Loin du conte de fée [2/3]

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  La Milice arriva au moment où tout était revenu à la normale. L’infirmier leur rapporta une première fois les événements. Yugh, écouta en faisant semblant de dormir. Il échappa ainsi à leur interrogatoire. Ils reviendraient plus tard pour lui tandis que le médecin en chef fut immédiatement sommé de répondre de l’incident. Il les envoya se faire voir ailleurs avec une virulence qui étonna l’arkien.

  Nandru avait d’autres priorités. Arya venait de perdre connaissance, il devait s'assurer qu'elle ne repartirait pas en crise aussitôt qu'il aurait le dos tourné. Le capitaine de l'escouade promit une sanction à Nandru pour son manque de coopération. Cela ne fit ni chaud ni froid au médecin. Une fois les miliciens partis, Nandru quitta le chevet d’Al’raï. Il interpella l'infirmier en chef en se dirigeant vers la porte d'un pas vif :

 « Je dois m'absenter. J’ai besoin d’informations. Surveille-la. Parle-lui. Maintiens le contact : elle ne doit pas penser qu’elle est seule. Et même si elle semble dormir, je veux que tu lui parles. Entendu ?

 — Je n’entrerai pas là-dedans. »

  Luc se figea immédiatement et fit volte-face. Il ne s'attendait pas à ce que ses consignes soient critiquées. Avant que le médecin hausse le ton, Yugh se manifesta.

 « Je vais le faire. Je ne sais pas pourquoi elle m’écoute, mais ça l’a calmée tout à l'heure. Autant continuer, non ? »

  Luc hocha la tête et vint aider Yugh à s’installer près d’elle puisque les autres membres de l'infirmerie refusaient d'approcher la jeune fille après ce qu'il venait de se produire. Une fois le loup assis près d'Arya, le médecin lui remit un large bracelet fermé et rigide, lui conseillant de le mettre au poignet.

 « Si jamais elle fait une nouvelle crise, ça te mettra en sécurité.

 — T’es pas rassurant, doc. J’y mets du mien, tu sais ?

 — J’en ai conscience. »

  Le loup renifla avec dédain en suivant son conseil. Enfin, il interpella Arya à sa façon, puis lui parla de tout et de rien. Malgré le calme apparent, Nandru ne s’attarda pas et fila aux archives de son référent. Maître Gyptah avait plus d’expérience que lui dans le domaine magico-médical, Luc trouverait forcément des informations en rapport avec ce que vivait Al’raï. Il le fallait. Cela devenait urgent.


#


Le calme ! Enfin… La peur n’est plus qu’un pâle nuage à l’horizon. Elle se trouve dans un cratère à la terre desséché. Au-delà du cratère se trouve une forêt de sapins. Elle sent la chaleur du soleil sur sa peau, le parfum de résine. Elle respire de nouveau librement. La douleur n’est qu’un souvenir.

En se tournant, elle voit un loup. Il est grand et lumineux. Il se tient en dehors du cratère et la regarde. Il n’est pas menaçant. Elle se sent en sécurité. Elle sourit. Il s’assoit et la regarde. Elle aurait bien aimé le rejoindre, mais ses jambes refusent de bouger. Cela lui importe peu. Elle savoure la chaleur du soleil et respire l’air pur. Elle n’a plus froid. Elle n’a plus mal. Elle est épuisée.


Ж


  Deux hommes discutaient entre eux quand Arya ouvrit les yeux. Comme elle leur tournait le dos, couchée sur le côté, son réveil passa inaperçu. Elle connaissait les voix. Ou croyait les reconnaître. On aurait dit le loup et le médecin. Ce qui la fit douter, ce fut d'imaginer l’arkien échanger si posément avec un humain. Quand bien même l’homme en question possédait un regard différent des gens normaux.

  Après leur départ, Arya roula doucement sur le dos et soupira, un bras sur les yeux. Elle ignorait ce qu’elle faisait en isolement. Mais elle se doutait de la raison et ceci la démoralisa. Pourquoi perdait-elle de plus en plus souvent le contrôle depuis qu’elle était arrivée à Saltar ? Tandis qu’au Limcorie elle avait dérapé une dizaine de fois en quatre ans, à Saltar elle atteignait le même score en quelques jours seulement. C’était inquiétant et peu engageant pour l’avenir.

  Ses pensées échappèrent à sa volonté. Elle se remémora le rêve qu’elle venait de faire. Un songe bien étrange et tellement différent de ceux qu’elle faisait habituellement. Elle aurait bien aimé savoir ce que signifiait le cratère et la présence du loup blanc.

  Revenant à ses perceptions, Arya écouta attentivement les mouvements du corps médical avant de se laisser glisser hors du lit. Sans surprise, elle se trouvait en pleine possession de ses moyens physiques. Toutefois, elle découvrit qu’on l’avait à nouveau habillée de la robe à col ovale. Qui l’avait habillée ? Nandru ? Elle l'espérait un peu. Personne d'autre n'avait besoin de savoir pour son passé trouble. Arya attrapa la couverture et se drapa dedans.

  Au moment où elle faisait un pas vers la porte, Luc apparut.

 « Oh ! Tu es réveillée, parfait. Il faut qu’on parle.

