Tout feu tout flamme [4/6]

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  Au petit matin, Kol passa devant ses fils endormis l'un contre l'autre sur le banc de pierre. Exclus de la chambre de La’ori, ils ne s’étaient pas résolus à s’éloigner. Le père sourit de leur obstination et rejoignit son épouse. Maï n'avait pas quitté le chevet d’Arya depuis leur retour. Elle attendait assise sur un tabouret, vigilante. Kol posa une main sur son épaule, lui apportant le soutien dont elle avait besoin.

 « Elle parait si paisible, commenta-t-il à mi-voix après quelques minutes d’observation.

 — Les vapeurs de camomille l’ont apaisée. Elle gémissait et se tordait de douleur sans se réveiller. Pourtant elle ne faisait pas de fièvre. Elle n’en a jamais eu à ma connaissance.»

  Maï tourna un regard humide vers son homme qui lui massa doucement la nuque.

 « T’a-t-elle déjà parlé de ses cauchemars ? »

  Kol hocha silencieusement la tête. Ce ton-là signifiait qu'elle n'attendait pas vraiment de réponse. Sans se tromper, Maï reprit rapidement :

 « Nous en avons discuté une fois. Je lui ai dit que les cauchemars étaient le reflet de nos peurs. Les récents événements me poussent à croire que ce ne sont pas que des mauvais rêves. Et s’il s’agissait de ses souvenirs ? Si elle revivait nuit après nuit ce qu’elle a pu subir avant d'arriver ici ? Ce doit être affreux. Affreux… Pauvre enfant.»

  Elle se pencha et caressa les mèches rebelles sur le front d’Arya. Kol marqua un silence puis déclara avec douceur :

 « J'ai parlé à Mahal, le guérisseur. Il pense que nous devrions chercher quelqu'un pour aider La'ori, pour que sa souffrance cesse. Nous n’avons que trop tardé.

 — Il ne peut rien faire pour elle ?

 — Il dit qu'elle a besoin d'un maître en spirit. Que son mal n’est pas physique.

 — Que tu l’envoies en Fluvie ou ailleurs, il lui faut traverser le pays. Tu n'y penses pas ! C'est un trop long trajet pour elle ! Bien trop fatiguant dans son état. Fais-en venir un ici.

 — Maï… Tu sais que c’est impossible. Nulle magie… Aucun mage normalement constitué, se reprit Kol après s’être arrêté sur le cas d’Arya, n’est en mesure d’exercer ses pouvoirs à Kolp-Réanne. Mahal conseille de rencontrer un spécialiste à Saltar. Ce sont les meilleurs d’après lui. Leur savoir est grand, leur magie puissante. Et puis, je sais qu’elle est suffisamment forte pour affronter cela.»

  Kol baisa le front de sa femme qui continua de faire non de la tête avec obstination.

 « Prends le temps d'en parler avec elle, ma douce. Je vais dès à présent prendre les dispositions qu’il faut. Elle partira dès qu’elle se sentira en mesure de faire la route.

 — Tu dis cela comme si c'était déjà décidé ! se vexa Maï.

 — Pour moi ça l'est. Je ne veux plus jamais la voir dans cet état. Tu l’as dit toi-même, elle mérite de trouver la paix. C’est une brave fille. Je l'aime autant que toi. Je donnerais mes terres et ma vie pour elle si cela pouvait la guérir de ses tourments.»

  Maï admettait la pertinence de ses propos, mais en tant que mère, il était difficile de songer à voir la jeune fille les quitter. Kol quitta la chambre en lui souhaitant de prendre un peu de repos. Elle hocha la tête sans l'écouter et resta seule au chevet de La’ori.

   À l'aube, Maï tourna la tête vers la fenêtre sans rideaux ni volets et regarda le soleil se lever. Tout semblait si calme à cette heure-ci. Le temps serait superbe. Pas un nuage de perturbait le ciel dégagé en cette heure matinale. Lorsque le soleil fut sur l’oreiller, Arya ouvrit lentement les yeux. Elle s’aperçut rapidement qu’elle n’était pas seule.

 « Maï ? Qu'est-ce que tu fais là ?

