Le calme avant la tempête [2/3]

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  Yugh se réveilla brusquement quand le médecin frôla son visage quelques secondes plus tard. La douleur le fit hurler à la mort. Il planta ses griffes dans le matelas.

  Le médecin soupira, au bord de l'épuisement.

 «Décidément, tu ne te laisses pas faire facilement toi…»

  Luc attrapa une nouvelle seringue sur le plateau et la remplit de sédatif. Il avait utilisé la dose préparée pour calmer la crise d’Al’raï.

  Yugh regarda le médecin d’un air mauvais de son œil encore valide, le souffle court. Il s’écria immédiatement en le voyant venir avec son aiguille :

 « Hors de question que je me fasse toucher par un humain !

 — C’est dommage, ça fait déjà un moment que je m’occupe de ton cas, répondit le médecin en s'immobilisant. Commence donc par te calmer. Personne ne va te faire du mal.

 — Ne me donne pas d'ordre ! J'ai pas d'ordre à recevoir d'un humain ! »

  Le loup arracha la perfusion sanguine et s'apprêtait à passer ses jambes sur le côté du lit quand un infirmier accourut pour l’immobiliser à l'appel du médecin. Luc fixait toujours l'arkien en continuant de préparer l’injection.

 « Soit ! Tu ne veux pas d'un humain. Je peux comprendre. Que préfères-tu dans ce cas ? Un elfisse débutant ? Un sorog affamé ? Un arguenne dont les capacités ne te seront d’aucune aide ? La seule arkienne de notre équipe n'est pas apte à guérir ta brûlure. Alors ? Tu choisis quoi ? Tu préfères peut-être brûler à petit feu en attendant pitoyablement qu’on ne puisse plus rien faire pour toi ? Parce que ce n'est vraiment pas beau à voir. »

  Yugh grinça des dents. Son visage était terriblement douloureux et il avait du mal à réfléchir. Le médecin crut qu'il allait tourner de l'œil, mais non. Le loup se rallongea en demandant simplement à voir la jeune femme de sa race. L'infirmier qui avait accouru s'en alla chercher leur collègue et Yugh se calma dès qu'il put la voir et lui parler. La lapine était celle qu'il avait rencontrée pendant le tournoi. Elle félicita le blessé pour ses combats et fit de son mieux pour capter son attention pendant toute la durée du traitement. Une fois les soins terminés, Nandru fit signe à sa collègue de prévenir le jeune homme qu'il allait lui être administré une dose d'analgésique. Le loup grogna mais donna son accord tout en serrant la main de la lapine qui le complimenta jusqu'à ce qu'il la relâche, endormi.

  L'équipe souffla enfin. Ils se félicitèrent mutuellement pour leur travail. Nandru les envoya prendre du repos après cette nuit compliquée pendant qu'il changeait de blouse. Il attendit qu'ils sortent, puis se rendit dans l'observatoire de la quarantaine. Ce que Luc y vit l'inquiéta. Le lit avait été calciné et la jeune fille semblait avoir disparu. Il manipula le tableau de commande et consulta l'enregistrement des boules de cristal. La visualisation des événements l'intrigua et suscita sa curiosité. Avec la dose de produit qu’il lui avait injecté, elle aurait dû dormir profondément.

  Calmement, le médecin déverrouilla la cellule et y pénétra en se tenant sur ses gardes. Si l'enregistrement lui avait permis de savoir où se cachait la demoiselle, il valait mieux se méfier de ses réactions.

 « Arya ? Arya Al’raï ?»

  Des sanglots lui répondirent. Il approcha du lit et s'accroupit puis se pencha pour regarder en dessous. La jeune fille était couchée sur le côté, recroquevillée, elle lui tournait le dos. Luc s'arrêta un instant sur les nervures noires qui couvraient sa peau de la nuque aux cuisses et activa sa vision spéciale. Il apprit que c'était des blessures magiques anciennes et non soignées convenablement. C'était une annotation de plus pour son cahier. Il revint à une vision normale et resta au bord du lit pour lui parler doucement.

 « Qu'est-ce qui ne va pas Arya ? Tu as mal quelque part ?

 — J'ai-j'ai fait un-un cauchem-mar.»

  Luc nota la petite voix entrecoupée de hoquets qui était bien différente de celle avec laquelle Arya s'était adressée à lui précédemment. Il en chercherait la raison plus tard. En cet instant, il devait la faire sortir de là-dessous pour la rhabiller ; ses vêtements avaient brûlé avec les draps. C'était bien les seules choses qui pouvaient être affectées par la magie dans cette pièce. Le médecin se concentra sur sa patiente et continua de lui parler.

 « Tu veux me raconter ton cauchemar ?

 — N-non.

 — Pourquoi tu ne veux pas ?

 — Je ne te co-connais pas.»

  Il ne put s'empêcher de sourire à cette réflexion et s'assit par terre. Il avait l'impression de négocier avec une enfant.

