Une punaise dans le pantalon [1/3]

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  Haec avait tout juste atterri dans le bureau du Gardien qu’il avala une pilule de son cru pour contrôler sa nausée. Le trajet l’avait brusquement dégrisé mais il gardait une méchante gueule de bois. Il s’inclina irrespectueusement devant Luménor puis s’accouda au dossier du siège prévu pour les glorieux invités du Gardien.

 « Le maître a fait mander son génie diabolique ! Me voilà ! Que puis-je faire pour votre bon plaisir, mon seigneur ?

 — Bon sang ! Gyptah ! Tu devais arrêter de boire !

 — Mon seigneur est trop bon ! Vous savez dans quel état me mettent les séjours à l’étranger, alors pourquoi continuer de m’y envoyer ?

 — Tu rejettes la faute sur moi en plus ?

 — Je vous pose une simple question. Pourquoi ne pas envoyer votre petit chien débile, ou l’autre, le blondinet arrogant ? Ils seraient parfaite…

 — Parfaitement idiot de les envoyer à ta place. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? »

  Gyptah haussa les épaules, désabusé.

 « Allez savoir… peut-être que j’ai retrouvé le chemin de la lumière divine.

 — C’est bientôt l’anniversaire de…

 — Je t’interdis ! hurla Gyptah à Santhià avant de se faire reprendre par Luménor.

 — Silence ! Haec, je ne t’ai pas fait venir pour que tu t’apitoies sur ton sort.

 — Alors, dites-moi ce que vous voulez, pour que je puisse cuver mon eau-de-vie en paix pendant quelques heures. »

  Plusieurs points lui tenaient à cœur, mais est-ce que Haec serait en état de les entendre ? Là était toute la question. Après réflexion, Lumémor opta pour l'interrogatoire. Il n'avait pas de temps à perdre avec les bêtises du scientifique.

 « Je souhaite écouter une nouvelle fois ta version des faits concernant la dernière explosion du laboratoire castan. Peut-être que dans ton état, tu seras plus apte à développer les détails concernant la disparition de tes sujets d’étude.

 — Je n’ai rien à ajouter à ma déclaration, votre honneur ! AOI a explosé et détruit le complexe. Tous les sujets sont morts, réduits en poussière. Pouf ! J’ai pu m’échapper à temps par un tunnel. Bien que j’y ai perdu mon visage.

 — Tu t’en es pourtant fort bien remis. Es-tu bien sûr que tous les sujets sont morts dans l'explosion ?

 — Il n’y avait plus rien quand j’y suis retourné. Plus rien ! s'énerva Haec. J'ai tout perdu en une fraction de seconde. Il ne restait que des centres. J'ai dû tout reprendre à zéro. Je n'ai rien pu sauver. Aucun de mes bébés...

 — Combien de temps après l’explosion y es-tu retourné ?

 — Une journée, peut-être deux. J’étais sous morphine à cause de mes blessures. Comment voulez-vous que mes souvenirs soient une source sûre ? Référez-vous aux comptes rendus de l’équipe qui m’a accompagnée.

 — C’est fait, annonça Santhià. Aucune présence n’a été signalée.

 — Alors, pourquoi m’interroger ?

 — Parce qu’elle est ici, Gyptah. »

  Haec se figea. Il papillonna des yeux, assimilant l’information.

 « Qui ça ?

 — Elle. AOI. La fille d’Elena. Arya Al’raï ! La descendante du Phénix que tu étais chargé d'éveiller pendant toutes ces années. »

  À chaque dénomination le Gardien monta d’un ton, se levant progressivement de son siège. Il reprit, colérique :

 « Comment expliques-tu cela Haec ? Tu sais que je n’aime pas les menteurs ! Alors, dis-moi : comment cela est-il possible ? Et ne sois pas avare de réponses.

 — C’est im-pos-si-ble ! Elle n’a pas pu survivre à ce qu’il s’est passé ! C’était beaucoup trop puissant pour que son corps puisse le supporter. Elle était trop jeune.

 — C’est ce que tu m’avais dit la première fois, et pourtant elle avait survécu. Pourquoi ce serait différent la seconde fois ?

 — C’était un vrai miracle ! Et vous savez que je n’emploie pas ce mot à la légère. Sans compter que la seconde explosion était beaucoup plus violente. Elle n’a pas survécu ! Je maintiens que c’est impossible. »

  Sur un geste vif du Gardien, Santhià plaça une pierre sur le bureau, juste devant Gyptah. Puis elle lança la projection de la finale du tournoi. Luménor attendit qu’Al’raï déclenche le cercle de feu avant de fixer Haec, pris sur le fait.

 « Elle est toujours morte à tes yeux ?

 — Je… Non… Elle… Elle aurait dû… C’est vraiment elle ?

 — Je te le certifie, répliqua sèchement Luménor.

 — Puis-je reprendre mes expériences sur elle ? »

  Le Gardien se mit à rire nerveusement. Santhià grimaça et recula jusqu'à se coller au mur pour ne pas être mêlée à ce qui allait suivre. Haec trembla devant Luménor, tout en éprouvant des difficultés à se détacher de la vision de sa précieuse AOI. Il émanait du Gardien de la fumée malfaisante, mais la passion dévorante du scientifique pour la jeune adivini prenait le dessus sur la peur.

 « Comment oses-tu me demander quelque chose qui n’aurait jamais dû cesser ? Tout ce que je te demande pour l’instant c’est de m’expliquer comment tu as pu croire une seule seconde que le Phénix pouvait périr dans les flammes ! Alors ?

 — Je l’ignore ! D’ailleurs, pourquoi vous acharnez-vous soudainement sur moi ? Vous m’avez ordonné de mener des expériences sur une adivini. Je l’ai fait. Rien ne la destinait à être la descendante du Phénix. Sauf si vous connaissiez son ascendance depuis le début ! Information que vous ne m’avez jamais communiquée. Mon travail portait sur la gestion physique de la magie des mialis primitifs. Vous ne m'avez jamais demandé d'éveiller qui que ce soit ! Vous perdez la raison ! »

  La gueule de bois ne lui retirait rien de son intelligence. Luménor en fut impressionné et se calma. D’ordinaire, ses pantins ne répondaient plus quand il se mettait en colère. Mais pas Haec Gyptah. Ce dernier ne l’avait jamais craint. Était-ce de la folie ou du courage ? Le Gardien l’ignorait. Quoi qu’il en fût, Haec attendait lui aussi une réponse. Luménor s’affala dans son fauteuil et d’un geste souple de la main lui signifia qu’il lui accordait l’autorisation de reprendre ses travaux. Le chercheur l’en remercia.

  Considérant l’entrevue terminée, Santhià s’approcha de Gyptah qui lui tourna le dos et se dirigea vers la porte.

 « Navré, ma chérie, mais je préfère marcher. Je ne suis pas encore impotent. Je vous salue mon seigneur, que votre journée soit belle ! Je vous tiendrais au courant de mes avancées. »

  Il comptait bien s’enivrer dans sa chambre et ne pas être dérangé. Il allait cumuler chagrin et joie pour boire tout son soul avant de reprendre où il s'était arrêté. Pourquoi la nouvelle était-elle tombée le jour de sa commémoration annuelle ?


Ж

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