Pour prendre le temps de réfléchir aux derniers événements, Talin se réfugia dans le bois derrière la tour. Depuis qu’il y était venu la première fois, il aimait y revenir pour se promener. Étant donné que le lieu était interdit d’accès, le jeune homme n’y croisait que des animaux et des esprits. L’assassin écoutait le vent dans les branches, le craquement du bois, cela le détendait. Il appréciait la paix de cet endroit. Ce fut donc avec surprise qu’il arriva dans un espace dégagé déjà occupé par quelqu'un.

   Arya Al’raï se tenait là, dans un état second. Xaan l’observa en silence. Elle restait parfaitement immobile sous les branches basses de quelques arbres dont il ignorait le nom. Elle ressemblait à un esprit de la forêt. Al'raï avait une attitude nonchalante, comme si elle était sur son territoire et qu'il était un intrus. Elle leva légèrement la tête et il croisa son regard vitreux, éteint. Ses yeux fixaient quelque chose au-delà de lui-même. Cela lui donna des picotements dans les doigts. Que pouvait-elle bien regarder avec tant d’insistance ? Xaan osa avancer d’un pas. Cela attira l'attention de la jeune fille, leurs regards se croisèrent réellement. Un frisson courut le long de son échine et l'assassin serra les poings.

   Alors qu'il se préparait à changer de direction pour la laisser tranquille, Xaan aperçut l’ombre d’un oiseau gigantesque dans le dos d’Alr'aï. Ce dernier s’envola soudainement et l’ombre projetée au sol s'étendit dans sa direction. Quand il releva la tête, Xaan se retrouva nez à nez avec Arya. Comment s’était-elle déplacée sans qu’il ne l’entende ? Le sous-bois n’était qu’un tapis de feuilles sèches. Xaan releva à nouveau les yeux vers elle et fut touché par l’expression de son visage. Elle semblait si vulnérable, frémissante comme une flamme qui vacille avant de s’éteindre.

   Il entreprit un mouvement vers elle, hésitant sur le comportement à suivre, lorsque son aura explosa brusquement. L’oiseau grandit, Xaan fit un pas de côté afin de contourner Al'raï et son étrange protecteur. Elle suivit son mouvement, ils se trouvèrent pris dans une danse lente durant laquelle ils ne se quittèrent pas des yeux, tout en échangeant leur place dans la petite clairière. Ce lien inhabituel plongea Xaan dans un état étrange. C’était comme s’ils se reconnaissaient après une longue séparation. Comme s’ils s’étaient toujours connus. Comme s'ils étaient chacun le reflet de l'autre. Comme s'ils étaient destinés à s'unir.

   Au moment où Xaan se fit cette réflexion, Arya chancela. Sans hésitation cette fois-ci, il la rattrapa par les épaules. Ce simple soutien sembla l'aider à retrouver son équilibre. Elle porta la main à sa tempe en fronçant les sourcils puis elle fit un pas en arrière. N’ayant aucune raison de la retenir, il lâcha prise, sans pour autant briser la fragile intimité de leur proximité soudaine.

   La migraine lui vrillait le crâne. Arya plissa les yeux en faisant de son mieux pour s'accoutumer à la douleur, heureuse de se sentir soutenue et en sécurité. Elle profita de la poigne ferme de son bienfaiteur jusqu'à rouvrir les yeux. Elle recula alors en découvrant celui qu'elle avait affronter dans l'arène, Xaan Talin. Que faisait-il là ? Un coup d’œil autour d'eux fit comprendre à Arya qu'ils étaient dans un endroit couvert de végétation dense. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Comment était-elle parvenue jusqu'ici ? Dans quel coin de l'Université est-ce qu'ils se trouvaient ?

   Par fierté, Arya se détacha de lui et recula encore de quelques pas. Un silence marqua cette suspension dans le temps. Les questions se bousculaient dans son esprit. Au point où une nouvelle vague de douleur lui fit lâcher une plainte. Arya se focalisa aussitôt sur sa respiration, tenta d’activer un sort de guérison avant de perdre tous ses moyens. Elle avait la boule au ventre, les membres tremblant. Une nouvelle crise se préparait. Une douleur plus aiguë se cristallisa. Elle avait l'impression que des milliers d'aiguilles la transperçaient. Un cri lui échappa et elle tituba.

   En voyant la jeune femme dans un réel état de souffrance, Xaan ne fit pas de cérémonie et l’attrapa pour aller chercher les secours. Elle n'opposa aucune résistance, se recroquevilla dans ses bras et se blottit contre son torse en étouffant ses gémissements. Plus ému qu'il ne l'aurait pensé par la confiance qu'elle lui accordait spontanément, Xaan se téléporta sur le premier chemin qui lui revint en mémoire afin de pouvoir s'orienter, demander son chemin ou confier la demoiselle à des personnes compétentes.

   À sa sortie du bois, le Champion coupa la route de Zoann. Le bagrilien ne mit qu'un instant à reconnaître Arya dans les bras de Talin. Il assaillit aussitôt Xaan de questions auxquelles ce dernier coupa court immédiatement :

  « Je crois qu’il y a d’autres priorités, tu ne crois pas ? »

   Zoann acquiesça avec gravité et guida Xaan jusqu’à l’infirmerie. Luc ne se réjouit pas de l'arrivée du bagrilien et de son nouveau compagnon. Il se précipita pour ausculter sa patiente et ses observations allèrent de mal en pire. Arya devenait de plus en plus pâle de seconde en seconde. Sa respiration s’accélérait. Elle gémissait en serrant les poings. Luc voyait que ses énergies ne circulaient pas très bien. Il redouta un nouvel incident et donna rapidement les instructions à suivre.

