Une punaise dans le pantalon [2/3]

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  Devant son dîner, le Gardien refusa de manger. Santhià était revenue de son petit tour de surveillance avec des nouvelles de mauvais augure. D’abord, la Sainte s’était réfugiée dans le Temple de la Lune, sous la protection des membres de l’Ordre. Même si la libération des religieux était un coup dur pour le Gardien, ce n’était rien à côté de l’intrusion de l’élue divine. Quelqu’un avait dû la guider pour la faire passer par chaque angle mort, sans cristal de vision, ni garde. Malgré toutes ses extrapolations, Santhià fut incapable d’expliquer comment la Sainte avait pu passer entre les mailles du filet. Mais il faudrait bien trouver un coupable. Et sur qui est-ce que cela allait retomber ? À tous les coups sur elle.

  Dans un silence grognon, Luménor prit finalement ses couverts et commença à manger. Santhià en fut soulagée, et inquiétée à la fois. Le Gardien avait sûrement trouvé un moyen d’atteindre la Sainte, ou de la faire sortir de son terrier.

  À la fin du repas, Luménor se leva et retourna dans ses quartiers afin de s’apprêter. Il s’habilla d’une de ses tenues les plus somptueuses et pria Santhià de faire de même.

 « Allons rendre visite à notre hôte de prestige, ma douce. »

  Ce fut la seule information que le Gardien fut disposé à lui délivrer. Santhià obéit puis téléporta Luménor devant le Templion. Il appela du portail ouvert. Personne ne réagit. La cour était déserte. Il appela plus fort. Setsuan sortit du temple du Soleil et s’avança jusqu’à la limite du sanctuaire religieux que Luménor se refusait à passer. Nulle salutation même courtoise ne fut échangée. Le Grand Mestre demeura droit et immobile face au Gardien qui n’avait pas pris la peine de prendre sa peau de vieillard.

 « Comme au bon vieux temps, Setsuan, remarqua Luménor.

 — Comme cela a dû vous manquer toutes ces années. J’avais peur que vous mouriez d’ennui sans moi.

 — Comment se porte la Sainte ?

 — Fort bien à ce que l’on m’a dit.

 — Puis-je la voir ?

 — Je vous en prie, suivez-moi. »

  Setsuan tourna les talons et fit quelques bas vers le centre de la cour avant de se retourner vers Luménor toujours au portail, immobile. Le Grand Mestre souriait le bougre, maintenant qu’il était hors de portée. Il eut même l’affront de le provoquer.

 « Hé bien, mon vieil ami. Vous n’entrez pas ?

 — Invitez plutôt notre amie à venir me rejoindre.

 — Elle est occupée pour le moment mais je peux lui transmettre le message. Pour le reste, c’est à elle de décider si elle souhaite vous rencontrer.

 — Évidemment. »

  Le sourire aimable du Gardien cachait une violente envie d’étriper le prêtre et de le crucifier au mur de son temple chéri pour en faire un exemple. Santhià se tenait silencieuse à ses côtés, consciente de la colère de son maître. Celui-ci lui fit signe de le ramener dans ses appartements.

  Dans l'intimité de son bureau, Luménor ordonna à Santhià de mettre le Templion sous surveillance. Il laissait deux jours à la Sainte pour se manifester. Après quoi, il ferait le nécessaire pour la déloger.

Ж


  Deux jours durant, le Grand Mestre repoussa le Gardien. Il ne rencontrerait pas la Sainte tant qu’elle ne serait pas prête. Setsuan se montra fort inventif pour faire tourner Luménor en bourrique en si peu de temps. C'était une façon rattraper toutes les années perdues. Et puis la Sainte avait renforcé le pouvoir du sanctuaire, cela donnait plus de courage au Grand Mestre pour affronter les manigances de Luménor.

  Avec une source de divinité si proche d'eux, les religieux bénéficiaient d'une nouvelle jeunesse et la sensation que plus rien n'était impossible. Grâce à cette énergie cosmique, les espions du Gardien repartaient dans un état de béatitude bienheureuse et louaient la bienveillance de Sainte Astralia de Fluvie et des Dieux au grand complet.

  Luménor perdait du pouvoir sur ses pantins d'heure en heure à cause de la Sainte. Cela l’affaiblissait et n’arrangeait en rien son humeur.

