Un air de nouveauté [2/3]

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  Au plus près du lancement, le sort la plaqua au sol. Sifflant entre ses dents une fois la vague passée, Santhià se releva puis s’étira. Elle déverrouilla la porte et rejoignit son maître. Gorgé de magie, Luménor avait rajeuni. À présent, il ressemblait à un adolescent. Il lui sourit satisfait de leur travail et lança joyeusement :

 « Et si on allait prendre notre petit déjeuner ? Comme ça, tu me feras ton rapport. J'ai une de ces faims !»

  Le bureau éclairé par le soleil matinal mit le maître d'excellente humeur. Le temps que son domestique lui apporte son repas, il demanda à Santhià de commencer son exposé quotidien.

 « La résistance aptanne a pris d’assaut la prison de San Gorcia pour en libérer les otages politiques. Les attaquants ont été repoussés par l’armée aussitôt appelée en renfort.

 — Cela aide d’avoir un camp à moins d’un kilomètre, n'est-ce pas ? Bürnen me remerciera plus tard. Combien de morts ?

 — Quarante-trois…»

  Deux coups à la porte annoncèrent la livraison de la pitance. Luménor leva un doigt pour interrompre Santhià et faire entrer Kolerp. Obèse et maladroit, le domestique se dandinait plus qu’il ne marchait, ses bourrelets dansant à chaque pas. Il posa le plateau sur le coin du bureau et attendit bêtement, se balançant d’avant en arrière. Luménor croisa les mains sur sa table de travail et fixa Kolerp.

 «Tu comptes rester planté là longtemps ?

 — Oui, maître, enfin je veux dire non, maître.

 — Décide-toi, est-ce oui ou non ?

 — Non, maître, décida le laquais en baissant la tête.

 — Bien. Alors, débarrasse le plancher.»

  Le jeune homme se contenta d'obéir sous le regard perçant de la lamie. Elle ne le quitta pas des yeux. Embarrassé, il partit quasiment en courant. Ou ce qu’il avait de plus approchant. Une fois la porte close, Santhià fit face à son maître dans une grande envolée de boucles rousses.

 «Je ne comprends pas pourquoi vous le gardez à votre service ! Je ne connais personne de plus inutile.

 — Oh ! Il m’amuse ! Sa maladresse est divertissante.

 — Sa maladresse ! Vraiment ?»

   La jeune femme ne le croyait pas. Connaissant le maître, il y avait forcément une autre raison. Luménor se pencha vers elle et baissa la voix d'un air de conspirateur pour lui expliquer ce qu’elle ignorait :

  « Je préfère le savoir près de moi.

 — Pourquoi ne pas l'éliminer tout simplement ? rétorqua-t-elle sans baisser la voix. Cet… intrigant m'insupporte au plus haut point. Et il n'est même pas comestible ! Bien trop gras…

 — Allons, ma douce… Si Kolerp venait à disparaître, un autre espion prendrait sa place. Son remplaçant serait peut-être plus casse-pied, plus fouineur, et pourquoi pas plus doué ? Non. Je sais ce qu'il vaut. C’est ce qu’il représente dont je me méfie. »

  Santhià se força au calme. Depuis plusieurs années, différents groupes tentaient de destituer le Gardien de Saltar. Certaines personnes n'acceptaient pas que Luménor occupe ce poste depuis plus de cinq cents ans. L'espérance de vie d'un humain n'atteignait pas de tel sommet. Pourtant, de nombreux récits relataient les tentatives avortées de non-humains souhaitant accéder à ce haut poste. Le maître était donc toléré, mais la situation le faisait sourire tandis que la jeune femme s'inquiétait.

 «Raconte-moi un peu ce qu'il se passe dans le reste du monde, reprit-il en mangeant. Les affaires de Bürnen m'indiffèrent. Je lui ai offert mon aide, mais il n'a pas su agir de la bonne façon. Je ne peux pas constamment lui mâcher le travail. Sa cause est perdue à présent. Les aptans n'ont toujours soutenu que les Neita et ils préféreraient se gouverner eux-mêmes plutôt que de courber l'échine devant une autre famille de sang bleu. Contente-toi de lui donner ce qu'il demande pour affaiblir sa cousine Lizebeth, pendant que je cherche un moyen efficace de la destituer. Son héritier a échappé à mon contrôle et les derniers décrets qu'il a instaurés ne m'ont pas arrangé du tout. Ce garçon est à surveiller.

 — Oui, maître.»

  La lamie prit bonne note puis reprit où elle s’était interrompue :

 « Il y a eu un nouveau soulèvement dans la cité carcérale : les évadés ont servi de repas à la population locale. Les pertes n'ont pas encore été comptabilisées.

 — Cela fera moins de bouches à nourrir. Ce n’est pas encore le moment de les lâcher sur le continent. Ensuite ?

 — Dans le désert de Zorta, l'un des escadrons de Vongak s'est fait exterminer sur la route des caravanes. Les corps ont été brûlés. Aucune trace de leurs adversaires. Les seuls résidus de magie étaient ceux de la crémation. Cela a compromis l'expansion de son territoire et de son influence. De plus, il déplore la mort de son favori. Cette perte semble l'affecter au point qu'il s'affaiblit de jour en jour, ce qui pourrait porter atteinte à votre entente à court terme s’il continue de se morfondre.

 — Trouve-lui un remplaçant. D'autres nouvelles en provenance du désert ?

 — Les caravanes suivent leurs cours et les tribus se battent entre elles pour survivre. Au nord, les darciens ont repris un peu de terrains mais leurs rangs s’éclaircissent de semaine en semaine. Les renforts leur manque, ils…»

   Santhià se tut en voyant le maître plongé dans ses pensées. Il ne l’écoutait plus. Dans ces cas-là, il valait mieux ne pas le bousculer. Il ne fut pas long à revenir à la réalité.

