Trouver son chemin [5/5]

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 « Mora ? Tout va bien ? On dirait un poisson hors de l’eau.

 — Depuis quand es-tu capable de faire ça ? demanda-t-elle les yeux ronds.

 — Depuis toujours je crois, répondit-il en riant.

 — Pourquoi tu ne l'as pas utilisé tout à l'heure ?

 — Parce que je ne pouvais pas te prendre avec moi. C’est un talent égoïste. Je ne peux pas en faire profiter les autres. C’est dommage, je sais.»

  Mora râla pour la forme en se mettant à marcher sous le soleil assommant du désert. Elle ne parla pas longtemps parce qu'elle se trouva rapidement tiraillée par la soif. Même en restant silencieux, Zoann avait l'impression de manger du sable. La très forte luminosité leur faisait mal aux yeux. Ils savaient tous les deux qu'ils étaient dans un univers fabriqué de toutes pièces mais les sensations étaient si réelles ! Par souci pour sa partenaire, le bagrilien lui fit de l'ombre grâce à sa grande taille, et elle lui confectionna un chapeau de fortune avec la moitié basse de son débardeur. C'était une véritable traversée du désert et il n'y avait ni eau ni statue à l'horizon.

  Leur trajet parut durer une éternité. Aucun ange ne leur indiqua la bonne direction. La ligne d'herbe avait disparu rapidement quand ils avaient commencé à descendre les dunes pour les escalader à nouveau. Ils n'avaient aucun repère en dehors de leurs traces de pas. Ces derniers devenaient lourds. Leurs peaux avaient rougi sous les rayons ardents. Leurs corps suants demandaient de la fraîcheur avec de plus en plus de force. Ils eurent toutefois de la chance dans leur malheur, pas une créature dangereuse ne surgit du sable pour les attaquer. Ils continuèrent simplement d'avancer, un pied après l'autre.

  En définitive, leur persévérance et leur endurance payèrent. Le terrain se fit de plus en plus plat et de plus en plus rocailleux jusqu'à ce qu'ils parviennent enfin à un précipice. Pour s’assurer que ce n’était pas une illusion, Zoann trouva une pierre de la taille de sa paume et la jeta dans le vide. Elle tomba longtemps. Longtemps. Longtemps. Il n’y eut aucun bruit d’impact. Rien. Pas un son.

 « Un ravin sans fond ? On en parle que dans les histoires !

 — Tout est possible ici, lui rappela Mora dans un soupir d'épuisement.

 — Tu as raison. »

  Zoann rit puis s’arrêta. Il avait la bouche pâteuse. Enfin, il repéra la statue qui leur avait manqué pour les deux épreuves précédentes. Ils s'en approchèrent en plaisantant à son sujet. Pourquoi avaient-ils pris la peine d'en remettre une ? C'était tellement plus amusant quand il fallait trouver la sortie tout seul !

  Au bord du gouffre, l'ange indiquait l‘autre bord du précipice. Zoann commenta avec humour cette évidence. Mora était trop fatiguée pour chercher la logique dans cette épreuve. Une phrase était gravée sur la base de la statue. Elle la lut à voix haute :

« Pour traverser, ne crois pas ce que tu vois. Qu’est-ce que ça signifie encore ? »

  Sans trop réfléchir, Zoann haussa les épaules et avança vers le ravin et avança encore. Mora se cacha le visage derrière les mains au moment où il posa le pied au-dessus du vide en pensant qu’il était fou, complètement suicidaire, inconscient... Il l’appela quelques secondes plus tard et elle écarta timidement les doigts. Il flottait dans le vide.

 « Comment fais-tu ? balbutia-t-elle.

 — C'est dur sous mes pieds. Viens. Le vide n'est qu'une illusion. »

  Mora fit un pas vers le gouffre, jeta un coup d’œil vers le fond, puis recula. Elle se trouva rapidement tétanisée. Zoann revint de son côté et chercha à la rassurer.

 « Il faut que tu te persuades que le sol est sous tes pieds.

 — Je ne peux pas. Je vois le vide. Je le vois. Je vois qu’il n’y a rien. Et puis, tu as jeté cette pierre. Quand je ferme les yeux, je la vois encore tomber. Si j’avance, je vais tomber aussi.

 — Tu as le vertige ? demanda-t-il après une hésitation.

 — Un peu, lâcha-t-elle tout doucement en se penchant prudemment vers le bord. Regarde, c’est tout noir en bas. Oh ! Non ! Il faut de j’arrête… »

  Sur ces belles paroles, Zoann attrapa sa partenaire et la serra contre lui en la portant jusque de l’autre côté. Il lui cacha les yeux et chanta un air de son pays tout le long de la traversée. Il la reposa doucement au sol une fois parvenu à destination et lui décocha un clin d’œil en plus de son magnifique sourire. Mora lui en rendit un bien pâle puis marcha vers la prochaine unité pour se donner meilleure contenance. Elle n’avait pas fait dix pas que le sol se déroba sous ses pieds. La jeune femme serait tombée si Zoann, qui la suivait de près, ne l’avait pas rattrapée par le bras. Il la reposa doucement sur ses pieds après l'avoir remontée puis il lui frotta le dos.

