Désespérant espoir renaissant [3/3]

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  L’assemblée fut dissoute. Les maîtres, heureux d’en avoir terminé avec cette corvée, retrouvèrent leur routine. Le Gardien s’était montré fort brutal ce matin-là et chacun tâcha de l’oublier promptement. Cependant, l’omnipotence de Luménor n’empêcha pas certains spécialistes de se rejoindre quelques heures plus tard.

  Managuilith, l'elfisse noir, expert en coutumes des peuples tribaux, demeura seul dans la salle après le départ de ses confrères. Absorbé par ses pensées, immobile, il contempla l’île baignée de lumière crépusculaire jusqu’à ce que les ténèbres piquées d’étoiles amènent la protection de la Déesse-Lune, et que Caron le rejoigne.

   Sans introduction, le maître vétérinaire engagea la conversation par le sujet qui leur tenait à cœur :

 « La petite va être un problème dans peu de temps, pas vrai, Mana ?

 — Elle l’est déjà. Gyptah semble avoir des vues sur elle, heureusement que le hasard a joué en la faveur d’Erzat. Au moins, il ne lui fera pas plus de mal. Une chance qu’il n’ait pas pensé à truquer le tirage.

 — Mmm. Ce que nous a rapporté Erzat ne me plaît pas du tout. Une adivini hors de contrôle dans une zone peuplée est un sérieux problème.

 — Plus encore quand elle n’a pas été éduquée. Je ferai de mon mieux pour rattraper le temps perdu, mais j’ai bien peur que cela ne suffise pas. Elle a plus de onze ans de retard, Jord. Onze ans pendant lesquels elle n’a reçu aucune éducation digne de ce nom. Enfin, je suppose. Où était-elle tout ce temps ?

 — Va savoir ! Et toi, comment sais-tu que tu ne pourras pas la recadrer ? s’inquiéta Caron. Si tu ne peux pas le faire, qui le pourra ?

 — Je l’ai suivie depuis qu’elle est apparue au bal vêtue comme sa mère. On aurait pu s‘y méprendre. Arya lui ressemble tant. Pourtant, elle ne semblait pas savoir ce qu’elle faisait. Elle a quitté le bal plus tôt que prévu, à cause d’un malaise. J’ai appris par la suite que le protégé de Gyptah s’occupait d’elle. Je me suis donc permis de le suivre.

 — Qu’est-ce que ça a donné ?

 — Le garçon semble bienveillant. Mais sa proximité avec Gyptah me dérange. Cela fait déjà trop longtemps qu’il traîne dans ses pattes. Je ne sais pas à quel point il est sous son contrôle.

 — Votre conversation commence à attirer l’attention, intervint le maître télépathe en se réinstallant sur son coussin de méditation. Vous devriez abréger. »

  Managuilith inclina la tête pour remercier leur visiteur impromptu puis fixa Caron. Lui non plus n’avait pas vu venir l’arguenne. Ce dernier les rassura. Depuis le début de leur petite réunion, il détournait l’attention mais il ne serait pas en mesure de le faire plus de quelques minutes encore. L'elfisse alla droit au but :

 « Tu as vu ce qu’elle a fait pendant le tournoi ?

 — Le cercle de feu ? Un peu que je l’ai vu ! C’était la technique préférée de sa mère.

 — Elle ne peut pas l’avoir apprise seule. Ce qui signifie que notre bien-aimée reine Elena lui a légué sa mémoire.

 — Mais la petite était trop jeune ! La reine n’aurait pas… Sacrebleu ! Attends une seconde… Peut-être qu’elle n’a pas eu le choix et qu’elle a effectué le transfert tant qu’elle le pouvait encore. Personne ne sait comment les souverains sont morts.

 — Personne mise à part la petite princesse. Qui a disparu à ce moment-là, lui rappela Managuilith. Aucun enfant normal ne l’aurait supporté. Ce n’est pas un sort interdit pour rien. À moins que la reine ne l’ait protégée. Il va falloir que je l’approche pour lui parler de vive voix et découvrir ce qu’il en est réellement.

 — Le temps vous est compté, mes amis, avertit Intillalta.

 — Écoute, Mana, j’ai appris à la petite princesse à monter. Elle ne m’a peut-être pas reconnue ce matin parce que je n’étais pas dans mon état normal, mais je suis sûr qu’elle n’aura pas oublié ses premières leçons. Elle avait rendu son père furieux en s’envolant sur le plus grand oiseau du palais.

 — Je l’espère, Jord, je l’espère vraiment. Il faut qu’elle sache qu’elle n’est pas seule.

 — Je n’ai pas oublié mon serment. Et toi ?

 — J’ai toujours une dette envers la famille Al’raï. Cela je ne l’ai pas oublié. »

  Caron sourit et mordilla sa brindille. L’arguenne leur intima de se séparer et de surveiller leurs paroles le temps que l’attention qu’ils avaient éveillée se rendorme. Les deux hommes acquiescèrent et se séparèrent. Une nouvelle lueur d’espoir leur apparaissait. La Darcie ne mourrait pas tant qu’il resterait une Al’raï en vie.


