Vieil ami [4/4]

3 minutes de lecture

  Pierre après pierre, Saman transforma l’île. Du camp de fortune au hameau ; le hameau devint village puis le village fit des petits aux quatre coins de l’île. Plus il enrôla d'âmes, plus son pouvoir se renforçait. Son sort d’emprise dépassant les murs de sa prison, Saman réquisitionna des ouvriers pour habiter le bout de caillou et entreprendre sa renaissance. Il fit déplacer des tonnes de pierres et de terre afin de modifier la structure de l’île et la rebâtir à son image.

  Fort de son désir de vengeance, le nouveau maître de l’île la rebaptisa Forban. Il fit construire une flotte immense qui pilla, brûla, ravagea toutes les côtes de la mer intérieure et au-delà. Les pirates ramenèrent de nombreuses richesses des côtes de Xyl faisant face à l’océan Opalescent et des reliques de tous les pays possédant une frontière maritime. Saman rappela ses serviteurs des quatre coins du monde et tua les déserteurs. Il était simple de donner des ordres, d’étendre son pouvoir, de se bâtir une réputation, d’enrôler de nouvelles personnes. Le plus difficile était de composer avec ces corps d’emprunts, incapables de supporter une âme aussi prodigieuse que la sienne. Trop souvent, il devait changer de corps. Il s’y accommoda pourtant, sélectionnant les hôtes avec minutie, puisqu’il était incapable de se recréer un corps aussi parfait que le sien.

  Sa plus grande réussite fut la création d’un groupe de combattants d’élite acquis à sa cause qui n’avaient pas besoin d’être manipulés, soudoyés ou menacés. Saman commandait ; ils exécutaient. Quelle que soit la mission, quelle que soit la cible. La Milice devint sa meilleure arme de contrôle et d'éradication. Toutefois, et malgré tous ses progrès, il lui fallut près de deux siècles avant de célébrer la mort de la dernière Reine. Le double pour fêter l’extinction de leur descendance. Le triple pour notifier la mort des lignées célestes et de leurs Boucliers.

  Saman croyait qu’après cela, le sort se déferait, avec du temps et de la patience. Mais il n’en fut rien. Il comprit tardivement que sa malédiction n’était pas ce qu’elle semblait être. Même un millénaire plus tard, il était incapable de mettre un pied hors de l’île.

  « Cela n’a jamais été un simple sort d’enfermement. »

   Face à son erreur, Saman brûla le gros de sa flotte et ensorcela de nouvelles têtes. Forban devint Saltar et le village de pirate fut rasé pour bâtir un site entièrement consacré aux études. Il choisit des stratèges et des penseurs pour les pousser à réfléchir à son problème. Le temps consacré aux recherches se multiplia. Les documents qu’il rassembla attirèrent des mages de tout horizon.

  Une institution qui se voulait honorable vit le jour : l’Université de Saltar. Pour mieux s’intégrer aux diverses populations qui avaient radicalement amélioré la renommée de l’île, Saman changea de nom à chaque fois qu’il se succédait à lui-même à la tête de l’institution. Il fit ainsi preuve de bonne foi et de discrétion jusqu’à en avoir assez de constamment devoir refaire ses preuves comme un débutant. Il trouva le moyen d’asseoir pour longtemps son règne sur l’île : il réécrivit l’histoire pour son propre bien, la popularisa dans de nombreuses écoles un peu partout sur les deux continents en effaçant le nom de Yuïr Saman. Il se fit appeler Luménor, Gardien de Saltar.

  Ainsi, Luménor corrompit les populations à la mémoire courte et aux corps faibles. Il éduqua plusieurs générations en se servant de fausses informations jusqu'à ce qu'il n'en reste pas un pour témoigner de ce qui fut vraiment. Les races primitives sous la protection divine résistèrent un peu plus. Luménor se contenta de les asservir, ou de les massacrer dès que l’occasion se présentait. L'humanité prospéra. On lui opposa si peu de résistance que cela ne méritait pas d’être inscrit dans les annales.

  Après tous ces efforts, Luménor se voyait déjà victorieux. Pourtant, il demeurait prisonnier de l’île. Rien n’avait changé. Un millénaire plus tard, il était toujours incapable de passer la barrière liquide et il ignorait encore la raison de cet état. Quel détail lui avait échappé ?

  La réponse lui parvint par un concours de circonstances. Au cours des sélections annuelles qu’il organisait pour recruter de nouvelles âmes, Luménor rencontra une jeune femme porteuse du même Don que l’une des Neuf Reines. Ce fut un choc ! Les Descendants n’avaient pas disparu. Tout ce qu’il avait bâti fut mis en déroute par cette simple découverte. La rage l’aveugla et il faillit détruire son œuvre, une nouvelle fois. Tout ce qu’il avait entrepris n’avait servi à rien ! Les lignées célestes ne s’étaient pas éteintes. Était-ce la raison de la pérennité de sa prison ? Devait-il revoir sa stratégie ? Pour défaire la malédiction qui l’enchaînait, Luménor devait en apprendre plus sur ses ennemis. Il devait à tout prix éviter de répéter les mêmes erreurs. Toutefois, cette génération serait la dernière. Il en fit le serment.

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0