Loin du conte de fée [3/3]

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  Quand Arya s’introduisit dans la salle commune du petit appartement, aussi discrètement que possible, elle se rendit compte que Mora et Suna s’y trouvaient. Son arrivée les interrompit dans leur conversation. Arya les salua sobrement avant de se diriger vers la chambre, bien enveloppée dans sa couverture.

  Surprises par le retour de leur camarade, les filles se dressèrent avant de se concerter sur le comportement à adopter. Suna fit signe à Mora de rejoindre Arya pendant qu'elle restait dans le salon. Après tout, Mora était sa camarade de chambre et celle qui la connaissait le mieux. La fluvienne toqua à la porte avant d'entrer dans la chambre.

 « Salut, comment tu te sens ? »

  Figée devant la fenêtre les bras croisés, Arya ne lui répondit pas. Quand Mora s’aperçut que sa colocataire était pieds nus, elle s’approcha de la princesse et lui toucha délicatement l’épaule. Cette dernière sursauta et lui fit face pour échapper au contact physique, la respiration rapide. On aurait dit un petit animal apeuré. Mora en fut émue et se montra plus douce.

  « Ils t’ont laissée partir dans cette tenue ? Où est la bague que Lola t’a donnée ? Ils te l’ont prise ? Et les vêtements que je t'avais apportés ? J’irais te les récupérer, ne t’inquiète pas.

 — Ce n’est pas un problème, répondit finalement Arya la voix basse. J’ai d'autres vêtements. Tu n'as pas besoin d'y aller.

 — Comme tu veux. »

  Arya ne voulait vraiment pas retourner à l'infirmerie. Mora soupira et retenta un contact. Elle posa la main sur le bras de sa colocataire, sans la surprendre cette fois-ci. Arya ne le supporta pas longtemps et s'éloigna à nouveau. Elle n’allait visiblement pas bien.

 « Si tu veux parler, je suis là. Maintenant, ou plus tard, c’est comme tu le sens. »

  La fluvienne recula de quelques pas avant de lui tourner le dos pour sortir et la laisser seule. Arya ne réagit qu’au moment où elle atteignait la porte.

  « Je ne voulais pas rester là-bas, avoua-t-elle la tête basse. Je ne sais même pas comment je m’y suis retrouvée. Je dansais avec Tobias-Argan, et puis je me suis réveillée à l’infirmerie. On m’a dit que j’avais manqué de détruire la chambre où j'étais installée, que c’était un miracle que les murs aient tenu bon… »

  À ces mots, Mora revint vers elle pour la prendre dans ses bras, laissant la porte entrouverte. Arya accepta l’étreinte amicale et s’y blottit. Sa camarade lui frotta le dos pour la réconforter. Arya se laissa aller contre elle. Quelques larmes lui échappèrent. Elle se sentait si vide, si fatiguée. Si au moins elle savait ce qui lui arrivait. Arya finit par craquer dans l'étreinte maternelle de Mora.


#


  Depuis le retour de la princesse aux cheveux rouges dans l'appartement, Suna percevait un changement notable dans les énergies de la chambre. Elle se sentait attirée par Arya. Comme pour Lola et la prêtresse. C'était le même attrait. Elle aussi serait une Descendante ? La Vieille-Mère l'avait prévenue que cela se produirait. Cela faisait deux ans qu'elle s'occupait exclusivement de la léovienne. Dorénavant, les événements allaient s'accélérer.

  La métisse poussa doucement la porte de la chambre après avoir écouté leur conversation. Elle expliqua de sa voix la plus compatissante :

 « T’as fait un malaise pendant que tu dansais avec le doc. Puis Zoann a voulu te raccompagner et tu t'es évanouie. Ensuite, ils t’ont emmenée à l’infirmerie. Rien de grave en somme. »

  Arya fixa Suna avec étonnement. Quelque chose chez elle la rassurait. La princesse lui sourit puis la remercia en essuyant ses larmes. La guerrière allait reprendre quand un bonbon rose monté sur ressorts déboula dans la chambre. Lola sauta au cou d'Arya et la serra fort dans ses bras. Elle débordait de joie.

 « Tu es revenue ! »

  La princesse caressa la tête de Lola. Même si elle n’était pas très tactile, elle n’avait aucune envie de repousser la jeune fille. Ce qui lui parut étrange et naturel à la fois. Lola lui sourit chaleureusement, visiblement soulagée.

 « Je suis heureuse que tu rentres si vite. Cela veut dire que ce n’était pas grave. Il faudra le dire aux garçons, eux aussi ils se sont beaucoup inquiétés. »

  Lola proposa une collation dans le salon. Toutes ses colocataires acceptèrent avec joie. Arya s’esquiva dans la petite salle de bain pour se laver et se changer avant de les rejoindre. Elle se sentait bien auprès d’elles. Ce n'était pas grand-chose, mais leur compagnie l'apaisait. La princesse avait la sensation d'avoir sa place auprès d'elles.

Ж


  Dès que le loup quitta l’infirmerie, Nandru l’imita et descendit dans les sous-sols de la tour pour rejoindre le laboratoire de son maître. Le jeune médecin avait été initié aux secrets de Gyptah quelques années auparavant et même sans avoir adhéré au camp de son référent, il avait l’autorisation de consulter ses archives. Ces dernières contenaient les comptes-rendus des sélections annuelles, les rapports d’expérience de différents mages scientifiques, et les résultats des évaluations trimestrielles des étudiants de Saltar. Le tout sur des décennies, voire des siècles selon les catégories.