 « Maudits temples, marmonna-t-il un soir en dégageant une légère fumée noirâtre. Je n’aurais jamais dû laisser un vrai prêtre en prendre le contrôle. Cet imbécile a bâti un sanctuaire. Sur mon domaine ! Et cette gamine... Comment est-elle parvenue à entrer chez moi sans qu'on s'en rende compte ? »

  Tenue au silence afin de ne pas attirer les foudres du maître sur elle, Santhià prit congé et retourna dans la salle de contrôle. Quand le maître était dans cet état, il valait mieux le laisser seul. S’il avait besoin d’elle, il appellerait. La lamie reprit ses recherches, passa au crible tous les enregistrements des trois derniers jours. Elle n’avait toujours pas trouvé comment la Sainte avait pu passer inaperçue. C’était devenu une question d’honneur personnel. Comment pouvait-elle faire valoir ses compétences si elle ignorait les failles de son propre système de surveillance ?

 « Alors coquine ? On lambine ? »

  Le lieutenant Roman s’approcha et s’installa contre le panneau de contrôle. Il la relança d’un simple claquement de langue comme si elle n’était qu’un animal. Il avait l’air d’un imbécile quand il tordait ses sourcils de la sorte mais personne n’osait lui dire. Santhià soupira et l’ignora en continuant de chercher l’erreur à travers les yeux des pantins et des cristaux de vision. Cela ne découragea pas le capitaine qui tendit la main pour caresser les cheveux de la cheffe du renseignement. La lamie lui saisit le poignet et le regarda dans les yeux, mécontente. Cela le fit rire.

 « Je sais comment attirer ton attention maintenant.

 — J’ai du travail. Laisse-moi.

 — Moi aussi, mais j’aime bien passer du temps avec toi, ma jolie. »

  Il lui caressa la joue de son autre main. Santhià attrapa vivement son poignet et resserra l’étreinte de ses doigts jusqu’à ce que Roman laisse transparaître la douleur qu’elle lui causait. La lamie passait son temps à se contenir, mais pas cette fois-ci. Elle plongea son regard dans le sien et lui enfonça dans le crâne en usant de sa magie :

 « Je ne suis pas ta chose. Ni ta jolie, ni ta mignonne. Ni quoi que ce soit. Tu n’es pour moi qu’un résidu d'humanité qui aurait plus sa place dans les geôles qu’à la tête des unités d’intervention. La prochaine fois que tu m’importunes, je t’enferme à la place où tu devrais être.

 — Et comment tu expliqueras ça au maître ? se défendit-il pitoyablement après s'être secoué pour se défaire des paroles magiques.

 — J’en fais mon affaire.

 — Lieutenant ? »

  Talin arriva dans le dos de Roman. Ce dernier tenta de se défaire de la prise de Santhià. Elle ne le relâcha qu’au dernier moment, même si Xaan avait déjà compris que le blondinet s’était méchamment fait remettre à sa place. Une information que l’assassin se ferait une joie d’utiliser au moment opportun.

  Ne demandant pas son reste, Roman tourna les talons et s’en alla en se massant les poignets. Talin attendit qu’il ait quitté l’espace de travail pour se tourner vers la lamie.

 « Il est toujours comme ça ?

 — Non, là, il était courtois. »

  Santhià sourit cordialement à Xaan qui lui tendait le compte-rendu qu’on lui avait demandé de constituer. Il était de corvée de surveillance le soir et il avait remarqué quelque chose d'étrange depuis quelques jours.

 « C’est quoi toute cette agitation ? C'est une activité normale à cette période ?

 — Non, ce n'est pas normal. L’île a été infiltrée par une indésirable.

 — Je vois. La cible a été localisée ?

 — Oui. J’ignore simplement par quel miracle elle a pu entrer.

 — J’imagine que cela doit vous causer des ennuis.

 — Tu n'as pas idée. »

  Talin était perspicace. Santhià l’observa avec un œil neuf. Peut-être qu’il serait en mesure de l’aider. Est-ce qu’il pourrait trouver le chemin emprunté ? En sens inverse peut-être ?

 « Est-ce que tu as un peu de temps à m’accorder ? lui demanda-t-elle avant qu'il ne retourne à son poste. Quelque chose me dit que tu es doué pour pister les indésirables.

 — Si ça me permet d’échapper au lieutenant crétin, avec plaisir. »

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