Le calme avant la tempête [3/3]

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Ж


  Le lendemain, la princesse se leva aux aurores. Elle demanda à Lauriane de faire nettoyer la tenue prêtée par le médecin, le temps qu'elle aille s'occuper des affaires administratives. À son retour, des amis l'attendaient dans le salon en buvant le thé avec sa dame de compagnie. Sans savoir pourquoi revoir Ruy, Mora et Zoann lui faisait chaud au cœur, elle les rejoignit et laissa un instant sa déconfiture de côté.

  Pourtant, son masque ne trompa pas la perspicacité de la fluvienne qui finit par aborder le sujet, après que Ruy ait terminé d’engloutir le plat de biscuits.

 « Qu'est-ce qui te turlupine, ma belle ? »

  Embarrassée, Arya mit un peu de temps à répondre. Pouvait-elle se montrer honnête ou devait-elle garder ses problèmes pour elle ? La question avait attiré l'attention générale et la jeune fille céda sous la pression de leurs regards.

 « Le prix de cet appartement est exubérant. Je n'ai pas les moyens de le garder pour la durée des études. Il va falloir que je trouve une autre solution. »

  Porte-parole de la famille Maceri, Lauriane répondit immédiatement que les frais seraient à la charge du roi Kol. Arya savait pertinemment qu’elle dépendait d’eux, mais il y avait des limites. Payer oui. Se ruiner non. Les garçons restèrent silencieux, ne trouvant rien à dire. Ce fut Mora qui se montra la plus créative.

« Est-ce que cela te dirait qu'on partage une chambre ? Il n'y a pas de honte à vivre en communauté.»

  Le sourire chaleureux de Mora réconforta Arya qui accepta d'étudier sa proposition. Ruy réagit avec enthousiasme à leur future proximité. Zoann lui offrit un bonbon pour qu'il se calme tandis que les trois demoiselles bavardaient sérieusement de la logistique.

  En fin d’après-midi, tout était réglé. Les papiers avaient été signés, les affaires emballées puis déplacées en un temps record grâce à la force surhumaine de Zoann.

  Pendant que La’ori déplaçait ses affaires, Lauriane fit sa valise. Elle préférait prendre le chemin du retour. L'idée de défier Ju aux festivités d'automne avait fait son bout de chemin, et elle désirait vraiment tenter le coup. La nouvelle attrista la princesse qui insista tout de même pour la raccompagner jusqu’au port. Sur le quai, Lauriane lui prodigua ses derniers conseils.

 « Mora a l’air d’une jeune femme très bien. J’espère que vous lui accorderez la même confiance qu'à moi. Vous avez fait de belles rencontres, ajouta Lauriane en désignant le trio derrière elles. Je prierai pour que cela continue. Vous méritez d’être heureuse et bien entourée, La’ori. Je transmettrais votre lettre aux princes ou je la leur lirai avec le ton adéquat.

 — Merci pour tout. »

  Lauriane salua les nouveaux amis de sa princesse puis Arya la prit impulsivement dans ses bras. L’étreinte fut encore trop courte pour la princesse. Elle perdait là son dernier repère de longue date. Arya la regarda monter à bord du navire qui la ramènerait à Kolp-Réanne. La séparation se fit en douceur. Même si l’émotion lui étreignait le cœur, Arya ne se sentait pas extrêmement mal. Elle était juste triste.

  Entourée de ses nouveaux compagnons, Arya tourna le dos à la mer et rentra à l’Université. Zoann et Ruy laissèrent les filles prendre leurs marques dans leur nouveau logement et s’en allèrent s’accommoder à leur propre chambre.

  Mora se laissa tomber sur son lit et testa le matelas en souriant.

 « On sera bien ici ! C’est coquet. »

  La fluvienne n’avait pas tort. La chambre était agréable. Les deux lits étaient disposés dans des alcôves qui leur garantissaient un minimum d’intimité. Elles possédaient chacune une armoire pour ranger leurs affaires. Pour le reste, elles partageraient un salon, une pièce d'eau et une petite salle d’étude avec deux autres filles qui résidaient dans une autre chambre du logement. Le tout était aussi grand que la simple salle à manger de l'appartement occupé par la délégation limcorienne. Arya se sentait bien dans ce nouvel environnement. Selon elle, Mora y était pour beaucoup. Tout comme Zoann, sa joie de vivre était contagieuse.

  Assise sur son lit, à deux pas de la fenêtre ouverte, Arya observait sa camarade. Mora était en train de profiter de la vue du soleil couchant sur les jardins quand du bruit dans le salon leur fit dresser l'oreille. Le sourire de la fluvienne s'élargit à la perspective de rencontrer les deux autres colocataires. Arya la laissa filer. Une conversation joyeuse s’engagea rapidement. La princesse souffla pour se donner du courage puis se dirigea vers la pièce commune.

