans les différents quartiers de l'Université pour effectuer des soins d'urgence, tandis que toutes les équipes de secours affiliées à la Milice étaient dispersées sur l'île pour apporter leur aide là où il y en avait besoin. Santhià ordonna même aux unités de combat de se rendre utiles. Ce qui ne plut pas au lieutenant Roman malgré la situation exceptionnelle.

  À l'extérieur de la tour, les habitants de l’île étaient sortis de leur torpeur un bref instant. La lumière du Phénix les avait atteints, puis l’ombre portée du Gardien étouffa cette brève lucidité pour les envoûter à nouveau. Une partie des habitants se retrouva donc à errer sur leur parcours habituel sans tenir compte de leurs blessures. Ce qui complexifia le travail de certaines équipes de secours. En tête de proue, Luc Nandru fonça à la zone d'examen. Son équipe prit en charge Maître Sed puis le loup et le bagrilien qui s'étaient pris de plein fouet la vague d'énergie. Les deux jeunes hommes étaient sévèrement brûlés par le feu magique. Il fallait agir rapidement sur eux. L'arkien râlait déjà qu'une fois lui avait suffi, mais il était trop tard pour lui éviter d'être alité. Suivant les ordres du médecin en chef, les infirmiers commencèrent à rapatrier les blessés à l'infirmerie pour la suite des soins.

  En bordure du terrain d'entraînement ayant servi pour l'exercice, une énorme boule de plumes blanches s’ouvrit sur deux autres jeunes hommes. Luc vint à leur rencontre. Il examina le plus jeune pendant que le plus âgé fixait ses mains tremblantes.

 « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda le Dauphin.

 — Vous êtes en état de choc, vous devriez vous asseoir.

 — Non, je vais bien. C’est juste que… »

  Tobias-Argan baissa les yeux sur les plumes d’un blanc immaculé éparpillées autour d’eux. Puis il ferma les yeux pour se remémorer les événements. L’explosion était arrivée très vite, il n’avait pas réfléchi. Le prince avait simplement voulu défendre Ruy parce qu’il le savait incapable de se protéger lui-même. Le Dauphin avait entendu le hennissement d'un cheval, une puissante énergie lui était tombée dessus par la suite. Ils avaient été enveloppés, protégés. Quelle bénédiction avait-il reçue ?

 « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? répéta le prince l’air hagard.

 — Par déduction, je dirais qu’Arya Al'raï a encore fait des siennes, lui répondit le médecin. Est-ce que je me trompe ? »

  Tobias se tourna pour chercher la princesse. Ne la voyant nulle part, il interpella Zoann qui haussa les épaules avant de suivre le brancard du loup agité. Le prince allait se mettre à sa recherche quand Ruy l'attrapa par la manche. Le gamin le remercia chaleureusement. Tobias lui caressa la tête d'un air rassurant.

 « Je ne pouvais pas laisser tomber mon partenaire. »

  Ruy renifla en retenant ses larmes devant tant de considération puis il regarda le médecin qui s'éloignait rapidement pour mettre ses compétences au service d'autrui. Puisqu'aucun des deux garçons n'était blessé, Luc ne pouvait pas s'attarder.

  Le benjamin revint au prince et sourit largement :

 « Hé ! Dis donc ! Il est beau ton cheval ailé !

 — Tu as dû prendre un sacré coup sur la tête, Ruy. On devrait rappeler le médecin. »

  Bienveillant, Tobias caressa le front du gamin à la recherche d'une bosse. Une voix douce l'interrompit pourtant, s'accordant avec la version de son camarade.

 « Il a raison, Votre Majesté. Vous êtes le Pégase.

 — Mademoiselle Leyhan ! »

  Talin avait ramené la jeune femme à leur point de départ. Remercié, l'assassin s'en était déjà allé pour répondre aux ordres du lieutenant Roman, tandis que la nuwë avait entendu la conversation des deux garçons. Lily hocha la tête en exécutant une courte révérence au Dauphin dans le respect des usages malgré la situation. Tobias l'invita à s'approcher pour s'expliquer. Il ne comprenait pas ce qu'elle entendait par ce titre. La jeune femme regarda autour d'eux et secoua légèrement la tête.

 « Ce n'est ni le lieu, ni le moment de parler de cela, Votre Majesté. Je vous encourage à me suivre si vous désirez obtenir certaines réponses. Ici, nous sommes trop exposés. »

  Tobias regarda autour d'eux. Malgré l'activité intense des miliciens, il comprenait tout à fait ce qu'elle voulait dire. Vraisemblablement, il n'y avait pas que dans ses lettres que Lily Leyhan faisait preuve d'intelligence et de discernement. Il lui prêta donc son bras en acceptant de la suivre dans un endroit sûr.