  « En quarantaine. Tout de suite. »

   Luc craignait de nouvelles fuites magiques extrêmes et verrouilla la chambre aussitôt que Talin en fut sorti. Xaan et Zoann le suivirent ensuite dans la salle d’observation, à la fois inquiets et curieux. Le médecin oublia qu'ils étaient à côté de lui et se mit à râler à voix haute :

  « Et voilà, ça recommence… Pourquoi ça recommence ? Elle devrait être stable ! J'avais tout mesuré avec précision. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

   Étouffant des jurons quand la première explosion eut lieu, Nandru manipula les cristaux du tableau de bord afin d’augmenter les niveaux de sécurité. Déflagration après déflagration, Arya était secouée de spasmes avant que son corps ne libère de l’énergie dans toutes les directions. Tout à ses préoccupations, Nandru continua de réfléchir à voix hautes, ignorant les mines stupéfaites des deux témoins qui l’entouraient.

  « C'est différent de la dernière fois. Pourquoi est-ce différent de la dernière fois ? Nom de… Elle évacue de la magie pure. Je croyais qu'elle ne maîtrisait que le feu ! Comment ça, fois dix ? Ce n’est pas possible. Les sortilèges ne tiendront… »

   Une nouvelle vague d’énergie secoua la pièce, avec plus de violence que précédemment. Luc leur cria de sortir pour couvrir le bruit des cristaux qui sifflaient sous la surchauffe. L'explosion suivante souffla le verre renforcé avant qu’ils n’aient eu le temps d’évacuer.

   En un millième de secondes, voyant la vague énergétique venir, Zoann fit barrage de son corps, s'interposant entre la vitre et le médecin, tandis que Xaan attrapait Luc pour les sortir de là. Le bagrilien fut hors d’atteinte pour l’assassin. Ce fut donc un hérisson sanguinolent qui les rejoignit un instant plus tard alors que toutes les alarmes résonnaient dans l'infirmerie.

   Les secouristes accoururent pour isoler l'observatoire ravagé et certains furent chargés de soigner le bouclier humain dans la foulée. L'agitation soudaine n'empêcha pas Luc de réfléchir. D'après ses dernières recherches, il ne pouvait rien faire pour Arya ; il fallait attendre que cela cesse. Avec des explosions de cette puissance, personne ne serait en mesure de l'approcher. Ce serait du suicide. D'ailleurs, ils l'avaient échappé belle. Le médecin se tourna vers Xaan qui lui coupa la parole pour éviter les épanchements sentimentaux.

  « De rien. »

   Coupé dans son élan, Luc soupira puis fixa la porte de la quarantaine. Les murs tremblaient à chaque nouvelle explosion. Est-ce qu’ils tiendraient le choc ? Luc craignit que cette fois-ci soit la dernière pour la princesse. Par quel miracle son organisme parviendrait-il à supporter autant d'excès de magie ? Une telle résistance était anormale.

  « Ça lui arrive souvent ? demanda Xaan, les mains enfoncées au fond des poches tout en gardant l’air décontracté. Non, parce que je préfère être prévenu quand j’ai une bombe à retardement à côté de moi. Histoire d’être paré à toute éventualité. »

   Luc ouvrit la bouche pour lui répondre, mais n’en eut pas l’occasion. Une voix désagréable s'éleva au-dessus de la cacophonie de l'infirmerie.

  « Sérieux ? Elle recommence ? Mais c’est quoi son problème ? »

   Wolfgang se tenait à l’entrée de l’infirmerie et cria pour couvrir les explosions. Une nouvelle vague d’énergie secoua la pièce. Le médecin soupira en s'approchant pour établir le dialogue le plus paisible possible.

  « Tu ne pourras rien faire pour elle aujourd’hui, Yugh, c’est plus grave.

  — Tu parles ! Elle cherche juste à attirer l’attention ! Tu vas voir ! Je vais lui dire deux mots. »

   À la surprise générale, il se rendit dans la salle de contrôle dévastée juste après une explosion et cria à travers la vitre brisée :

  « Hé ! Oh ! La tarée ! Tu sais ce qui m’énerve le plus ? C’est que je sois obligé de réparer tes conneries alors que j’ai rien demandé ! Oh ! Tu m’écoutes ? »

   Une nouvelle vague d’énergie fut évacuée et Yugh fut projeté violemment contre le mur. Il se releva sonné et très énervé.

  « Bah voyons ! Tu crois que tu vas me tuer si facilement ? Tu ne t’es pas débarrassée de moi pendant les sélections, ce n’est pas maintenant que tu vas y arriver !

  — Mais il est fou ! s’écria Talin qui lui-même n'aurait jamais foncé tête baissée.

  — Je crois que ce jeune mâle n’a pas fini de te surprendre. »

   Luc nota l’espacement entre les explosions et la diminution de leur puissance. Yugh fut bientôt capable de les supporter en se trouvant dans la quarantaine, au contact direct avec Arya. Xaan comprit où le médecin voulait en venir.

  « Ça s’est calmé… »

   Zoann était en train de se faire bander le torse. On avait fini de lui retirer tous les morceaux de verre qui s’étaient enfoncés dans son dos. Fort heureusement, sa volumineuse masse musculaire lui avait épargné des blessures trop graves. Il fut ainsi aux premières loges pour l’ouverture de la quarantaine avec le médecin et le champion. Ce fut un merveilleux spectacle de découvrir l’arkien berçant Arya sur le lit de pierre.

   Le loup râla aussitôt en les apercevant :

  « Le premier qui lui raconte ça, je le castre. »