  Dès qu’elle passa la porte, Mora l’attrapa par le bras.

 « Viens-là que je te présente, ma belle ! »

  Vivement entraînée, Arya salua une métisse vêtue d’une armure de cuir sombre. Plutôt taciturne, Suna rentrait d'un entraînement musclé. La grande brune les abandonna rapidement pour se décrasser, tout de suite remplacée par une sorte de bonbon rose et violet qui accapara toute son attention. Lola Thouve se lança dans une grande présentation autobiographique, probablement longuement répétée en vue d’une rencontre amicale. Arya sourit en pensant avoir en face d'elle le sosie féminin de Ruy. Même si avec des cheveux roses comme les siens, on devait la voir venir de beaucoup plus loin.

 « Han ! Tu as des cheveux magnifiques ! C'est naturel ? »

  Distraite par ses pensées, Arya attrapa brusquement le poignet de Lola qui avait voulu tripoter ses cheveux. Choquée, la jeune fille la dévisagea avec des yeux exorbités. Elle s’était figée de peur. Arya la relâcha doucement, lui présenta ses excuses puis retourna dans sa chambre récupérer la tenue prêtée par le médecin. Perturbée par tant de nouveauté, et par sa propre sauvagerie, Arya prit la fuite.

 « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? s’inquiéta Lola, sincèrement désolée.

 — Je crois que tu as été un peu vive. Elle sort tout juste de l'infirmerie. Mais ne t’en fait pas, la consola Mora, laisse-lui le temps de s’habituer. Cela fait beaucoup de changement en peu de temps pour nous. »


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  Au cœur de la tour, Arya s'immobilisa face à l'immense escalier sculpté. Tout était immense, hors de proportions. Un lustre gigantesque baignait de hall de son agréable lumière. Les voûtes culminaient une dizaine de mètres au-dessus de leurs têtes. Quelques personnes transitaient, mais il n'y avait que la princesse égarée pour tourner sur elle-même en observant chaque détail, appréciant l’étrangeté de l’endroit.

  Une main tapota son épaule. Arya sursauta et se retourna vivement, serrant son paquet contre elle. Une soutane bleue lui proposa son aide. Rassurée, la princesse demanda sa direction. Elle prit poliment congé après avoir consciencieusement mémorisé son itinéraire jusqu'à reconnaître le couloir qu'elle avait emprunté pour quitter l’infirmerie.

  Immobilisée à deux pas de l’office, la princesse regarda à droite puis à gauche dans le couloir désert, hésitant à toquer. Elle choisit finalement d’entrer sans frapper pour ne pas déranger.

  Vivant quasiment à l’infirmerie, Luc Nandru fut surpris de revoir sa patiente. Venait-elle faire sa nuitée en quarantaine ? Ce serait fort raisonnable de sa part. Il lâcha sa tâche en cours pour venir à sa rencontre.

 « Bonsoir Arya ! Tu permets que je t’appelle par ton prénom ? Comment te sens-tu ? Que puis-je faire pour toi ? Cela ne te dérange pas que je te tutoie ? On peut tous les deux se tutoyer, c’est plus convivial. Je ne suis pas excessivement vieux, vu mes responsabilités, mais parmi les étudiants, je fais partie de la tranche la plus âgée, pour un humain bien entendu. Je ne rivalise pas avec mes amis arguennes et sorogs. Que puis-je faire pour toi, princesse ? »

  Arya garda ses distances. Tant de questions en si peu de temps. Elle se contenta de hocher la tête en évitant le regard dérangeant du médecin.

 « Je venais juste rendre ceci.»

  Luc récupéra les vêtements et la couverture soigneusement pliés. Il la remercia et posa l’ensemble sur son bureau. Pendant ce temps-là, Arya patienta au milieu de l’allée, ses yeux balayant la salle principale. Les lits s'étaient vidés, mais pas tous. Elle aperçut son partenaire d'examen toujours alité. Spontanément, elle demanda de ses nouvelles.

 « Quand il ne dort pas, il mange, et dès qu'il a fini de manger, il s'endort. Mais c'est bon signe. Il va s'en sortir. Et toi ? Pas de nouvelle fuite ?»

  Arya rougit de honte et fit non de la tête, les yeux baissés. Cela ne lui ressemblait pas de perdre sa langue comme ça. Elle s’en voulait, et se sentait stupide de réagir de cette façon. Mais son regard inquisiteur l’oppressait. Luc s’en rendit compte et essaya de moins montrer sa curiosité. Un silence inconfortable s'installa. Le médecin le brisa rapidement.

