Bottin Mondain [1/5]

5 minutes de lecture

  La délégation limcorienne posa le pied dans le petit village d’Apre à l'ouest de Saltar en début de matinée. Certains de ses membres avaient pris le bateau pour la première fois et les marins s'étaient joyeusement moqués de la brochette de guerriers accrochés au bastingage. À quai, le bilan ne fut pas si désastreux : personne n’avait succombé au voyage et tout le monde était heureux de retrouver la terre ferme.

   Encadrée par ses frères d'adoption, Arya fut accueillie juste après le débarquement par un petit homme rond, habillé d'un exubérant costume jaune poussin et rose bonbon, enrubanné de vert et coiffé d'une haute perruque blanche décorée de nœuds roses. C'était la première fois que les limcoriens rencontraient un homme fardé à outrance.

   Dès qu’il l’aperçut, Ju s’écria, sans aucune retenue, comme un enfant :

  « Ah ! Ah ! On dirait un tonneau fleuri !»

   Un silence gêné suivit cette regrettable introduction. L’hôte vexé se montra à peine courtois lorsqu’il se présenta de sa voix de castrat qui en fit sourire plus d'un.

  « Je suis Jacob Bolt, le Maître de Musique. On m’a gracieusement chargé d’accueillir ses Altesses. Je suis… honoré, reprit-il avec plus de politesses en se détournant des garçons pour faire face à la jeune fille, de rencontrer la princesse Arya de Darcie, troisième née de la maison Al’raï, pupille de la maison Maceri de Limcorie.

  — Chez nous, on dit simplement La’ori Arya Al’raï. Pas besoin de tout ce charabia, Tonneau-Fleuri.

  — Par ailleurs, reprit Maître Bolt ignorant Ju et son surnom ridicule, je suis flatté d’avoir été choisi pour vous escorter jusqu’aux portes de notre Université. Votre présence gratifie notre établissement d’un nouveau joyau. Une personnalité de votre rang…

  — Elle s’appelle La’ori, insista Ju.

  — …embellit notre cour...

  — Est-ce qu’il compte l’épouser à lui faire des manières comme ça ? demanda le prince à ses compagnons de voyage.

  — Ne soit pas jaloux, lui répondit son frère. Toi aussi tu as tes chances. »

   La moutarde monta au nez de Bolt. Il rougit de colère. Un incident diplomatique aurait pu éclater si les limcoriens n’avaient pas été de grands enfants. Ces derniers se jouaient de Tonneau-Fleuri poussant la moquerie jusqu’à imiter les mimiques et les manières de leur hôte. Arya les envoya aider au déchargement des bagages le temps qu’ils se calment puis présenta des excuses à Jacob Bolt en leur nom.

   Quand arriva l’heure de choisir son moyen de transport, le maître de musique monta en voiture avec Arya et sa suivante. Le cortège quitta Apre dans une agitation enjouée. Les hommes se réjouirent de ne pas faire la conversation à cet être en manque de virilité guerrière et les plaisanteries grossières agrémentèrent leur avancée. Les membres de la délégation marquèrent leur passage dans les rues du village par de grands éclats de rire, tandis que la princesse s’évertuait à excuser le comportement de ses compagnons. Simples barbares mal éduqués, finit par décréter Bolt avec son air vexé de poupée poudrée.

   À mi-chemin, un raz-de-marée énergétique balaya l’île. Les limcoriens ne sentirent rien passer, tandis qu'Arya fut prise de violentes nausées. Ils furent obligés de s'arrêter. Elle vomit ses boyaux sur le bord de la route. Jaen et Lauriane restèrent à ses côtés pour lui tenir les cheveux et la soutenir dans cette épreuve.

  « C’est malheureux d’avoir le mal des transports comme cela, commenta Bolt la voix pleine de compassion. Prenez votre temps, Votre Altesse ! »

   Au comble de la honte, Arya préféra monter à cheval pour la suite du trajet. Ainsi, elle se trouva plus à l'aise, même si un poids demeurait sur ses épaules et mettait ses nerfs à vif. La princesse maintint sa monture à la hauteur de la voiture, en queue de cortège. Jacob Bolt poursuivit la présentation des lieux et des événements à venir comme si rien ne les avait interrompus. Arya trouva cela délicat de sa part.

 «Quand nous arriverons, un guide prendra le relais et vous mènera aux appartements qui vous ont été affectés. Des serviteurs vous seront réservés pour la durée de votre séjour et répondront aux moindres de vos requêtes, dans la mesure du réalisable, cela va de soi.»

   Suivi à cela, une liste ennuyeuse de demandes automatiquement refusées. Maître Bolt émit un petit rire aigu sur une conclusion amusante. Arya grimaça un sourire en ne partageant pas son humour. Bolt aborda ensuite une festivité particulière qui le fit tressauter de joie. La princesse tâcha de garder un visage neutre en le voyant s'exciter pour un événement qui ne pouvait que l'angoisser et lui donner des sueurs froides.

  «Quel genre de dîner ?

  — Un dîner d'introduction ! Oh ! Toutes les personnalités de haut rang seront là. C'est l'une des meilleures occasions de rencontrer les héritiers du monde entier. De nombreux bals sont organisés tout au long de l’année, mais beaucoup se font en petits comités, par affinités. Pour cette occasion toute particulière comme je vous le disais, tous les jeunes gens de bonnes familles sont invités par le Gardien pour une soirée exceptionnelle. Oh ! Je suis tout excité ! Vous serez le point de mire de toute la noblesse ! Arya Al’raï de Darcie ! La princesse revenue d’entre les morts ! La princesse disparue faisant son entrée dans le grand monde ! J'ai tellement hâte d'y être !»

   Bolt n'aurait pas pu tomber sur un sujet plus douloureux que celui-ci. Arya se braqua, se refermant comme un coquillage. Elle talonna sa monture et prit la tête du cortège. Toute la délégation se tut soudainement en la suivant des yeux.

   Ju fit soudainement faire demi-tour à son étalon et cavala jusqu'à Bolt. Il cria colérique :

  «Qu'est-ce que vous lui avez dit, bougre d'andouille ?»

   Être insulté par un barbare était choquant, mais le maître s'empourpra de confusion en comprenant qu’il avait commis un faux pas envers la princesse, qui jusque-là s'était montrée charmante.

  Ju lui adressa un regard noir puis rejoignit Arya. La voir ainsi fermée, le dos raide, le regard droit et lointain, il ne savait pas par quel bout l’attraper. Aucune idée ou plaisanterie ne lui vint, il resta donc silencieusement à sa hauteur, prêt à saisir n’importe quelle opportunité pour engager le dialogue.

   Le trajet se révéla très long pour Jacob Bolt après ce petit incident. Le maître de musique fut impressionné et mal à l'aise au milieu de la troupe. Eux qui faisaient un boucan monstrueux un instant auparavant, ils respectaient à présent un silence de mort, le regard inquiet, fixé sur leur princesse. Quel soulagement ce fut d’apercevoir les portes de l’Université ! Il achèverait bientôt sa mission d’escorte.

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0