Bienvenue chez vous [3/5]

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  La population sembla se stabiliser dans la salle. Il y avait du monde, mais c’était respirable. Malgré cela, Arya ne décroisa pas les bras. Elle avait toujours sa coupe entre les mains ; il ne manquait qu’une gorgée du liquide alcoolisé. La princesse avait d’autres préoccupations. Sa vision se faisait parfois floue et elle maîtrisait les quelques vertiges passagers associés. Malgré elle, Arya resta étrangère aux conversations de ses compagnons. Elle n’osait pas imaginer l’ampleur des dégâts si elle craquait dans cette salle.

  Des cors sonnèrent. Arya sursauta. Elle prit une grande inspiration puis se montra attentive, tout en souriant à ses compagnons pour ne pas les inquiéter. Mais ce n’était qu’une modeste apparence. Le malaise s’était bien installé.

  Les invités devinrent silencieux et on n’entendit bientôt que le son des instruments qui annonçaient l’arrivée du Gardien.

 « Toujours à se faire remarquer ! commenta Lola en revenant vers le groupe, Suna sur ses talons, une bouteille de vin à la main. Il ne sait pas faire les choses simplement. »

  Mora attrapa Lola par le bras, contente de son retour, puis sourit à Suna. Arya leur fit un petit signe pour montrer qu’elle suivait tout de même ce qu’il se passait autour d’elle tandis que Zoann retenait Ruy de se jeter sur un plateau de petits-fours.

 « Je suis tout à fait d’accord avec ta colocataire, approuva une voix à l’oreille d’Arya qui se retourna vivement, surprise de ne pas avoir senti la présence à ses côtés. Le Gardien ne sait pas ce qu’est la discrétion. »

  Remise de sa surprise, Arya salua poliment Luc Nandru, l’étudiant en médecine, puis respira profondément pour calmer les battements affolés de son cœur. L’instant suivant, le bagrilien se penchait vers eux pour s’assurer que tout allait bien et Arya fit les présentations.

 « Zoann Vulcain, preux chevalier sauveur de demoiselle en détresse, Luc Nandru, grand couturier sur peau de loup et médecin en chef de l’infirmerie.

 — Par intérim, compléta Luc. Enchanté.

 — De même. »

  Ils se serrèrent la main. Arya pensait pouvoir retourner à ses angoisses afin de garder le contrôle, mais le médecin l’en détourna.

 « Cette robe te va à ravir, princesse. Je dirai même que tu honores les couleurs de ta famille.»

  Arya le dévisagea avec étonnement.

 « Pardon ?

 — C’est moi qui te demande pardon : je me suis renseigné sur ton nom. Il me disait quelque chose, mais je n’arrivais pas à me souvenir des circonstances ; du coup j’ai fait des recherches. Peut-être devrais-je te vouvoyer au final, parce que tu es tout de même une héritière de sang royal et avec ces histoires de protocole, légalement, je pourrais être condamné pour lèse-majesté. Je suis navré si mes propos te choquent, je suis originaire de Symarie, et là-bas, la royauté n’est pas très bien vue. Même si je reconnais tout à fait la légitimité des états gouvernés par un roi, ou une reine. Quoi qu’il en soit, tu portes avec grâce les couleurs de ta famille. »

  Il lui fallut quelques instants pour bien comprendre de quoi le médecin l’entretenait. Après cela, Arya déglutit difficilement. Si Nandru avait pu trouver des informations sur sa famille, elle le pourrait aussi. Le cœur battant la chamade, elle se tourna vers lui et ouvrit la bouche pour le questionner quand la musique changea soudainement.

 « Ah ! Tiens ! Il arrive. Tu devrais regarder, princesse, ça vaut le détour. Autant de mise en scène pour un vieillard plusieurs fois centenaire, ça frise le ridicule… »

  Arya soupira et jeta un coup d’œil à l’étrange ballet qui se déroulait sous leurs yeux, tout en se persuadant qu’elle ne resterait pas longtemps. Des danseuses avaient pris place sur la piste et se déhanchaient, tournoyaient et tapaient du pied au rythme des tambours et des flûtes, jusqu’au dernier coup de tambourin sur lequel le Gardien, tout de rouge et d’or vêtu, et comme rajeuni de quelques décennies, apparut au centre de la ronde faite par les danseuses.

 « Bonsoir ! »

  La musique s’évanouit en même temps que les danseuses. Le silence régnait parmi les invités habitués aux fastes du Gardien. Luménor marcha jusqu’à son siège avec aisance, puis, faisant face à l’assistance dans une grande envolée de cape, il déclama avec emphase :

 « Bonsoir à tous, jeunes gens et amis de longue date ! Merci à tous d’être présents ! Ce soir, je tiens tout particulièrement à saluer les anciens élèves, non pas qu’ils aient quitté l’école et qu’ils soient revenus pour l’occasion, bien que ce soit le cas de certains d’entre vous, chers ambassadeurs ! Non, je salue ceux qui entament cette année leur deuxième année parmi nous et qui ont participé à l’organisation de l’événement. Applaudissons-les ! »

  Une grande ovation secoua la salle, comme si cela avait été programmé. Arya jeta un coup d’œil au groupe sur sa gauche et vit Lola qui frappait avec beaucoup d’énergie dans ses mains sans se rendre compte qu’elle ne faisait pratiquement pas de bruit à cause de ses gants. À sa droite, Luc se montrait au contraire plutôt mou, mais ses yeux fixaient le Gardien avec détermination ; il avait un air étonnamment sérieux pour l’occasion. Arya reporta son attention sur Luménor qui continuait :