 « Tu peux aller au chevet du loup si tu veux. Si tu lui parles, ça le motivera peut-être à guérir plus rapidement. On a tous hâte qu’il quitte l’office. Tu n’as pas menti. Il a été exécrable. »

  Arya accepta avec précipitation et se retrouva aux côtés de l'arkien endormi. Elle se sentait idiote plantée là, les bras ballants. Elle jeta un rapide coup d’œil au médecin. Nandru avait repris ses activités. Elle soupira puis se pencha un peu vers son ex-partenaire. Yugh Wolfgang avait la tête bandée. Le drap était remonté jusqu'aux épaules. Il avait l’air paisible et vulnérable, si loin de la boule de colère sur pattes. C'était beau à voir. Arya pouffa à cette réflexion. Elle imaginait déjà la réaction de l’arkien irascible, hurlant après l’humaine parce qu’elle avait osé poser les yeux sur lui. Elle finit par soupirer en souriant.

  Luc s'amusa des mimiques de sa patiente. Il l'observait de derrière son bureau. La voir si allègre lui fit plaisir. Après avoir retranscrit ce qu'il avait pu observer chez elle, il se questionnait sérieusement à son propos. Sur l’origine de ses cicatrices, à propos de ses fuites magiques également. Il n’avait pas eu l’occasion de la scanner complètement. Les enregistrements de la quarantaine avaient suscité de nouvelles interrogations. Luc finirait par obtenir des réponses. C’était dans sa nature d’aller au bout de ses pistes de réflexion. Al’raï était devenu son nouveau sujet d’étude, mais elle ne le savait pas encore. Elle le rejoignit et demanda de quoi écrire. Elle souhaitait laisser un mot d'encouragement à l’arkien. Luc reconnaissait que le loup s'était bien battu. Il méritait sa place. Elle écrivit un petit mot et lui laissa le soin de le transmettre. Elle quitta l’infirmerie l’air apaisé.

  Quelques minutes plus tard, Yugh revint à lui, à la grande surprise du médecin qui bondit de son siège pour venir à son chevet. Nandru se servit de ses yeux modifiés pour ausculter l’arkien sans le toucher. Une fois rassuré sur l’état de santé de son patient, il lui apprit que sa coéquipière était passée prendre de ses nouvelles et lui tendit le billet. Cela ne fit que jeter de l'huile sur le feu. Le médecin ne s’attendait pas à cette explosion de haine. Adieu tranquillité !

 « Qu’est-ce qu’elle me voulait celle-là ? s'emporta Yugh en froissant le mot sans le lire. Vérifier que j’étais bien mort ?

 — Elle avait plutôt l’air de quelqu’un qui se fait du souci pour une personne avec qui elle a partagé une expérience marquante.

 — Hein ?

 — Elle s’inquiétait pour toi.

 — L’humaine ? S’inquiéter pour moi ? T’as dû abuser de certaines plantes, doc !

 — Tu es libre de penser ce que tu veux, je donnais juste mon avis.

 — Je me fous de ce que tu penses, tu n’es qu’une sale larve humaine !

 — Tu me sembles en pleine forme.

 — Je t'ai rien demandé !

 — Je t’en prie, c’est gratuit. »

  Perdant la joute verbale, Yugh roula sur le côté et ne montra plus que son dos au médecin. Il boudait. Encore trop faible, le loup ne quitterait pas l’infirmerie avant d’être rétabli. C'était agaçant pour un prédateur tel que lui mais il avait compris qu’il avait survécu par miracle. Par orgueil, il s’était laissé emporté et aveuglé par la rage. Pour quel résultat ? Obligé de garder le lit pour laisser à son corps le temps de se remettre de ses blessures. Blessures provoquées par cette humaine complètement tarée. Il ne voulait plus jamais qu’elle l’approche. Elle était un danger ambulant ! C’était criminel de la laisser se balader en toute liberté. Pourtant, savoir qu’elle s’inquiétait pour lui toucha une corde sensible et lui fit plaisir. Ce qu’il s’empressa d’étouffer immédiatement.

  La tempête passée, Nandru retourna à ses papiers. Il savait très bien que Wolfgang ne s'était pas rendormi. D'ailleurs, l'arkien n'attendit pas dix minutes avant de le rappeler.

 « Hé ! Doc ! J'ai faim ! Je ne veux pas de bouillie cette fois ! Elle est dégueulasse votre bouillie. Je ne suis pas un mouton. Je veux de la viande ! »

  Luc soupira et lui fit apporter un repas un peu plus consistant tout en y ajoutant quelques plantes qui accéléreraient sa guérison. Encore heureux que l’arkien se régénère plus rapidement qu’un humain.

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