 « Tout va bien ? »

  La jeune femme tremblait comme une feuille. Zoann la laissa se remettre de ses émotions en continuant de la réconforter. Il en profita pour fixer le trou et se demander ce qu'il pouvait bien y avoir en dessous. Était-ce la sortie ? Était-ce un nouvel obstacle, un piège ou une porte dissimulée derrière une nouvelle épreuve ? Zoann laissa Mora respirer tranquillement et s'agenouilla pour épousseter le bord du trou. Le jeune homme le trouvait trop propre pour être naturel et il découvrit rapidement la raison. Une inscription leur demandait d'avoir confiance et de se laisser glisser. Soupçonneux, le jeune homme sonda le sol. Il détecta alors un tube qui menait… quelque part. La destination finale était hors de sa portée. S'ils y allaient, ce serait l'inconnu. Mora avait repris quelques couleurs et rejoignit son partenaire.

 « Un problème, mon grand ? »

  Les explications furent brèves. Le débat rapide. Zoann s'assit au bord du trou puis aida la demoiselle à s'installer entre ses jambes. Il comptait bien la protéger le temps que durerait la descente.

 « Prête ? »

  Mora hocha la tête et s'agrippa au bras que Zoann utilisait pour la plaquer contre lui. Il prit une grande inspiration puis il se laissa tomber dans le trou. Les deux aventuriers glissèrent un long moment. Pourtant ils allaient vite et ils ne rencontrèrent aucun croisement. Ce tube avait-il une fin ? Probablement pas. Ils commencèrent à douter de leur geste. S'ils s'étaient trompés et qu'ils devaient tout remonter, ils perdraient un temps considérable !

  Et puis une lueur apparut.

  L'instant suivant, ils étaient assis au milieu de la place, sur une sorte de matelas. Ils faisaient face aux tribunes. Des applaudissements les accueillirent. D’autres candidats étaient déjà là. Certains avaient brisé leur lien tout comme eux, d'autres étaient toujours attachés par le poignet. Des personnes en tuniques bleues leur demandèrent de quitter la zone d'arrivée et des soins médicaux leur furent proposés. Ils subirent une auscultation rapide au cas où ils auraient manqué un détail puis les deux partenaires se félicitèrent.

  En attendant que les dernières équipes arrivent, Zoann et Mora se retrouvèrent à l’état de simples spectateurs, observant comme les autres les grands écrans de cristal qui leur montraient ce qu’il se passait dans les différents univers maîtrisés. Zoann repéra celui où se trouvait Arya Al’raï et l’encouragea jusqu’à ce que l’écran change d’univers. Mora se questionna sur la technomagie que les organisateurs avaient utilisée pour la retransmission des épreuves. Cela demandait probablement une énorme quantité d’énergie. Où les mages la puisaient-ils ? Saltar reposait-elle sur une source naturelle ?

  La fin de l’épreuve se clôtura par un nouveau discours. Une fois l'écrémage terminé, les candidats furent relâchés. Certaines équipes se réunirent pour partager leur expérience. D'autres prirent du repos. La plupart des candidats retrouvèrent la quiétude de leur chambre sans s'attarder auprès de leur partenaire.

Ж

  Malgré toute cette mascarade d'univers maîtrisé et de coéquipier, Xaan était plutôt content de lui. Il avait terminé l'épreuve en beauté même si le désert avait failli avoir raison de Mégane, l’obligeant à la porter pour la fin de l’épreuve. Il avait un léger sourire aux lèvres mais un sourire tout de même. Il était fier de ce qu'il avait accompli ce jour-là. Cela avait été un excellent entraînement. Certaines épreuves avaient été des premières, le créateur de cet exercice possédait une belle imagination. Il ne serait absolument pas contre l'idée de recommencer.

 « Tu t'es bien amusé ? »

  Hevlaska l'attendait au bord du chemin, appuyée sur sa canne, les yeux mi-clos. L'assassin soupira, s’arrêta en face d’elle et s'enfonça les mains dans les poches d‘un air nonchalant pendant que des candidats passaient derrière lui pour rejoindre leur dortoir. Il leur faudrait une bonne nuit de sommeil pour récupérer. Talin prit tout son temps pour répondre.

 « C'était intéressant.

 — La demoiselle ne t'a pas trop fait tourner la tête ?

 — Elle ne risquait pas de le faire.

 — Elle n'est pas à ton goût ?

 — Quelque chose comme ça. Pourquoi vous me demandez après tout ? Vous devez sûrement déjà connaître la réponse, c'est vous la voyante.

 — Peut-être que je me suis prise d’affection pour toi, rétorqua-t-elle en riant.

 — Vous m’en direz tant ! Comme si vous vous étiez prise d'affection pour un chien, je me trompe ?