 « Applaudissez également ceux qui ont plus de deux années d’ancienneté. Félicitations ! Je salue votre endurance à subir tout ce que nous vous faisons subir. »

  Une nouvelle vague d’encouragements secoua l’assistance. Tout aussi fausse que la précédente. La précision des réactions semblait automatique. Le malaise d'Arya s’amplifia. Elle croisa le regard amusé de Luc. Puis le silence reprit ses droits et Luménor continua :

 « Mais une nouvelle année ne serait rien sans ses nouveaux élèves. Applaudissez-les bien fort! Allons plus fort que ça ! Félicitations jeunes gens, et bienvenue parmi nous. Bienvenue ! Vous êtes les rois de cette soirée ! »

  Certains visages étaient trop sérieux pour exprimer tant d'enthousiasme. Toutes ces personnes semblaient agir contre leur volonté. Ou bien elles étaient manipulées. À moins que sa paranoïa lui jouât des tours. Un nouveau vertige saisit Arya à bras le corps, mais elle fut assez forte pour le gérer sans inquiéter ceux qui l’entouraient en fermant un instant les yeux. Quoi qu’il en soit, le gardien n’en avait pas terminé.

 « Bien ! Sans plus tarder, je vais demander à nos deux champions de venir me rejoindre. Applaudissez Mégane Saltz et Xaan Talin, les vainqueurs du tournoi de cette heureuse année! »

  Xaan se tenait en retrait dans un coin de la salle, se faisant oublier de tous. Il grimaça en entendant l'invitation puis entra dans la lumière. Il fit simple et se téléporta aux côtés du Gardien tandis que Mégane fendait la foule pour parvenir jusqu’à eux, toute fière dans sa volumineuse robe prune. Une fois sur l’estrade, Mégane salua la foule avec un air supérieur. Pendant ce temps, au repos militaire, les mains dans le dos, Xaan scrutait la salle avec attention, dans son costume d’apparat noir cousu d’or. Il repéra le capitaine Roman étriqué dans son bel habit bleu et sourit d’un air condescendant. Luménor ne prêta pas attention à l’humeur des jeunes gens et poursuivit :

 « Comme vous devez le savoir, les champions ont certains privilèges, dont celui d’ouvrir le bal. Alors, je vous en prie ! La piste est à vous. »

  Avec une gestuelle très théâtrale, le Gardien leur indiqua le centre de la salle. La foule s’était retirée pour leur faire place. Xaan se retint de lever les yeux au ciel. Valser avec Mégane ? Quelle horreur ! Il lui tendit néanmoins la main pour l’accompagner le temps de redescendre les marches, avant de l’attirer brusquement dans ses bras une fois sur la piste. Elle lâcha un petit hoquet de surprise.

 « Quelle délicatesse !

 — Tout ce que tu mérites ma douce, susurra-t-il avec un sourire forcé. Ravi de voir que tu t’es remise du tournoi.

 — Merci de t’en inquiéter.

 — C’est par politesse. Demain je t’aurais oubliée.»

  Saltz l’espérait vraiment. Son partenaire semblait savoir danser, ou donnait l’impression de savoir, mais il était beaucoup trop brutal dans ses mouvements. Elle sentait qu’il n’avait pas envie d’être là, et le lui faisait sentir.

  Après quelques tours seuls en piste, d’autres danseurs les rejoignirent. Parmi eux, Tobias-Argan Shahama avait réussi à convaincre Arya Al’raï de lui donner la première valse. Zoann Vulcain avait invité Mora Alayne et Lola Thouve s’était trouvé un charmant cavalier, laissant Ruy aux bons soins de Suna qui s’en trouva ravie au point de faire une gueule de dix pieds de long.

  Luc Nandru quant à lui ne perdit pas son nouveau sujet d’étude de vue. Avec sa vision toute particulière, il scanna sa patiente instable à différent niveau, guidé par ce qu’il lui avait tu de ses recherches. Le portrait moral qu’il pouvait faire de la princesse de Darcie était plutôt flatteur. Mais, depuis son passage à l’infirmerie, il savait qu’elle n’était pas venue à Saltar pour y être vue. Elle cachait de profondes blessures, loin d’être accidentelles ; Luc pouvait l’affirmer en comptant les superpositions de cicatrices. Celui qui lui avait fait cela s’était acharné sur elle pendant des années.

  Le médecin inspira en cessant de scanner sa patiente et sourit à Arya en croisant son regard. Elle revenait vers eux au bras du Dauphin qui s’éloigna après un baisemain pour retrouver sa cavalière suivante. Zoann et Mora les rejoignirent également et le bagrilien offrit sa main à Arya pour la danse suivante. Mise en joie par la première danse, la princesse accepta, tandis que Mora entamait une conversation avec Suna. La situation permit à Luc de continuer son examen.

  Sa curiosité avait pris le pas sur sa volonté de prévenir la jeune fille. Luc passa à une recherche plus approfondie. Il voulait savoir si l’esprit de la jeune fille avait souffert de ces mauvais traitements, ce qui pourrait expliquer son instabilité. Malheureusement, le médecin fut incapable de distinguer quoi que ce soit avec précision. Arya était parasitée par quatre entités. Ces dernières étaient en mouvement et s’associaient pour la cerner ; était-ce une protection ou une malédiction ?

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