Ж


  On n’entendait que le bruit des pages qui se tournaient. Luménor montra peu de réactions à propos des premiers résultats et fut même tenté de les sauter pour regarder directement la partie qui l’intéressait. Mais ce ne serait pas correct pour la douce Santhià qui avait travaillé dur pour lui préparer un document aussi fourni. Il s’acharna donc à lire en diagonale les mésaventures d’élèves aux capacités somme toute banales.

  Puis il atteignit la fiche récapitulative des meilleurs résultats et sourit largement en pointant les noms des personnes n’ayant pas réagi à son sortilège.

 « Talin, Al’raï, cela ne m’étonne pas… Leyhan ? La nuwë en serait une ?

 — Oui, maître. Son garde du corps est tombé mais pas elle. Leyhan se fait discrète mais il émane bien quelque chose d’elle en situation de combat.

 — Mm… Pas mal. Il faudra y regarder de plus près. Ensuite ! Shahama, oui bon, ce n’est pas une surprise non plus. Je garde ses ancêtres sous le coude depuis des générations. Voyons les autres… Wolfgang ! Il me semblait bien qu’un simple arkien ne pouvait pas être si grand sous sa forme animale. Tu me feras une petite recherche sur lui. J’aimerais savoir d’où lui vient son pouvoir exactement.

 — Oui, maître.

 — Et nous avons en prime… Un Vulcain ! Pouah ! La peste ! Depuis le début ces maîtres du feu me pourrissent l’existence. C’est bien la seule lignée de Bouclier qui soit encore de sang pur. Bref ! Passons au dernier… Qui est ce Ryu Min ?

 — Son résultat m’a surprise également. Il ne possède aucun don particulier, son talent magique est médiocre. Mais il est resté totalement insensible au sortilège.

 — Il faudra creuser de ce côté également. »

   Santhià hocha la tête et Luménor tourna la page pour se plonger sérieusement dans la lecture détaillée des performances de ses futurs amis. Il exprima sa satisfaction ou son mécontentement par de simples grognements et onomatopées. La lamie patienta jusqu’à ce la fin de sa lecture avant de lui en proposer une autre.

 « Qu’est-ce que c’est ? l'interrogea-t-il avec lassitude.

 — L’analyse complète de l’évaluation de Talin en chambre d’imagination.

 — Oh ! Bien ! Je regarderai cela après le dîner. Toutes ces bonnes nouvelles m’ont ouvert l’appétit, pas toi ?»

  Elle acquiesça et lui tendit le bras pour le conduire à la salle à manger. Luménor entretint la conversation, lui demanda son avis sur les nouveaux élèves. La soirée fut agréable et porteuse d’idées que le Gardien ne tarderait pas à mettre en place. Même si un point le dérangeait toujours.

 « Dans ton rapport, je n’ai pas vu d’indication concernant l’éveil du Phénix. Pourquoi ?

 — Parce que rien n’a changé, maître. Elle n’est pas éveillée.

 — Il ne s’est rien passé pendant l’évaluation ?

 — Erzat a indiqué un comportement étrange mais les capteurs n’ont rien enregistré d’anormal. Les niveaux énergétiques sont restés les mêmes. À vrai dire, ils étaient tout à fait stables. Ce qui n’est pas vraiment une référence la concernant parce que ses courbes sont très aléatoires depuis son arrivée.

 — Ma douce, ne t’ai-je pas ordonné de l’obliger à s'éveiller ? »

  Santhià ne comprenait pas l’acharnement du maître au sujet d’Arya Al’raï. Pourquoi vouloir forcer son éveil et pas celui des autres Descendants ? Elle osa poser la question et Luménor tapa du poing sur la table avec colère :

 « Parce que le Phénix est le seul à pouvoir modifier le futur ! »

  Le Gardien retourna plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant d’expliquer le plus calmement possible à son adorable poupée tétanisée.

 « De toutes les Créatures originelles, le Phénix était le seul à tisser la toile du Destin avec Sighna. Le seul ! Ses descendants ont gardé le pouvoir de modifier la destinée de ceux qu’ils côtoient. Pourquoi crois-tu que je t’ai fait courir après Galriel ? Si je parviens à avoir le Phénix et Galriel de mon côté, alors je serai invincible. Je connaîtrais l’avenir et le modifierais afin qu’il me convienne. Je serai alors le seul et unique maître de ma vie. Comprends-tu, ma douce ?

 — Je comprends, maître. Je transmettrai les ordres. »

  Luménor en fut satisfait et quitta la table sans terminer son dîner. Abandonnant la lamie, le Gardien retourna se pencher sur les résultats encore frais afin d’établir son plan d’action.

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