  Alors qu'ils s'éloignaient de la zone la plus accidentée, Ruy sur les talons, ils entendirent une femme demander à chaque personne qu'elle croisait s'ils avaient vu une nuwë en précisant ses caractéristiques et son identité. Lily se tourna vers la voix en reconnaissant son nom et s'excusa auprès du Dauphin pour courir vers sa protectrice.

 « Ambroise ! Je suis là. »

  La sorog fut grandement soulagée et étreignit étroitement la jeune femme. Elle la tâta ensuite de partout en la harcelant de question. Si elle avait su que l'exercice se déroulerait de cette façon, elle aurait interdit à la nuwë de s'y rendre. Lily la rassura de son mieux tout en comprenant l'inquiétude d'Ambroise. Être un Bouclier ne devait pas être de tout repos.

  Tobias et Ruy rejoignirent bientôt les deux femmes. Le Dauphin présenta ses respects à l'ambassadrice d'Iscil qui lui rendit son salut avec toute la politesse dont elle pouvait faire preuve en cet instant. Puis elle remarqua l'ombre du prince et regarda la nuwë avec étonnement. Cette dernière hocha la tête d'un air entendu et enchaîna :

 « Est-ce que l’appartement est intact ?

 — Autant qu’il puisse l’être après une telle explosion. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

 — Je te raconterais tout dans le petit salon. Nous ne pouvons pas en discuter ici. »

  Ambroise accepta solennellement puis observa Ruy des pieds à la tête en se demandant ce qu'il faisait là. Lily lui fit comprendre que le garçon serait tôt ou tard concerné par les événements. Après tout, il avait été accepté dans la classe spéciale. La sorog soupira puis accepta les deux humains dans ses appartements.

  Dès qu’ils arrivèrent dans le salon de la princesse d’Iscil, tous les domestiques quittèrent la pièce. Ambroise réalisa un sort de confidentialité qui forma une bulle autour d’eux. Le Dauphin l’observa prendre toutes les précautions. Elle non plus n'était pas dupe des agissements du Gardien ? Intéressant. Il n’aurait jamais imaginé la famille Cécile préoccupée par des événements étrangers à leur empire.

  Dès que la pièce fut isolée, Lily raconta fidèlement ce qu'il s'était passé dehors : l'exercice, le comportement étrange du maître puis l'explosion et l'envol du Phénix. Ambroise écouta attentivement, la main tapotant sa bouche à un rythme régulier. La fille d'Elena avait fini par se révéler. La sorog n'avait pas eu l'occasion de l'aborder plus tôt et elle le regrettait déjà. C'était sa deuxième occasion manquée. Était-ce un signe pour lui signifier qu'elle n'était pas en charge de la princesse ? La prudence restait de mise. Combien de Boucliers allaient être rassemblés avant que Luménor ne réagisse ?

  Ambroise répondit à la nuwë quand celle-ci eut terminé son récit :

 « On aurait dû s’attendre à ce que le Gardien encourage l’Éveil du Phénix, mais je n'aurais pas imaginé tant d’acharnement de sa part. Par bien des aspects, c'est un homme prudent. Il sait qu'il ne fait pas l'unanimité parmi les races primitives. Est-ce qu'un événement particulier aurait bouleversé ses plans ? »

  Ambroise leur proposa du thé en constatant que la conversation allait durer. Ses invités acceptèrent. Lily but une gorgée de la boisson réconfortante entre deux hypothèses, imitée par le Dauphin qui comprenait difficilement les tenants et les aboutissants de la conversation. Quant à Ruy, il avait abandonné dès le début, et se contenta de battre des jambes tout en mangeant des biscuits en silence.

  Troublé et rongé par la curiosité, Tobias-Argan attendit le moment opportun pour interroger directement ses hôtes sur le sujet qui l'avait conduit en ces lieux.

 « Votre Altesse...

 — Appelez-moi Ambroise. Pas de cérémonie entre nous. Nous n'avons pas de temps à perdre en rond de jambe. Sans vouloir vous offenser, ajouta-t-elle après une hésitation.

 — Ambroise, reprit le prince sans prendre ombrage, je vous écoute depuis tout à l'heure et force m'est de constater que je ne comprends pas de quoi vous parlez. Qui est ce Phénix ? Et ce Pégase, dont vous m'avez qualifié, Mademoiselle Leyhan ? J’ignore ce que cela signifie. Les seules créatures auxquelles je pense appartiennent à des mythes.

 — Ce ne sont pas des mythes ! Luménor a travesti la vérité pour faire oublier les événements du passé, expliqua Ambroise. Pauvres humains... Votre situation est pire que je ne le pensais.

 — Le Phénix et le Pégase sont deux êtres nés des dieux pour ramener l'ordre sur la terre, continua Lily. Arya Al'raï, vous, et moi sommes les descendants de leurs lignées.

 — Ce qui vous place sous la protection de Boucliers, comme moi.

 — Sous votre protection ? Pourquoi ? »

  Les deux femmes se regardèrent puis lui racontèrent l’histoire des Créatures et du Déchu.

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