Bon gré, mal gré, pieds et poings liés [4/4]

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  Sa tournée terminée, Luc retrouva Gyptah dans son laboratoire privé. Là encore, un étudiant normal n’avait pas le droit d’y accéder, mais Nandru entretenait un lien particulier avec son référent. Ce dernier avait pris l’habitude de se confier à Luc, et de lui révéler des secrets auxquels il n’aurait jamais dû avoir accès. Toutefois, l’échange était à sens unique. Haec se fichait éperdument des recherches personnelles du jeune homme, tant qu’il était en mesure de l’assister dans ses propres travaux. La plupart du temps, Luc en tirait plus d’avantages que d’inconvénients.

  Le jeune médecin n’avait pas mis un pied dans le laboratoire que le maître l’attrapa pour refermer vivement la porte derrière lui.

 « Santhià ne t’a pas suivi ?

 — Il n’y avait personne.

 — Tu n’imagines pas à quel point je suis heureux ! J’en ai tellement rêvé ! »

  Gyptah se passa de nombreuses fois les mains dans les cheveux. Il ne tenait pas en place. Il riait tout seul puis se calmait et marmonnait des choses incompréhensibles. Luc patienta près d’une table de dissection. Le jeune homme était doué pour dissimuler ses pensées et la patience était l’une de ses plus nobles qualités. Après de longues minutes, Haec fit face à Luc et lui annonça d’une joie extrême :

 « Nous allons étudier une adivini ! Ha ! »

  Luc n'eut plus aucun doute sur l'identité du sujet et se garda bien de réagir. Il prit son air le plus sérieux et attentif puis écouta avec un intérêt grandissant non feint. Gyptah lui tendit finalement un dossier récemment préparé. Les notes décrivaient de futures expériences sur la gestion des énergies et un nota bene en bas de page évoqua la possibilité de revenir sur des études antérieures. Luc questionna son maître à propos de ce dernier point. Gyptah lui répondit sur un ton de conspirateur :

 « Si l’envie te prend de te documenter à ce propos, regarde dans les archives à fulguriscurae, pour ce qu'il en reste. Et tu comprendras.

 — Ce sont vos recherches ?

 — Le travail de toute ma vie ! »

  Luc hocha la tête et se rendit aux archives, consulter tous les documents concernés. Avec un œil neuf, il passa la nuit à lire et emmagasiner le maximum d’informations. Plus Luc lisait, et plus il s’avérait que son maître était la pire personne au monde. Si tout ce qu’il voyait était bien le résultat d’études sur des êtres vivants, alors Gyptah ne possédait aucune morale ni sens éthique qui le retenait de dépasser certaines limites.

   Les initiales de son référent se retrouvaient sur tous les bas de pages du sujet nommé AOI. Les dossiers que Luc avait utilisés comme base pour comprendre le cas d’Arya. Le jeune médecin s'en voulut aussitôt. Il passa donc de longues heures à tout étudier. Gyptah le rejoignit en cours d’étude pour lui montrer les différentes étapes traversées et celles qu’il restait à aborder. Le maître débordait d’enthousiasme tandis que Luc cachait l'écœurement que lui évoquaient tous ces résultats.

 « C’est un cas passionnant, n’est-ce pas ?

 — Absolument. Pourquoi aviez-vous arrêté ?

 — Oh… Un incident tragique. Une expérience mal préparée, des risques mal calculés. Mais ce sont des choses qui arrivent. Si tu m’assistes, tu sauras me ramener à la raison si nécessaire !

 — Évidemment. »

  Il était tout à fait hors de question que le médecin prenne part à ceci. Il fallait qu’il prenne du recul sur la situation afin de se situer par rapport à Gyptah. C’était presque trop gros pour être vrai. Qu’est-ce qu’il devait faire ? Connaissant les règles qui régissaient ce qui se passait sous la surface, Luc se mit à craindre pour sa vie. Il ne pourrait en parler à personne. Où donc trouver un soutien à même de le seconder dans cette épreuve ?

  Remontant à l’infirmerie pour prendre un repas digne de ce nom, Luc réalisa qu’il avait déjà avalé une dizaine de pilules rouges, celles qui lui permettaient de tenir des heures sans dormir. C’était plutôt mauvais signe qu’il retombe là-dedans. Il se secoua et passa au chevet d’Arya. Elle était réveillée et fixait le plafond de la quarantaine.

 « Tu es réveillée depuis longtemps ?

 — Je n’ai pas dormi depuis que je suis dans la cage à monstre.

 — Cage à monstre, comme tu y vas… Tu n’y arrives pas ?

 — Je ne veux pas. Tu as bien vu ce qu’il se passe quand je dors ? C’est encore pire. Alors pas de repos pour moi. Je peux tenir. Je l’ai déjà fait.

