Bienvenue chez vous [1/5]

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  Tombé du lit bien avant l’aube, Talin revenait des manœuvres matinales. Le capitaine Roman, à peine plus vieux que lui, avait brandi son fanion de chef sans aucune subtilité et avec tant d’acharnement que Xaan n’avait pas ployé l’échine. Bien au contraire, il l’avait provoqué et déstabilisé.

  En y repensant, l’assassin ricana. Il s’était bien amusé, même s’il avait écopé du nettoyage du gymnase et de quelques avertissements. Roman semblait l’avoir bien pris en grippe. Cela promettait quelques accrochages. Au moins, il ne s’ennuierait pas.

  En retournant dans sa chambre après une bonne douche, Xaan eut la joie de retrouver un visage familier.

 « Tu es sensé t’intégrer, râla la voyante d’entrée de jeu.

 — Bonjour grand-mère ! Comment allez-vous ? »

  Qu’il change de sujet agaça la vieillarde. Assise au bord du lit, Hevlaska semblait encore plus petite que d’ordinaire. Tout pimpant, presque chantonnant, Xaan s’arrêta devant son armoire, pas gêné de se promener en serviette, torse nu devant elle. Il retrouva tout de même un peu de sérieux en étudiant les tenues qui composaient sa nouvelle garde-robe.

 « Comment voulez-vous que je m’intègre avec un supérieur incompétent ? J’aimerais bien vous y voir. Soyez déjà satisfaite que je ne l’aie pas tué. Cet imbécile le mériterait bien.

 — Tu n’oserais pas ! s’offusqua Hevlaska.

 — Ce serait une option pourtant : je le tue et je prends sa place à la tête de l’unité. Cela me ferait une belle promotion ! Comment voulez-vous que j’entre dans les bonnes grâces du Gardien sinon ?

 — Je te l’interdis.

 — Pourquoi ? »

  Hevlaska mâcha ses gencives. Elle aurait bien aimé aborder d’autres sujets.

  En attendant la réponse qui tardait à venir, Talin s’habilla. Chemise ample resserrée aux poignets et caban sombre dans le style aptan, simple et sobre, pantalon assorti. Il s’assit ensuite pour enfiler ses bottes tout en jetant un coup d’œil à sa créancière, il la relança en silence.

 « Roman a encore un rôle à jouer, lui répondit-elle finalement. Laisse-le tranquille. Intéresse-toi plutôt aux événements à venir et à ton propre rôle dans tout cela.

 — C’est-à-dire ? »

  Elle soupira puis se passa la langue sur les lèvres avant de s’expliquer.

 « Maintenant que tu es éveillé, tu as certaines responsabilités. »

  Talin se figea et la fixa. Il n’était pas certain de comprendre.

 « Comment ça éveillé ? À quoi faites-vous référence ?

 — Évidemment, soupira-t-elle, tu ne sais pas de quoi je parle… c’est agaçant.

 — Je vous rassure, c’est réciproque. Allez-y crachez le morceau ! »

  Hevlaska soupira plus fort, excédée, puis commença son récit.

 « Quand le Déchu fut expulsé des Jardins Célestes, les dieux lancèrent des créatures divines à sa poursuite afin de l’anéantir. Elles parvinrent à détruire le corps mortel de Luménor et ramenèrent la paix dans le monde. Les Créatures, ne pouvant quitter le monde terrestre, se dispersèrent afin de garantir et maintenir la paix. À leur mort, ils léguèrent leurs dons divins à leurs descendants. Et tu es l’un d’eux.

 — Première nouvelle ! railla-t-il en se claquant la cuisse.

 — Ce n’est pas une plaisanterie, martela-t-elle en haussant la voix. Face au Phénix dans les flammes, l’Ombre s’est éveillée. N’as-tu rien senti ?

 — Si, mais c’était au contact d’Al’raï. Attendez… C’est elle est votre Phénix ?

 — Oui. Cette jeune femme est sa descendante, tout comme tu es le descendant de l’Ombre. Cela te confère certains devoirs.

 — Lesquels par exemple ? se renseigna-t-il dubitatif.

