Santa Incognita [2/3]

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  Le matin venu, un repas lui fut apporté. Elle y toucha par politesse avant de sucer le jus de plusieurs figues d'ion pour réellement se sustenter. Enfin, elle se rendit à la première messe. À la fin des prières, Astralia fut rejointe par le Grand Mestre. Il lui fit visiter le Templion et lui raconta son histoire.

  Plus Astralia passait de temps dans les temples, plus elle trouvait leur fréquentation étrange. Quasiment personne n’y priait, quelle que soit l’heure du jour. Ni croyant, ni membre de l’Ordre. Elle n'avait jamais vu cela. Ce détail fut néanmoins supplanté par un autre, beaucoup plus grave, dès qu’elle s’en rendit compte.

 « Pourquoi n’y a-t-il que neuf temples ?

 — Parce qu’il n’y a que neuf dieux bien sûr. »

  La réponse de Setsuan inquiéta la jeune fille. Dans la cour centrale, elle tourna sur elle-même pour identifier les dieux majeurs qui manquaient à l’appel. Ce fut avec stupeur qu’Astralia nota l’absence du Gardien des âmes.

 « Vous ne priez pas Rorth ?

 — Pourquoi prier le Dieu de la Mort ? s’assombrit Setsuan.

 — Parce qu’il est aussi le Dieu de la Vie, répliqua la Sainte comme une évidence.

 — La vie ? Oui… La vie ! »

  Astralia dévisagea le Grand Mestre avec une inquiétude grandissante. Que lui arrivait-il ? Son discours était tellement étrange. Entre son obsession pour le sanctuaire et cette hérésie, trop d'incohérences perturbaient la jeune fille. La Sainte mobilisa ses forces et entra en contact avec l’âme de Setsuan. Le problème lui apparut rapidement. Le pauvre homme avait perdu une partie de lui-même et fonctionnait en suivant une boucle restreinte. Astralia remonta le fil de sa vie et trouva le bout manquant. Faisant appel à ses capacités divines, la jeune fille rendit à Setsuan ses souvenirs et le libéra de l'emprise néfaste qui limitait sa vie.

  Quand Astralia rouvrit les yeux, Setsuan pleurait. Ils étaient tous deux tombés à genoux au cours de la manœuvre. Compatissante, elle prit sa main et entoura le Grand Mestre d’un cocon d’amour. Cela n’apaiserait pas la douleur de l’épreuve qu’il avait traversée, mais cela lui montrait qu’il n’était plus seul.

  Lorsqu’il eut dominé son émotion, Setsuan regarda la Sainte avec un œil neuf.

 « Qui êtes-vous ?

 — Tout va bien, mon ami. Vous êtes libéré du mal qui assombrissait votre cœur. »

  Les souvenirs ressurgissant, Setsuan se releva le premier afin d’aider la jeune fille. Il surveilla nerveusement les environs puis raccompagna Astralia dans sa loge.

 « Je ne sais pas comment vous avez fait mais je vous remercie. J’ignore comment il m’a eu. J’ai lutté si longtemps contre lui. Il devait guetter le premier moment de faiblesse. Et il m’a eu ! Je me demande combien d’entre nous ont succombé.

 — De qui parlez-vous ?

 — Le Gardien ! Il ne voulait pas que les temples soient bâtis à Saltar. Il redoutait leur pouvoir. C’est pour cette raison que personne ne vient. Enfin, chaque année, quelques personnes parviennent jusqu’aux autels, mais au bout de quelques semaines, c’est terminé. Il les a tous sous son joug et seuls les membres de l’Ordre prient encore.

 — Si vous êtes tombé, se peut-il que les autres prêtres le soient aussi ?

 — Par tous les dieux ! C’est fort possible. Pouvez-vous les libérer de son emprise ? Comme vous l’avez fait avec moi ?

 —Rassemblez-les. Je ferai de mon mieux. »

  Setsuan la bénit puis courut chercher ses frères et ses sœurs spirituels. Il ne réalisait pas encore qu’il avait perdu près de vingt ans de sa vie. Astralia soupira. Une grande tâche l’attendait. Il fallait qu’elle s’en montre digne.

 « Tu devrais manger une dizaine de figues avant de commencer, lui glissa Fonaï du fond de sa poche. Cela t’évitera de faire un malaise.

 — Tous les prêtres ont été touchés, pas vrai ?

 — Belle Sainte chérie, tout le monde finit par être possédé par le Déchu sur cette île. Tu penses bien que les membres de l’Ordre qui sont là depuis des décennies sont les premiers à être tombés. Saman ne veut pas de l'Ordre ici. Ce serait contre-productif, tu ne penses pas ? »

  Astralia souffla pour se donner du courage puis elle suivit le conseil de Fonaï. Elle se nourrit convenablement dans sa loge avant de se rendre devant la statue de Sighna. Une quinzaine de personnes y étaient rassemblées. Setsuan la fixait avec une immense dévotion. La Sainte s’avança, étudiant les religieux ainsi réunis. La plupart ne semblait pas savoir ce qu’ils faisaient là. Tous avaient le regard égaré. Astralia s’avança et individuellement, les libéra de l’emprise du Gardien.

  Comme elle s’y attendait ce fut difficile. Âme après âme, Astralia devait se lier et parcourir la vie de celui ou celle qu’elle cherchait à ramener vers la lumière. Cela lui demandait toujours plus d’énergie, pour y retourner, recommencer, chercher ce qui leur avait été arraché. Certain avait perdu un trait de personnalité, d’autres, un pan entier de leur histoire. Dans tout les cas, on leur avait enlevé une partie d’eux-mêmes qui leur était chère, une part importante qui faisait d’eux ce qu’ils étaient. Cela ne les changeait pas fondamentalement mais suffisait à les rendre vulnérable. C’était en les affaiblissant que le Gardien de Saltar les avait corrompu.

  Sans que Fonaï n’ait à le lui souligner, Astralia évita autant que possible de se frotter à cette noirceur qu’elle percevait en eux. La jeune fille ramena la lumière en ravivant la foi du religieux qu’elle libérait. Elle n’inondait pas la personne de puissance divine. En somme, elle n’était que l’impulsion nécessaire à leur propre libération. Cela n’aurait pas été efficace autrement. Pire encore, le Gardien l’aurait senti. Or, il fallait qu’il ignore le plus longtemps possible qu’elle était déjà là. Hevlaska le lui avait conseillé.

  La dernière libération effectuée, Astralia s’effondra, haletante, épuisée. Les religieux la bénirent et Setsuan la fit porter dans sa loge où elle fut nourrie, puis bordée. Elle s’endormit rapidement, reprenant des forces pour la bataille suivante.

  Lorsque tous les religieux du Templion furent libérés, le Grand Mestre ordonna à chacun de renouveler tous les sorts de protections et de prier aussi longtemps qu’ils en auraient la force, afin de rendre aux temples leur énergie d’origine. Un tour de garde fut mis en place. Certains décidèrent de dormir au cœur du sanctuaire afin que personne n’approche la Sainte durant son sommeil. L’effervescence régna de longues heures dans le Templion. Beaucoup célébrèrent ce joyeux renouveau. Il fallait toutefois se montrer prudent. Le Gardien veillait jour et nuit.


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