Eveil tournoyant [1/7]

6 minutes de lecture

   La maladresse de Ruy était attachante. Tobias-Argan agissait avec son partenaire comme avec un petit frère. Arya s'amusa en les voyant se disputer sur la façon de déguster les plats succulents qui leur furent apportés pendant leur déjeuner. Enfin, ils se rendirent ensemble sur la place d'examen après quelques petites douceurs chocolatées.

   Devant la rangée de colonnes, la princesse aperçut une montagne de muscle en pleine conversation. Son visage s'illumina et elle abandonna les deux garçons pour s'élancer vers le jeune homme en criant joyeusement son nom. Le bagrilien se retourna et son sourire s’élargit. Ils échangèrent une poignée de bras amicale, heureux de se retrouver ; même si la princesse se demanda aussitôt ce qu'il lui avait pris d'agir ainsi. La bonne humeur de Zoann annihila sa gêne. Il fit les présentations rapidement. Mora se montra enchantée de rencontrer de nouvelles personnes même si c'était des adversaires potentiels. Arya introduisit ses deux compagnons qui les avaient rejoints entre temps, puis ils se rendirent tous les cinq au centre de la place.

  La fluvienne nota le chiffre impair et demanda où était le dernier luron. Arya lui répondit, peu réjouie de repenser à l'arkien :

 « Il ne doit pas être loin. Il n'est pas très sociable.

 — Bah, ce n’est pas grave, nous aurons l’occasion de le rencontrer à un moment ou à un autre, n’est-ce pas, mon héros ? dit-elle en regardant son partenaire avec un sourire espiègle.

 — Moi, je dirais plutôt que c’est un géant, commenta Ruy.

 — L’un n’empêche pas l’autre, mon chou, expliqua Mora.

 — On pourrait parler d’autre chose ? demanda le bagrilien plutôt embarrassé.

 — Mais tout à fait ! Vous savez que c’est un gouffre que ce garçon-là ? s'écria Mora en tapotant l'estomac de son partenaire. Rien que tout à l'heure, il a avalé cinq bols de bouillon, un rôti entier, deux miches de pain et une assiette de légumes frits.

 — Quand je parlais d‘autre chose, je pensais à un autre sujet que moi, rectifia-t-il en riant.

 — Mais c’est que je ne vois que toi ! affirma la jeune femme, pas sérieuse un instant. Tu es si grand, si beau, si musclé, si courageux, si…

 — Vous êtes fiancés ? demanda Ruy les sourcils froncés dans un état d’intense concentration, cherchant à comprendre la relation entre Zoann et Mora.

 — Il n’a encore rien compris, souffla Tobias d‘un air désespéré.

 — Va falloir t’acheter un peu de second degré, mon chou ! » répliqua Mora en pinçant affectueusement la joue de Ruy.

  Le garçon se plaignit qu'il fallait lui expliquer mieux afin qu'il ne se fasse pas de fausses idées. Il se fit chambrer par ses aînés pour ses conclusions hâtives. L'ambiance était bonne enfant en attendant que les maîtres s’installent.

   Arya, légèrement en retrait, se posa de sérieuses questions sur l'absence de son partenaire pendant l'attente. Elle aurait apprécié le consulter à propos de certaines choses. L'arkien semblait bien informé compte tenu qu'elle ne l'avait jamais vu surpris par les situations qu'ils avaient traversées. Pour le peu de souvenir qu’Arya avait des épreuves. En définitive, elle ignorait ce qui était le pire, ne rien savoir de son partenaire ou méconnaître de quoi elle était capable quand elle perdait conscience.

 « Si vous voyez un garçon-loup grognon, prévenez-moi ! signala-t-elle soudainement à ses compagnons de fortune.

 — Pourquoi ? Je te manque l’humaine ? »

  Arya fit volte-face. Wolfgang était planté là, à une dizaine de mètres, les bras croisés fermement sur la poitrine et l’air toujours aussi désagréable. Rien que sa voix lui dressa les poils sur la nuque.

 « Loin de là, je t'assure, rétorqua-t-elle tâchant de garder son calme. Mais il faudrait qu'on se dise deux mots, toi et moi.

 — Je me fiche de ce que peut penser une sale larve humaine comme toi ! Si je dois savoir quelque chose, je te le demanderai en temps voulu.

 — Il y a d'autres façons de s'adresser à une dame de son rang, s'indigna le Dauphin.

 — Ignorez-le, l’interrompit Arya en s'éloignant du groupe pour rejoindre Yugh. On va régler ça en personnes civilisées. »

   L'arkien la laissa venir sans céder un centimètre de terrain. Lorsqu'elle fut à moins d’un mètre de lui, il renifla avec dédain puis lâcha comme introduction à la conversation :

 « Ma requête a été refusée, je suis obligé de te traîner comme un boulet jusqu'à la fin.