 — La protection du monde et l’anéantissement de Luménor.

 — Rien que ça ? »

  Xaan explosa de rire. Qui était assez fou pour le prendre pour un héros ? Il pouffa encore quelques minutes avant de retrouver assez de sérieux pour répondre à la voyante.

 « Il faudra vous contenter de la dette que j’ai envers vous, grand-mère. Ne fondez pas trop d’espoir sur moi. Vous seriez déçue.

 — Ta réaction me prouve le contraire. »

  Talin quitta la pièce sans prendre la peine de lui répondre. Que la vieille carne lui accorde tant de crédit le dérangeait. Il n’était qu’un assassin, un homme formé pour tuer. Rien d’autre. Qui voudrait porter l’avenir du monde sur ses épaules ? Puis, rien n’avait changé chez lui. Il ne se sentait pas différent. Qu’est-ce que la vieillarde essayait de lui mettre dans la tête ?


Ж

  Contrairement à son habitude, ce ne fut pas un cauchemar qui tira Arya de son maigre sommeil, mais Lola Thouve, l'une de ses nouvelles colocataires. Elle fit irruption dans la chambre, suivie d'un chariot contenant le petit déjeuner. Arya se blottit contre le mur le temps d’évaluer la menace, le cœur battant la chamade.

  De l'autre côté de la chambre, Mora se réjouit naïvement de tant d’attentions dès que la léovienne passa le seuil de la porte en chantonnant. Elles commencèrent à discuter joyeusement toutes les deux.

  C’était trop oppressant pour Arya cette intrusion. À la première occasion, elle prit la poudre d'escampette. Elle profita d’un moment où Lola lui tournait le dos pour quitter la chambre. Elle se retrouva nez à nez avec Suna dans le salon. La jeune femme ne fut pas surprise que sa nouvelle colocataire prenne la fuite. Elle se revoyait elle-même quelques années auparavant. Face à l’air coupable de la princesse, Suna la rassura à sa façon.

 « Ouais, je sais, Lola en fait trop.

 — Ce n'est pas mon truc, ce genre de...

 — Je comprends. Lola ne t'en voudra pas si tu l'esquives. Elle a l'habitude. Mais attends-toi à ce qu'elle revienne à la charge. Elle est tenace. Et elle t’aime bien. Elle aime tout le monde de toute façon.

 — Merci. Pour le conseil.

 — De rien. »

  Suna passa son chemin en croquant la pomme qu’elle tenait à la main. Arya s’enferma dans la salle de bain pour se changer. Fréquenter des inconnus développait un sentiment d'angoisse chez elle. Arya se secoua en tâchant de revenir à la raison. Lola avait sûrement voulu leur souhaiter la bienvenue. D'une manière intrusive et exagérée, mais cela partait de bons sentiments, non ? Arya frissonna, le froid l'envahissait peu à peu. Elle se rendit aux terrains d’entraînement pour se défouler et oublier à quel point elle pouvait être lâche en certaines circonstances.

 « Hé bien… Qui t'a encore contrariée, princesse ? »

  Zoann s’appuya au mannequin voisin tandis qu’elle cessait de passer ses nerfs sur un ennemi fait de bois et de rouages. Le fils des montagnes affichait un large sourire amusé. Essoufflée, Arya lui rétorqua dans la foulée :

 « Le preux chevalier est toujours prêt à sauver la demoiselle en détresse, hein ?

 — Si tu en vois une, indique-la-moi ! »

  La bonne humeur de Zoann eut raison des sombres pensées d'Arya, une fois encore. Elle lui sourit avant de le défier de son épée. Il dégaina la sienne et ils combattirent amicalement. Le bagrilien se moqua d'elle autant qu'il lui donna des conseils et Arya s'amusa autant qu'elle apprit. Cela dura toute la matinée. Ils grignotèrent et se rafraîchirent au réfectoire après leurs exercices, puis ils se séparèrent. Le bal de bienvenue, organisé pour clôturer les sélections annuelles, nécessitait une tenue adéquate et ils avaient tous les deux besoin d’un bon bain.


Ж

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