Ainsi soit-il [2/3]

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  La descente était infinie. Astralia commençait à douter. Ils ne voyaient pas la fin de ce colimaçon étroit et sombre. Elle se tourna vers l’arguenne qui la suivait, cherchant un peu de réconfort. Igurantori se contenta de l’encourager. Il fallait persévérer.

  Plus ils descendaient, plus ils étaient mentalement écrasés par l'énergie que contenait l'île. La voix devenait plus claire, plus intelligible et la guidait toujours. Pourtant, Astralia s'interrogeait. Pourquoi étaient-ils coupés de la surface ? Ni la Sainte ni l'arguenne ne percevaient quoi que ce soit aussi profondément.

  Quand ils aperçurent enfin de la lumière, Astralia accéléra. Un couloir prolongea l'escalier en pente douce jusqu'à une arche. Astralia s'élança vivement vers la sortie puis se figea au bord de la plate-forme. Le chemin s'arrêtait soudainement en s'ouvrant sur une large poche creusée dans la roche bleutée. Au-dessus de leurs têtes, s’élevait une magnifique coupole piquée d’étoiles scintillantes. En contre-bas, un immense mausolée souterrain au sol dallé était habité par une colossale statue de dragon. Des colonnes gravées d’animaux longeaient les parois et semblaient soutenir la grande coupole. Tout cela n'était pas bâti à échelle d'homme.

  Après avoir observé chaque recoin de la crypte, Astralia revint à la sculpture et l’étudia attentivement.

 « Serait-ce le tombeau de la Reine-Dragon ?

 — La Reine-Dragon n’a jamais eu de tombeau. Elle n’a jamais reçu les derniers sacrements. C'est du moins ce que disent les légendes.

 — Alors, à quoi sert cet endroit ? »

  Igurantori haussa les épaules. S'ils vouaient en savoir plus, ils allaient devoir descendre. De leur perchoir, il serait difficile d’en apprendre davantage. Astralia acquiesça et s’approcha du bord. Il n'y avait plus rien leur permettant de descendre sans faire usage de leur magie. La Sainte se tourna finalement vers l’arguenne et lui demanda s’il avait la possibilité de les aider dans cette épreuve. Il se fit un plaisir de les faire léviter jusqu’en bas.

  Leur perspective se modifia soudainement et tout leur parut beaucoup plus grand. Astralia se sentit particulièrement petite au pied de la statue. Igurantori paraissait préoccupé tandis qu’elle s’extasiait comme une enfant.

 « Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta-t-elle finalement en le voyant si pensif.

 — Nous ne sommes pas seuls. Je perçois une présence. Nous devrions nous montrer plus prudents. »

  Après un court repérage, Astralia traversa la crypte pour rejoindre une porte s'ouvrant sur un couloir. L'arguenne la suivit en silence. De nombreuses portes closes se trouvaient derrière, de chaque côté du couloir, toutes différentes les unes des autres. Des voix leur parvinrent de plus bas, laissant supposer qu'il y avait autre chose à l'autre extrémité.

  Astralia tendit l’oreille et avança attirée par les voix, dont une lui paraissait familière. Sa curiosité l’emportait peu à peu et Igurantori la retint avant qu'elle ne prenne une décision inconsidérée.

 « C’est tout l’opposé de ce que j’appelle se montrer prudent.

 — Nous serons discrets. »

  Astralia longea les portes jusqu’à parvenir à un autre escalier, plus court et plus éclairé. Elle lança un coup d’œil à l’arguenne qui lui indiqua silencieusement que la voie était libre. Ils avancèrent jusqu’à entendre très distinctement les voix. Deux hommes se disputaient. La Sainte fut tentée de pousser une lourde porte de fer, son compagnon l’en empêcha. Igurantori secoua la tête et l’attira dans une pièce annexe. Ils s’immobilisèrent et écoutèrent.

 « Tu m’as donné ta parole ! Tu m'as dit que tu chercherais les Descendants et pourtant tu n’as rien fait !

 — Du calme, mon chou, je t’ai seulement dit que j’acceptais à condition que tu me sortes de ce trou à rat. Tu n’as rien fait, moi non plus. Échange de bon procédé.

 — Au cas où tu l’aurais oublié : c’est moi qui donne les ordres ici ! Tes caprices n’obtiendront jamais satisfaction !

 — Très bien ! Dans ce cas, les tiens non plus.

 — Ne crois pas jouer à ça avec moi !

 — Mais je ne joue pas ! C’est toi qui as voulu faire le malin, Saman. Et maintenant ? Hein ? Qu’est-ce que tu vas faire ? La Sainte t’échappe. Le Phénix est à deux doigts d'exploser. À qui vas-tu confier la pénible mission de rassembler les Descendants ? Hein ? À qui ? À moi ! Sauf que j'ai déjà donné, donc non merci. »

  L’un des hommes gronda. Astralia leva la tête vers Igurantori qui lui fit signe de garder le silence. La voix la plus jeune reprit, histoire de bien enfoncer le clou :

 « Tu sais ? Mon seul regret, c’est que les filles n'ont pas eu le temps de briser ton esprit. Tu aurais pu faire l’effort de disparaître dans la dignité !

 — Silence.

 — C’est vrai quoi ! À l’époque, tu étais encore grand, fort et séduisant, tu avais le monde à tes pieds. Regarde-toi maintenant, tu es laid, petit, rachitique, tout rabougri et condamné à rester sur cette île jusqu’à la fin des temps.