 « Ah ! Vongak… Les zortans ne sont pas des enfants de chœur et il le sait ! Enfin… Pauvre garçon ! Ce jeune Démon Blanc avait du potentiel. C'est dommage qu'il ait disparu si jeune.

 — Cela signifie qu'il ne reste que quatre antiogs dans le monde, maître, releva-t-elle.

 — Oh ! Tout juste. Et cela allège nos soucis n'est-ce pas ? Même si le garçon n'était pas encore mûr. Si j’avais pu le rallier avant que Vongak ne l’abrutisse de sornettes… »

  Luménor soupira comme si la mort du jeune homme l’avait réellement affecté tandis qu'il se chatouillait le nez avec le manche de sa cuillère, puis il passa à autre chose. Les vies humaines étaient si fragiles.

  Santhià patienta quelques secondes puis enchaîna, habituée aux changements d'humeur du Gardien :

 « À propos de vos affaires en Larfonie, le Dauphin a déposé une candidature pour les sélections annuelles de l'Université. Il se pourrait que cela fasse suite au scandale de sa relation charnelle avec un autre homme. La reine Lizebeth a d’ores et déjà payé sa place, mais il tient à se mettre au niveau de ses camarades.

 — Je ne le savais pas de ce bord. Quoique…»

  Le maître rit en imaginant la tête de la reine à l'explosion du scandale. Il partit dans un fou rire, durant lequel Santhià demeura stoïque et très professionnelle. Elle ne connaissait pas personnellement la souveraine. Elle attendit le retour au calme, battant le sol de sa queue reptilienne pour canaliser son impatience. Elle reprit lorsque l'hilarité du maître s’atténua.

 « Dans la liste des invités de marque nous recevrons également la princesse Arya de Darcie puisque vous lui avez refusé l’assistance privée que sollicitait Kol Maceri, actuel roi de Limcorie.

 — Arya de Darcie, dis-tu ? l'interrogea-t-il en se redressant. Ce doit encore être une imposture. Combien de filles se sont prétendues être la sœur de la Reine de Fluvie ces dix dernières années ? La pauvre princesse disparue ! Bouh hou ! Dis-moi que c’est une plaisanterie !

 — La nouvelle m'a surprise également. J'ai donc pris la peine de faire quelques rapides vérifications. Les Maceri l’ont recueillie il y a quatre ans. Mahal, notre espion sur place, m’en a informé quelques mois après son arrivée au poste de médecin de la cour. Une dizaine d'incidents magiques nous ont été rapportés par la suite, le dernier datant d’une dizaine de jours. Des pertes de contrôles plus ou moins dévastatrices. J'ignore pourquoi ces rapports ne m'ont pas été transmis plus tôt. Ils avaient été archivés sans mon approbation.

 — C'est parce que cela ne peut pas être la fille d’Elena. Haec m'a affirmé qu’elle était morte dans l’explosion du dernier centre de recherche. Depuis combien de temps est-elle là-bas ? demanda-t-il tout à coup très sérieux en se redressant dans son siège.

 — Un peu plus de quatre ans à ce que j’en sais, lui répéta calmement Santhià.

 — Mmm... Étrange en effet. Cela concorde avec l’explosion... Es-tu certaine de son identité ? Ce n'est pas une comédienne ? Ou une pauvre fille qui se fait passer pour la princesse ? A-t-elle des prétentions au trône de Darcie ? Son identité a-t-elle été vérifiée ?

 — Son bijou de noblesse a été authentifié par Mahal lui-même. C'est bien Arya Al'raï de Darcie, maître. Je me renseignerai plus amplement à propos de ses objectifs. Les limcoriens ne sont pas avares de confidences quand cela touche aux familles royales. Et en tant que pupille des Maceri, elle bénéficie de leur protection.

 — La peste soit des han’ors ! Mène l’enquête au plus vite. Si c'est bien la fille d'Elena, il va falloir que tu me la surveilles de près. On ne peut pas se fier à une adivini. Ils sont bien trop imprévisibles.

 — Entendu.

 — Comment a-t-elle pu s’échapper… marmonna-t-il avant de taper du poing sur la table. Convoque Haec ! Je veux savoir pourquoi il a menti.

 — Il est en mission pour le moment, dois-je le rapatrier d’urgence ?

 — Quand doit-il revenir ?

 — Dans une semaine. Pour l'évaluation des nouvelles recrues.»

   Contrarié, Luménor la transperça d’un regard mauvais qui réduisit la lamie au silence. Le maître finit par lui faire signe qu’il attendrait jusque là. Elle acquiesça et garda la tête basse jusqu’à ce que Luménor se calme.

  « Qu’as-tu de plus pour moi ? demanda-t-il après quelques minutes de réflexion silencieuse.

  — J’ai trouvé et rapatrié le miroir de Galriel.»

   Luménor fixa la jeune femme avec étonnement. Sa douce enfant lui avait réservé la meilleure nouvelle pour la fin. Sa contrariété s’envola.

 « Où l’as-tu trouvé? demanda-t-il avec un empressement enfantin.

 — Dans la faille de Milsan, maître. À la frontière du plateau de Bagril. Il était incrusté dans la roche au fond d'une caverne sacrée. Je n’ai pas eu le temps de vous l’annoncer. Votre état était préoccupant et…

 — Maintenant je suis en pleine forme ! Où est-il ?

 — Sous la crypte, dans l’ancienne trésorerie.

 — Je veux le voir !»

Ж

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