 « Si tu sortais de là-dessous, on pourrait faire connaissance. Qu'est-ce que tu en dis ? »

  L'argument porta ses fruits. Arya rampa et sortit la tête la première avant de s'asseoir face au médecin sans aucune gêne alors qu'elle était complètement nue. Luc lui couvrit les épaules avec sa blouse. Il rabattit les pans devant elle pour cacher ses parties intimes. Ensuite il soupira et s'installa face à elle en tailleur. Il imitait la position d'Arya qui le remarqua avec une joie infantile.

 « On est assis pareil ! »

  À de nombreux points de vue, elle se comportait comme une enfant. Pourquoi était-elle en état de régression ? Nandru sourit gentiment et se présenta de nouveau. Arya remarqua qu’il connaissait déjà son nom et demanda pourquoi.

 « Nous nous sommes vus un peu plus tôt, mais peut-être que tu n’en t’en souviens pas.

 — Peut-être. »

  Luc Nandru engagea la conversation sans aborder le sujet du cauchemar. Il lui parla de son rôle, de l'endroit où ils étaient. Peu à peu, le comportement de la jeune fille changea. Elle ferma la blouse, ses gestes et sa voix mûrirent. Son regard devint plus grave. Le médecin s'empresserait de tout rapporter dans son journal de bord dès qu’il en aurait l’occasion.

 « Ça va mieux ? demanda-t-il après un moment.

 — Je peux rentrer maintenant ? éluda-t-elle aussitôt.

 — Je préférerais que tu restes quelques jours en observation après ce qu’il vient de se passer.

 — Je pensais plutôt rentrer chez moi au Limcorie.

 — Vous étiez en finale avec Wolfgang, tu n’as pas à partir. Vous êtes admis à l’Université dès que vous passez le premier tour. Bienvenue parmi nous !

 — C’est une blague ? »

  Face à son incrédulité, il lui répondit sans en faire des tonnes. Oui, l'humour du Gardien laissait à désirer. Oui, il fallait s'y habituer.

 « J’étais vraiment outré quand j’ai appris la nouvelle personnellement.

 — Alors, vous n’êtes pas un maître ?

 — Oh ! Je suis bon dans mon domaine, mais je n’ai pas cet honneur. Non, je suis en sixième année, classe spéciale, ajouta Luc en désignant une petite étoile dorée sur le col de sa blouse. J’aurais aimé voir les combats en direct, mais j’ai été réquisitionné pour soigner les bobos. J’ai pu tout de même suivre le tournoi grâce aux écrans. Je n'ai pas manqué un seul de tes combats, bien que le dernier n’ait pas laissé grand-chose à admirer. Tu es douée, tu sais ? »

  Arya ignora le compliment et se mit à genoux dans l'optique de se lever. Luc suivit son mouvement, les mains tendues prêt à la rattraper. Par fierté, elle préféra se tenir au lit jusqu'à se stabiliser sur ses deux jambes. Gênée, elle esquiva son regard et demanda si elle pouvait avoir de quoi se changer avant de retourner à ses appartements. Luc quitta la chambre pour aller lui chercher une robe et des mocassins. Elle l’attendit dans la chambre, hésitant à fuir avant son retour. Elle n’en fit rien.

  En essayant la tenue, Arya grimaça. Elle ne pouvait pas sortir aussi peu habillée. La robe avait un col ovale tout à fait approprié pour une jeune fille normale, mais pour elle, c’était plus compliqué. Arya se sentait nue malgré des manches trois quarts et une coupe droite qui descendait largement jusqu'aux chevilles.

  Quand elle sortit de la quarantaine mal à l'aise, Luc fit le lien avec les cicatrices. Sans qu’elle ne dise rien, il proposa :

 « Je peux te trouver une veste ou…

 — Je vais prendre cette couverture. »

  Tout à fait éveillée, et lucide, Arya prenait conscience qu'un homme –un quasi-inconnu– l'avait vu dans son plus simple appareil. Au comble de l'embarras, elle chercha une excuse, une explication à donner au médecin. Rien ne lui convenait. La princesse préféra rester muette en prenant la direction de la sortie, drapée dans la couverture. Le froid commençait à revenir de l’intérieur. Il fallait à tout prix qu’elle évite de revenir à l’infirmerie. Elle ne voulait plus jamais avoir à faire au jeune médecin au regard dérangeant.

  En passant devant le lit de Yugh, Arya s'arrêta soudainement et se tourna vers Luc Nandru qui la raccompagnait, pris dans ses pensées. Il releva un visage attentif.

 « Bon courage à son réveil ! Il va être d’une humeur exécrable.

 — Je tâcherai de m’en souvenir. »

  Nandru lui sourit amicalement. Arya hocha la tête et reprit sa route. Un infirmier lui ouvrit la porte en lui indiquant le chemin pour quitter la tour. Elle le remercia et retrouva la sécurité de ses appartements où Lauriane l'accueillit chaleureusement. La princesse demanda un bain et y resta deux longues heures, méditant le résultat de ses dernières absences.


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