 — Silence ! explosa Luménor. Tu resteras enfermé ici, seul et dans l’ombre, jusqu’à ce que tu entendes raison !

 — Très bien ! Retourne donc jouer avec tes pantins. Tu paieras pour tes crimes un jour ou l’autre, et ce jour-là, je serai aux premières loges pour voir ça ! »

  Le Gardien quitta la pièce en faisant claquer la porte de métal derrière lui. Il la verrouilla d’un geste brusque et remonta dans la crypte avant d’appeler Santhià pour un voyage rapide jusqu’à ses appartements.

  Une fois le calme revenu et tous les échos de pas éteints, Igurantori sonda les lieux. Dès qu’il eut la certitude que l’endroit était sûr, il autorisa la Sainte à se déplacer. Ils sortirent de l’ombre et Astralia s’immobilisa devant la porte en métal. L’arguenne déverrouilla le mécanisme rouillé. Il ne comprenait pas pourquoi elle voulait converser avec un fantôme, mais il ne lui appartenait pas de la juger. Ils entrèrent dans la pièce sombre. Il suffit d'une petite sphère de lumière pour éclairer les lieux.

  Devant l'énorme bloc de cristal, Astralia douta sincèrement de la santé mentale du Gardien. Avec qui parlait-il s'il était seul dans la pièce ? Igurantori se passa de tout commentaire. Ce qui n’était pas dans les habitudes de Galriel.

 « Oh, comme c’est touchant ! Dangereux. Mais touchant. Tu sembles tellement pure, belle Sainte. Je me demande ce que Sighna a vu en toi, pauvre petit oisillon. »

  La voix familière provenait du cristal. Astralia s'avança et posa la main sur la surface froide.

 « Bouh ! Arrête, ça chatouille ! »

   Astralia sursauta et recula d'un pas. Le visage de Galriel apparut au cœur du cristal noir, amusé par sa propre plaisanterie. La Sainte s’extasia devant sa beauté proche de celle des apollons. Galriel grimaça.

 « Comment oses-tu me comparer à ces imbéciles heureux ?

 — Je suis désolée.

 — Je plaisante ! Je sais à quel point ils sont séduisants. Je te remercie pour le compliment. »

  Décontenancée, le rose aux joues, Astralia n’osa plus rien dire. Igurantori effleura l'esprit de sa compagne puis s’inclina devant le Saint. Son salut lui fut rendu amicalement puis Galriel gourmanda la jeune fille :

 « Tu ne devrais pas le laisser avoir accès à tes pensées. On ne peut se fier à personne. Crois-moi. Et puis les arguennes ne savent pas mentir. Ce qui peut souvent être un problème.

 — Igurantori est un Bouclier, j'ai foi en lui.

 — Oh… je vois. Je suppose que tout cela fait partie du grand dessein de la très puissante Déesse-Chat. Mais honnêtement, entre le Phénix qui casse tout, l'assassin qui ne sait pas sur quel pied danser et un arguenne qui ne sait pas mentir, vous n'allez pas aller bien loin ! Je ne voulais pas le dire devant notre Lumen chéri, mais il vous tient à la gorge ! Faites attention.

 — Merci du conseil.

 — De rien. Tu es là pour la harpie de toute façon. Elle t’attend là-haut, dans la crypte. Tu n’as plus qu’à monter la rencontrer. Caresse-lui le ventre pour la réveiller, elle adore ça ! Pour le reste, je ne peux rien faire pour toi. Voilà. Je crois que c’est tout pour le moment. Bonne chance. »

  Galriel disparut et Astralia se tourna vers Igurantori qui haussa simplement les épaules. Il lui proposa de suivre les indications. L'arguenne sonda les alentours afin d’assurer la sécurité de la jeune fille. Personne ne semblait roder dans cette zone. Igurantori ne savait pas si cette information était réellement positive. Il préféra se montrer méfiant et resta connecté à tout ce qui l’entourait pendant qu’Astralia montait les quelques marches qui permettaient de rejoindre la statue.

  Sous la voûte des ailes déployées, Astralia se sentait protégée. Elle posa la main sur la roche tiède et ferma les yeux. Elle perçut les lents battements de cœur, calqua sa respiration sur le même rythme puis plongea dans le monde spirituel sans perdre de temps. La Sainte perçut toute proche la flamme frémissante d’une conscience endormie et se dirigea vers elle. Dès qu’elle la toucha, une explosion de couleur l’enveloppa.

  Un autre monde se révéla. Toutefois, le paysage n’avait pas de réelle consistance. Tout n’était que parfums et couleurs. Ce monde était fait d’énergie, rien n’y était figé. Astralia en prit conscience avec stupeur. Cela ressemblait aux Jardins Célestes, et pourtant tout était différent. Personne n’était là pour la guider, elle devait trouver seule son chemin vers le cœur de ce refuge. Mobilisant toutes ses forces, la Sainte se mit en quête de son hôtesse dont la voix s'était tue.

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  Dans la crypte, Igurantori faisait le guet et veillait sur sa compagne. Alors que tout était calme de son côté, il sentit la Sainte partir. Elle était quasiment sortie de son domaine de perception. Avait-elle conscience des risques qu’elle prenait ? Savait-elle qu’elle se mettait en grand danger en manquant d’ancrage mental ?

  Au risque de se faire surprendre, Igurantori se plaça derrière Astralia et posa ses mains de chaque côté de sa tête afin de solidifier le lien qui reliait son esprit et son corps. En cas de besoin, il serait prêt à la ramener.

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