Vieil ami [2/4]

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  La comète Soles quittait la voûte céleste. Lorsque Saman sortit de sa léthargie, il observa l’astre voyageur jusqu’à ce qu’il disparaisse pour un nouveau cycle de trente-trois ans. Le spectacle de son passage était particulièrement saisissant une nuit de nouvelle lune. Saman avait perdu le compte du nombre de fois où il avait été témoin de son passage. Il se surprit à sourire en pensant à son grand âge et resta allongé à même le sol, dans la poussière, sans ressentir le besoin de bouger. Il demeura simplement là où il était tombé. Sans plaisir ni désagrément. Sans douleur ni tristesse.

  Après le départ de la vieille dame, tout lui sembla sombre pourtant. Ce vide inhabituel finit par l'intriguer. Saman se tâta la poitrine. Aucun battement n’y résonnait. Saman s'assit et fixa l'obscurité qui l'entourait pour se remémorer les récents événements, et tâcher de mieux comprendre sa situation.

  Entouré de ces satanées sorcières dans la cour du palais d'Agapet, il luttait corps et âme contre le sort qu'elles tentaient de lui jeter. Elles avaient percé sa défense. Il avait répliqué. À voir où il en était à présent, il avait une fois de plus survécu au pire. Il était en vie. Leur sort avait échoué.

Ils échouaient toujours de toute façon.

  Un rire nerveux lui échappa. Il était en vie ! Saman se laissa retomber en arrière et caressa le sable sous ses doigts en riant. Puis la joie de cette nouvelle s'estompa aussi vite qu'elle était montée. Il soupira et leva les yeux. Avec l’aube, une masse titanesque se détacha de l'ombre non loin de lui, et ce n’était pas un bâtiment. Il se dressa aussitôt pour faire face à la menace.

  Imposant monument dans la nuit, la dragonne déployait ses ailes pour un dernier envol. Un nouvel éclat de rire secoua Saman quand il se rendit compte de son immobilité. L’une de ses ennemies lui avait laissé un charmant souvenir. Il s’approcha, provocateur. La dragonne avait été figée dans la roche. Il n’avait rien à craindre d’un vulgaire caillou, même dix fois plus grand que lui.

 « Ha ! Tu vois, ma douce ? Tous tes beaux discours n’auront servi à rien ! Vous étiez trop faibles. Tu m’entends ? Trop faibles ! Vous pensiez pouvoir m’abattre aussi facilement ? Ah ! Ah ! On ne s’en prend pas à un Dieu ! Votre mort fut trop douce, mes chéries. J'aurais préféré vous voir brûler vives, ou vous démembrer pour l’exemple. Soyez certaines qu'une fois sur le continent, je retrouverai vos familles et je me ferai un plaisir de les exécuter. Et je ferai en sorte que vous assistiez au spectacle ! »

  À la fin de son laïus, Saman tourna le dos à la dragonne et fit face au petit matin. Un nouveau jour pour une nouvelle vie. L'idée lui plut et il se mit en marche.

  Déambulant au milieu des ruines, il redécouvrit l'île dévastée. Malgré son mépris pour la Reine-Dragon, il devait reconnaître que sa cité impériale avait été splendide. Il aurait fait mieux bien évidemment mais là n’était pas le sujet. Il trouvait dommage de ne visiter que les restes branlants des hautes tours de garde aux tuiles colorées. Les somptueux dallages des rues avaient volé en éclats. La roche mise à nue ne gardait aucune trace des dorures ni des peintures qui ornaient si joliment chaque bâtiment. Plus aucune arche ne témoignait de la grandeur que connut Agapet. Il ne restait plus rien de ce que la Reine-Dragon avait bâti. Cela l’emplissait de joie.

  Malgré sa jubilation, le sourire de Saman s’effaça progressivement. Plus il avançait dans les terres et plus le silence s’imposait à lui. S'il fermait les yeux et tendait l'oreille, il entendait le faible clapotis de l’eau contre les rochers et le roulis incessant des vagues portés par le vent, mais nul animal n’émettait le moindre son. Pas un insecte ne frottait ses ailes ni ne cliquetait. Après une seconde de réflexion, il constata qu'il n'avait aperçu nulle plante, nul arbre même desséché. Comme si la vie, sous toutes ses formes, avait pris la fuite. Tout était mort sur le roc isolé. Ou presque, puisqu’il était là pour s’en faire la remarque.

  Cette idée le fit soupirer. L'île n'était plus que ruines et poussière. De mémoire d’homme, il n’avait jamais été confronté à une telle situation. C’était comme si le monde l’avait oublié et laissé pour compte. Tout lui sembla si vide. La solitude ressemblait donc à cela ? Ce n’était pas une amante très séduisante.

  Sans précipitation, Saman se dirigea vers le littoral. S’il ne trouvait rien pour se construire une embarcation de fortune, il se jetterait à la mer afin de nager jusqu’au continent. Il pourrait même dériver sur les courants maritimes, il finirait bien par rejoindre la côte. Il avait toujours été bon nageur. Peut-être même qu'avec un peu de chance un navire de passage le récupérerait et le ramènerait à terre.

  Ce plan lui plaisait bien. Puisque les sorcières avaient échoué à se débarrasser de lui dans leur futile mais néanmoins spectaculaire sacrifice, il n’était pas pressé. Saman avait largement le temps de traquer tous les Descendants et de s’en débarrasser définitivement avant l’éveil d’une nouvelle génération. Sans oublier leurs Boucliers, cela allait de soi. Ils avaient la mauvaise habitude de toujours interférer. Pour quel résultat ? La mort était-elle si enviable pour qu’ils la recherchent avec tant d'ardeur ? Saman se demanda quel accueil les dieux faisaient à leurs héros en échec depuis des millénaires. Purgeaient-ils leurs fautes en Enfer ou batifolaient-ils au Paradis pour avoir combattu le mal incarné ? Saman trouvait tellement risible que les dieux s'acharnent à envoyer de pauvres bougres s'en prendre à lui.

  La vision de la plage au pied de la digue naturelle le ramena à ses soucis du moment. Enfin parvenu au bord de la mer, Saman se révéla incapable de mettre un pied dans l’eau. Il était comme repoussé par une barrière invisible qui respirait au rythme des vagues. L’ennui, c’était que cela le bloquait du mauvais côté puisqu’il comptait s’en aller.

 « Ha, ha ! Hilarant. C’est quoi cette histoire ? »

  Le rire jaune et un goût amer dans la bouche, Saman longea la côte pour trouver une faille, une zone oubliée, un intervalle sans magie où nul sort ne pouvait exister. Même un tout petit écart ; cela lui aurait suffi pour l’utiliser à son avantage et briser ce stupide sort d’enfermement. Car il ne s’agissait que de cela. Il n’y avait pas de quoi s’énerver. Les sorcières avaient perdu la vie en l’enfermant dans une immense prison. C’était ridiculement jouissif : il était bien trop puissant pour être tué. Et tout le monde savait qu’il n’existait aucune magie parfaite. Ainsi, il y avait forcément un point faible à exploiter. Il suffisait de le trouver.


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