 — Je vois. Tu veux manger avec moi ?

 — Tu veux dire, hors d’ici ? Le questionna-t-elle en s'asseyant.

 — Oui. On pourrait aller au réfectoire.

 — Tu es sérieux ?

 — Tu l’as dit toi-même, les crises sont plus fortes quand tu dors.

 — Je ne vois pas où tu veux en venir.

 — J’aimerais te parler d’une chose.

 — Non, je reste là. »

  Luc râla, se plaignant ouvertement qu’elle n’était pas logique à faire tout le temps le contraire de ce que l’on attendait d’elle. Arya le fixa en haussant les sourcils, surprise par la spontanéité de sa réaction. Le médecin réalisa qu’il avait dit tout cela à voix haute et s’excusa avant de sortir. Arya soupira et se laissa aller à fermer les yeux. Elle comptait vraiment rester dans la cellule de quarantaine.

  Nandru l’observa de derrière la vitre en prenant son repas. Son cahier sous les yeux, il établissait les liens entre ce qu’il avait lu dans la nuit et ce qu’il avait appris au contact de la princesse. Il ignorait quelle posture adopter. Enfin, il se focalisa sur la formule de la potion. Inconsciemment, le médecin avait déjà fait son choix en décidant d’aider la jeune fille. Il ne reviendrait pas en arrière.

  Après un instant de réflexion, la solution lui apparut limpidement. Il se mit aussitôt au travail et put en une heure seulement porter un plateau à Arya avec la nouvelle potion en guise de dessert.

 « Je veux bien manger ce que tu m’as apporté, mais il est hors de question que j’avale ta mixture. Je ne veux plus de potion. C’est terminé.

 — Je l’ai arrangée. Elle ne te fera plus de mal.

 — Évidemment, puisque c’est aux autres que je fais du mal. C’est non.

 — Soit raisonnable. »

  Il négocia en vain. Arya ne voulait rien entendre, complètement butée. Le médecin allait abandonner quand quelqu’un toqua à la porte ouverte pour signaler sa présence.

 « Bah alors ma belle, on fait rager le docteur ?

 — Mora… Comment tu te sens ?

 — Un peu molle mais ça va. Et toi ? »

  Arya haussa les épaules puis lui sourit. La fluvienne s’avança, Luc vint la soutenir. Mora rit d’elle-même en se trouvant si maladroite. Son rire soulagea la princesse bien plus que des mots et elle fit une place à sa colocataire sur le lit. Mora lui piqua un morceau de fruit et le savoura avant de demander ce qu’était cette chose verdâtre dans le bol.

 « C’est son médicament, mais mademoiselle ne veut rien entendre, tenta Luc.

 — Allons bon ! s’écria Mora. Ça ne peut pas te faire plus de mal, pas vrai ?

 — C’est à se demander, critiqua Arya en fixant le médecin.

 — Touché. »

  Luc sourit. Arya soupira. Mora trempa le doigt dans la mixture et goûta sans faire de grimace.

 « Mmm… Miam ! On dirait de la myrtille. »

  Elle recommença puis sourit à Arya.

 « Prend-en au moins un peu. Ce n’est pas grave si tu ne bois pas tout. En tout cas, c’est délicieux. Même si la couleur n’est pas séduisante. »

  Méfiante, Arya renifla le breuvage. Puis elle en but une grande gorgée. Elle grimaça et en but encore un peu. Elle ignorait si c’était vraiment de la myrtille, en tout cas cela restait très amer.

 « Si tu trouves ça délicieux, je crois que tu as du souci à te faire pour tes papilles, affirma Arya grimaçant fortement au milieu de la corvée.

 — Ah ! Ah ! Non, en vrai c’est affreux, mais il fallait bien trouver un truc pour que tu boives ta potion. Tant que tu y es maintenant, termine-la et on n’en parle plus.

 — Traîtresse ! »

  Arya céda et but tout le bol sans trop rechigner. Luc remercia la fluvienne et reprit le plateau. Il conseilla de rester tranquille le temps qu’il revienne. Afin de faciliter les choses, Mora commença à babiller, discutant de tout et de rien comme si rien ne s’était passé. Pourtant Arya sentit monter la culpabilité et coupa la jeune femme dans son monologue.

 « Je suis désolée de t’avoir mise en danger.

 — Excuses acceptées. Mais ne fait plus de grillades dans la chambre, d’accord ? C’est plutôt indigeste en dehors des heures de repas. »

  Arya prit sa main et la serra en lui promettant de faire de son mieux. Luc revint faire un bilan complet puis autorisa la princesse à partir en lui rappelant bien de venir le voir matin et soir pour prendre sa potion. Arya ne lui promit rien, elle restait méfiante.

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