  Luc reprit ses recherches là où il les avait laissées précédemment. Il mit les résultats scolaires de côté pour se focaliser sur les rapports d’expériences. Maître Gyptah était un homme très organisé et Luc fut surpris de trouver les étagères divisées en sous-sections pour catégoriser les objectifs des expériences. Ainsi, il parcourut les étagères à la recherche des essais sur la gestion d'énergie, sur le contrôle des shakras ou tout ce qui pouvait toucher aux dysfonctionnements magiques.

  Il passa en revue deux bibliothèques avant de tomber sur un rayon entier affecté aux recherches énergétiques. Quand Luc s’en rendit compte, il se gratta la tête avec embarras. Il n’aurait jamais le temps de lire la totalité des documents. Il lui aurait fallu une vie entière. Mais ce n’était pas cela qui allait l’arrêter. Luc s’interrogea sur le classement interne du rayon avant d’être saisi par deux termes qui revenaient régulièrement dans les notes inscrites sur la couverture des cahiers.

 « Ignis, le feu, réfléchit-il à voix haute. Cela pourrait être intéressant. Oh ! Fulguriscurae. La guérison par l’électricité ? Je vais regarder cela aussi. »

  Luc piocha au hasard dans différentes sous-catégories avant de s’installer sur la table centrale pour lire les documents. Il étudia une dizaine de fiches de synthèse, et poussa la lecture de certains rapports, intrigué par la similitude des informations. Ils concernaient pour la plupart le même sujet d’étude, à des dates différentes.

 « Le sujet AOI réagit bien au traitement. Les anesthésiants ne font plus d’effets. Le sujet est donc tout à fait conscient lors des expériences. Je constate une évolution radicale des niveaux d’énergies. J’ai poussé…»

  La main de Luc se mit à trembler en poursuivant la lecture. Il se tut et se couvrit la bouche avec horreur. En silence, il découvrit toutes les atrocités qui furent exécutées sur des sujets vivants et conscients. Le jeune médecin ne voyait pas la finalité de ce genre d'expériences.

  En continuant sa lecture, Luc découvrit qu'un cobaye en particulier attirait l’attention du chercheur. Ce dernier semblait évaluer les différences entre le sujet AOI et les cobayes H15, G16 et S17. Qui était le savant fou qui avait tenté de modifier le contrôle magique de ces personnes ? C'était tout à fait inhumain et irresponsable.

  Près d'une heure plus tard, du bruit à l’entrée des archives surprit Luc. Il ferma les dossiers et les empila de façon à cacher les titres des cahiers. Quand il vit apparaître son maître, le médecin sourit poliment et le salua comme il en avait l'habitude.

  En apercevant son étudiant, Gyptah s’écria avec soulagement, dans un état d’ébriété avancé :

 « Ouf ! Je suis heureux que ce soit toi, Luc ! Hip ! Le vieux m’a fait rapatrier en urgence et j’espérais ne pas être attendu de pied ferme. Du coup, quand j’ai vu la lumière, j’ai pensé… Hip ! Mmm... J’ai besoin de me reposer avant de l’affronter. Le Dumlandcast n’est pas la porte d’à côté, au cas où ils l’auraient oublié. Bref ! Sa petite démone est bien trop informée si tu veux mon avis. J'aurais pas dû la faire aussi parfaite ! Maintenant elle m'agace. Qu’est-ce que tu faisais ?

 — Je cherchais un appui externe concernant un cas d’étude, répondit l’étudiant en restant évasif. Cela ne vous dérange pas j’espère ? Vous m’aviez …

 — Aucun souci ! le coupa le maître en sortant une bouteille d’alcool de dernière un tas de parchemin tout en se balançant légèrement d'avant en arrière pour garder son équilibre. Du moment que tu viens seul et que la rouquine ne te prend pas sur le fait, tu fais ce que bon te semble. Tu es bien trop vif et intelligent pour te contenter de la bibliothèque d’en haut. Hip ! »

  Gyptah avala goulument quelques gorgées à même le goulot puis rejoignit Luc, la bouteille à la main. Il s’installa pesamment sur le siège à l’autre bout de la table et croisa les talons sur le plateau. Sans gêne. C’était tout à fait ce qui définissait son référent, surtout quand il avait bu. Ce qui était dommage étant donné qu’il avait gardé un fort joli visage pour son âge. Luc savait que ce n’était pas naturel mais cela lui était égal et ne le regardait pas. Combien de sorciers se servaient de la magie pour améliorer leur apparence ? Il ne serait pas le premier à leur jeter la pierre.

  Voyant rapidement que son maître continuait à boire sans chercher à lui faire la conversation, Luc reprit prudemment la lecture des rapports d'expériences. Mais il n'eut pas l'occasion d'aller bien loin. Santhià apparut soudainement près de la table. Gyptah sursauta et partit à la renverse. Sans délicatesse, la lamie rappela vivement le maître à l’ordre.

 « Quand on vous dit de vous présentez directement à votre retour, ce n’est pas pour que vous ayez le temps de vous enivrer. Debout !

 — Oui, madame ! Hip ! »

  Gyptah se releva, tituba et s’approcha d’elle. Luc en profita pour ramasser les dossiers et déguerpir. Il étudierait les rapports dans le calme de l'infirmerie. Le maître de médecine ricana en regardant son favori prendre intelligemment la fuite avant de se tourner vers sa plus belle création.

 « Savez-vous que vous être encore plus charmante quand vous êtes en colère ? »

  Elle siffla entre ses dents et l'attrapa par le col. Il n'allait plus faire le malin très longtemps.

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