 — Ne sois pas insolent.

 — Je suis fatigué. Bonne nuit. »

  Le jeune homme lui tourna le dos et reprit la direction de la chambre. Hevlaska répondit à son bonsoir et le regarda s'éloigner à grandes enjambées. Elle sourit et soupira :

 « Courage mon garçon, tout ceci n'est que le début. »

Ж

  L’épreuve terminée, Arya s'attarda sur la place. Elle guetta Zoann Vulcain avec l’espoir de trouver le même réconfort qu’un peu plus tôt dans la journée. Lorsqu’elle l’aperçut en compagnie d’une jeune femme absorbée dans une vive conversation avec lui, Arya hésita. Les deux équipiers semblaient s’entendre à merveille. Arya refusa de s'imposer. Elle aurait gâché l’ambiance.

  Arya était vraiment très fatiguée pour envisager de se reposer sur un quasi-inconnu même si celui-ci avait déjà pris soin d'elle une fois dans un moment de faiblesse. Sans attendre, elle tourna les talons et retrouva ses appartements. Elle ignora Lauriane et se coucha, sans prononcer un mot. Sa compagne commençait à s'y habituer et n'insista pas. Elle savait que la princesse transférait sa frustration sur elle parce que Ju avait oublié de déposer la lettre comme il l’avait promis. Ou bien, le papier s’était glissé quelque part et elle finirait bien par le retrouver à un moment ou à un autre. Même si une petite voix lui chuchotait que la missive n’avait jamais existé.

  Enfermée dans son mutisme, la princesse espérait sombrer dans un sommeil sans rêve. Ce serait un bonheur après une journée si riche en émotions. Elle fixa la bougie sur sa table de chevet un moment puis ferma les yeux en priant pour ne pas tomber dans l'horreur de ses cauchemars. Sa prière ne fut pas exaucée : ce fut un bain de sang et un cortège de têtes tranchées qui rythmèrent sa nuit.

Ж

  Il était tard. Santhià avait eu besoin de prendre un peu l’air après la surveillance assidue les salles d’imagination. La lamie profita de l'ascension vers les appartements du Gardien pour se rafraîchir les idées. La synthèse des observations de la journée entre les mains, Santhià toqua et s’introduisit dans la chambre du Gardien sans attendre sa réponse. Il était seul et l’attendait en s'examinant dans un miroir à main, bien installé dans un fauteuil face à un feu de cheminée crépitant. En été comme en hiver, Luménor avait tout le temps froid et demandait à ce que ses appartements soient toujours chauffés.

  La démone déposa le papier sur la tablette à côté de lui puis s’agenouilla à ses pieds. Luménor posa son miroir et récupéra le document pour le feuilleter. Pendant ce temps-là, la lamie reprit son apparence animale et s’enroula dans ses anneaux reptiliens tout en commençant son exposé.

 « J’ai repéré une anomalie dans le comportement du Phénix. Elle a su éviter les pièges, comme si elle connaissait les failles de l’univers maîtrisé.

 — Continue de la surveiller et augmente la difficulté de ses prochaines épreuves. Ensuite ?

 — Xaan Talin est vivant. C’était bien lui que vous aviez repéré dans la foule.

 — Bien. Tu le convoqueras. Il a sûrement senti la faiblesse de Vongak et lui aura faussé compagnie pour s’en libérer. Ses capacités nous serons utiles. Autre chose ?

 — Vingt et un liens se sont brisés. Le niveau est plutôt élevé cette année.

 — Bien, bien. C’est une belle récolte. »

   Luménor eut envie de pincer affectueusement la joue de Santhià. Elle savait parfaitement respecter ses consignes, cela le ravissait. Et en parlant de respect de consignes :

 « Où sont les accompagnateurs du Phénix ?

 — En route pour le Limcorie. Une tempête devrait secouer leur navire. Seule la dame de compagnie est restée. Elle ne devrait pas être une entrave à vos projets.

 — Tu sais que je n’aime pas les incertitudes, ma douce. Assure-toi qu’elle soit pieds et poings liés. Je ne veux pas qu'elle interfère dans nos affaires.

 — Oui, maître.

 — Rien de plus à déclarer ?

 — Il faut réparer la barrière du terrain d’entraînement. Le Phénix a passé ses nerfs là-bas. »

  Luménor se mit à rire. Il trouvait la situation risible. À quoi reconnaissait-on un mage immature ? À la casse qu’il provoquait quand il était en colère.

  Santhià attendit que le maître cesse de se moquer pour faire ses prières avant d’aller se coucher. La lamie reçut une caresse de Luménor pour lui souhaiter une bonne nuit puis elle retrouva sa chambre, jouxtant les appartements du Gardien. Elle préférait rester près de lui, afin de se prémunir contre toute complication nocturne. La plupart des candidats dormaient depuis bien longtemps déjà quand elle retrouva elle-même les brumes du sommeil.

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