 — Je suis désolée pour…

 — Hop ! Temps mort ! Je te coupe, mais c’est important. Tu dois m’écouter, commença-t-il en pénétrant dans la chambre. Ton état est préoccupant. Je ne veux pas t’inquiéter outre mesure, cependant, je me dois d’être clair avec toi. Tu as subi une crise très importante dans la nuit. Nous sommes parvenus à réparer les dégâts matériels mais je suis inquiet pour toi. Je n'irais pas jusqu'à dire que ton cas est catastrophique, mais il demeure très grave. »

  Arya observa la chambre autour d’elle et remarqua des traces identiques à son incident sur la place de Kolp-Réanne. La pierre avait fondu par endroit, pour le reste, elle avait changé de couleur, comme si elle avait fait peau neuve. Arya ferma les yeux, retenant des larmes de culpabilité. Luc s’approcha pour la réconforter, la princesse tendit le bras pour garder ses distances. Il fut désolé de la mettre dans un tel état et reprit :

 « Je sais que ce n’est pas facile pour toi, et j’aimerais que l’on travaille ensemble à la recherche d'une solution. Cela risque d’être long, mais ce n'est pas impossible. Ce terme ne fait pas partie de mon vocabulaire de toute façon. Et puis, il faut tout de même que je te dise que ma spécialité est justement la gestion d’énergie. Alors, considère qu’il n’y a pas plus calé que moi sur cette île. Maitre Gyptah est techniquement plus avancé que moi dans ce domaine mais je vais le dépasser. C’est ainsi que cela doit être de toute façon : l’élève dépassant le maître. Qu’en dis-tu ? »

  Trop de paroles. Trop d'interrogations. Trop de culpabilité. Arya lui adressa un regard lourd de reproches silencieux avant de répliquer entre agressivité et provocation :

 « Jamais tu te tais ?

 — Je sais, c’est un défaut que j’essaie de corriger chez moi, lui rétorqua Luc en souriant amicalement. Toutefois, cela ne répond pas à ma question. Me permets-tu de pousser mes recherches afin de t’aider ?

 — Pousser ? Cela signifie que tu as déjà commencé ?

 — Évidemment. Tu as failli détruire la zone quarantaine. Je ne sais pas si tu as bien conscience de ce que cela représente. Tu as mis à mal des sorts de contention à cinq couches. Tu as fait exploser la paroi qui sépare la salle de contrôle et la chambre. Sans compter que tu as détruit les instruments de mesure les plus avancés au monde. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ? »

  Arya déglutit en sentant la peur monter. La sortie était juste derrière lui. Elle n’avait qu’à lui passer à côté pour quitter cet endroit et ne jamais revenir. Sauf que la dernière fois qu’elle s’était promis de ne pas revenir, elle n’y était retournée que plus vite. Qu’est-ce qu’elle devait faire ? Luc sentait son hésitation. Son regard était fuyant. Elle était fermée. Pourtant, il lui semblait bien que la jeune fille avait tout à fait conscience de son problème. Il tenta de jouer là-dessus pour la convaincre.

 « Depuis combien de temps est-ce que ça dure ? Ces crises. Est-ce que c’est récent ? Est-ce que ça date ? Est-ce que tu sais combien tu en as fait ?»

 Arya lui lança un regard noir tandis qu’elle refermait ses bras contre son ventre. Après la peur, le froid s'insinuait en elle. Ses mains étaient glacées.

 « Je ne veux pas en parler. »

  Son ventre se tordit soudainement. Elle devait fuir. Survivre. D’une impulsion, Arya bouscula le médecin en lui passant à côté et quitta l’infirmerie. Luc tenta de la rattraper en lui courant après.

 « Attends ! Ne… »

  Elle claqua la porte en sortant comme un courant d'air, laissant le médecin désemparé.

 « …pars pas. »

  Un ricanement suivi d’une toux ramena l’attention de Nandru sur le dernier patient de l’infirmerie. Tous les autres avaient pu retourner à leur vie quotidienne. Yugh Wolfgang était en train de s’étouffer avec sa salive. Le médecin le regarda se remettre d’aplomb, ravi de cette punition immédiate.

 « Je parie que tu allais dire une méchanceté. Bien fait.

 — Oh ! Ça va, hein ! »

  L’arkien toussa encore un peu avant de demander tout à fait sérieusement.

 « Elle va revenir, pas vrai ? Et pas parce qu'elle l'aura voulu.

 — J’en ai bien peur. »

  Nandru ausculta l’arkien avec ses yeux d’elfisse et s’approcha pour lui défaire le bandage qu’il avait au visage. La brûlure avait disparu, laissant la peau simplement rougie. Avec une bonne crème, cela disparaîtrait en quelques jours. Il en fit état au loup qui se réjouit d’avoir gardé un visage séduisant. Sa réaction amusa Luc. Yugh Wolfgang n’était pas si désagréable quand on apprenait à le connaître un peu. Quand il laissait son armure de colère au placard, il pouvait même se montrer charmant.

 « Au fait, je vais bientôt pouvoir sortir ? Je m'ennuie et j'ai besoin d'exercices.

 — Je changerais tes pansements tout à l’heure. Nous verrons à ce moment-là. Mais il ne faudra pas forcer. »

  Le loup hocha la tête, prêt à suivre ses conseils. Luc lui sourit avant de retourner à ses études. Préoccupé par le cas d’Al’raï, le médecin ouvrit son cahier, extrapolant des hypothèses au sujet de ce qui aurait mené la jeune fille à une telle situation. Ses recherches n'avaient pas été très fructueuses pour le moment.


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