 — C’est quoi ton problème ? demanda-t-elle agressive. Je n'ai pas choisi d'être enchaînée à toi. Depuis qu’on est obligés de travailler ensemble, on dirait que tu prends un malin plaisir à me pourrir l’existence !

 — Je n’aime pas les humains ! Ça te va comme réponse ?

 — Absolument pas ! Comment peux-tu juger quelqu’un sur sa race ? Tu es un arkien ! Tu es à moitié humain !

 — Même pas vrai d’abord !

 — Ce que tu peux être puéril ! Mais puisque tu ne veux rien savoir de moi, nous verrons bien quand l'épreuve commencera. Mais gare à toi si on ne gagne pas nos places à l'Université ! Je vous en tiendrais pour seuls responsables : toi et ton sale caractère ! »

   Là-dessus, Arya tourna les talons et retrouva ses nouvelles connaissances sans jeter un coup d’œil en arrière, laissant Yugh en état d‘hébétude. Pendant de longues secondes il resta stupéfié par la véhémence de la jeune fille. Puis il se secoua, grogna et se plaignit des humains en se rendant dans le coin le plus éloigné de sa partenaire.

   L’arkien était tellement absorbé par ses pensées qu’il ne fit pas attention à ce qui se passait autour de lui et bouscula un jeune homme, lui aussi pensif. La réaction du mâle aux cheveux blancs fut aussi rapide que surprenante : immédiatement il pivota et fit un saut en arrière, en garde et prêt à combattre. L’instinct de survie soudainement mit en éveil, Yugh se retrouva également en position défensive, les crocs découverts, le poil hérissé. Ils se défièrent du regard quelques secondes puis Cheveux-Blancs baissa sa garde et s’excusa :

 « Désolé, c’est un mauvais réflexe que j’ai. Sans rancune ? »

  Yugh le regarda en grondant, mais l’autre ne se démonta pas. Il tendit la main en signe de paix et se présenta :

 « Xaan Talin. Enchanté. »

  Le loup l’ignora et reprit sa route en maudissant un peu plus les humains. Xaan haussa les épaules et jeta un regard vers Hevlaska qui se tenait toujours à la même place. Elle lui adressa un signe de tête qu'il lui rendit. Le sourire narquois, la vieille lui réserverait encore un bel interrogatoire pour sa tentative échouée de socialisation. À force de se prendre la tête avec elle, il parvenait presque à anticiper tout ce qui sortirait de sa vieille bouche ridée. C'en était désespérant.

   Enfin, les trompettes retentirent, interrompant toutes les conversations en cours. Le Gardien et les juges entrèrent en piste, le premier dans la tribune, les autres sur leurs colonnes. Les candidats s'alignèrent sur deux rangées au pied des tribunes. Quarante candidats étaient en lice. Luménor leva les bras et le silence se fit parmi les spectateurs. Puis ce fut l'heure du discours.

  « Mes enfants, chers finalistes, bonjour ! En ce radieux jour, nous aurons le privilège de voir s'élever les meilleurs d'entre vous au cours de cette dernière épreuve. Jusqu'à présent, vous avez fait preuve de courage, de persévérance et de confiance. Vous avez pu en apprendre plus sur vous-même et sur votre partenaire. C'est aujourd'hui que cela vous servira ! »

   Xaan, comme tant d'autres, fronça les sourcils en se demandant quelle épreuve tordue le vieillard avait encore inventée pour les mettre en difficulté. Ruy sautillait sur place d'impatience tandis que les quatre grands qui l'entouraient se demandaient à quelle sauce ils allaient être mangés. Laissant planer l'incertitude encore un peu, le Gardien fit signe aux juges de modifier la place d'examen comme il en avait été convenu.

   Laissant planer l'incertitude encore un peu, le Gardien fit signe aux juges de modifier la place d'examen selon ce qui avait été convenu. Dans de grands mouvements de manches et au son des tambours, des murs s’élevèrent entre les colonnes, du sable recouvrit les dalles et la place se transforma en arène de combat. Dans un deuxième temps, le long des tribunes une dizaine de grosses bulles s'ouvrirent sur des salons tout confort. Les candidats pourraient y attendre leur tour et s’y reposer entre les combats.

   Luménor reprit avec délice une fois la scène en place :

  « Je vous invite à vous répartir comme bon vous semble dans les différents espaces. Quand tout le monde sera installé, nous commencerons.»

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0