 — Bonjour. Tu as bien dormi ? »

  Arya s’assit, bailla et s’étira en repoussant les couvertures par habitude. Les brumes du sommeil se dissipant, elle prit conscience qu'elle avait un trou de mémoire concernant la veille. Le mutisme de sa protectrice après sa question lui fit imaginer le pire.

 « Pitié ! Dites-moi que je n'ai fait de mal à personne !

 — Tout va bien. Personne n’a été blessé. »

  Le regard affligé d’Arya attrista Maï qui s’assit aussitôt sur le lit, tout contre sa jambe. Elle se pencha pour prendre le visage de la jeune fille entre ses mains, caressant affectueusement ses joues jusqu’à ce qu'Arya montre des signes de détente. Lorsque la reine la jugea apte à l'écoute, elle lui relata brièvement les faits. Arya blêmit et serra les poings jusqu’à ce que ses jointures blanchissent. Elle s’apprêtait à faire pénitence quand Maï lui barra impérieusement la bouche d’un doigt.

 « La dernière chose que je veux entendre sortir de ta bouche ce sont des excuses. Ce qui est arrivé ne pourra pas être changé. Tu ne peux plus revenir en arrière. À toi à présent d’agir au mieux. Tout le monde s’est inquiété pour toi. La seule chose qu’ils ont besoin de savoir, c'est… comment te sens-tu ?»

  Les mots étaient doux, sans reproche, sans peur. Arya médita ses paroles. Elle se sentait relativement bien, malgré le rêve agité de cette nuit. La mort hantait constamment ses rêves, mais cette fois la joie avait précédé l’horreur. Elle regarda sa tutrice et lui reposa la question pour la première fois depuis des années :

 « Est-ce que vous savez si j'ai encore de la famille quelque part ?»

  Maï, malgré tout son amour pour La'ori, ne pouvait répondre à cette question. Arya ravala son chagrin en silence et lui offrit un sourire pathétique. Depuis son arrivée à Kolp-Réanne, elle avait cherché des réponses à ses questions. En l’absence de celles-ci, elle vivait au jour le jour, de balades et de distractions, incapable de se projeter dans l’avenir. Mais cette nuit, cela avait été l’incident de trop. Combien de personnes avait-elle mises en danger ?

   Face à la culpabilité de La’ori, Maï la prit dans ses bras et la berça tout en sachant qu’elle ne pouvait pas faire mieux que d’être présente. Si elle avait pu libérer Arya de ses souffrances, elle l’aurait fait depuis longtemps. Pour l'heure, il fallait apaiser la culpabilité et consoler sa fille d'adoption.

   Afin de passer à autre chose, Maï se leva du lit et chercha une tenue seyante dans l’armoire. Elle la prépara derrière le paravent puis revint à son chevet. Arya était assise, la couverture remontée sous les bras et fixait le pied du lit, les yeux dans le vague. La jeune fille ne réagit que lorsque la reine lui tapota le bras.

 « Je te propose une promenade, si tu t'en sens la force. On pourrait se faire servir un repas sur la terrasse. Qu'est-ce que tu en dis ? Ce serait idiot de ne pas profiter des derniers jours d'ensoleillement. »

  Proprement vêtue d’une robe bleu vert et les cheveux lâchés, Arya se laissa guider par Maï. Dans le couloir, les garçons dormaient toujours profondément sur le banc. Elles se glissèrent hors de la chambre sans les déranger et se rendirent aux jardins. La princesse écouta la reine lui détailler les prochaines floraisons. La conversation dériva vers la mode léovienne très prisée à la capitale, la poésie et la littérature, la politique et les dernières affaires d’état. Tous les domaines qu'elle avait pu enseigner à La’ori pour faire son éducation.

  Pourtant Arya sentait que ce n'était qu'un prétexte.

 « Et si vous en veniez au fait ? »

  Maï se tut. La franchise de la jeune fille la déroutait parfois.

 « J’ai peur de me montrer maladroite, reprit-elle avec sincérité, aussi j’espère que tu ne prendras pas mal ce que je vais t’annoncer. »

  La souveraine rassembla ses esprits, prit le temps de choisir ses mots. Après une telle introduction, Arya sentit son ventre se nouer. Elle serra le poing qui ne tenait pas le bras de Maï, s'attendant au pire tandis qu’elles cheminaient.

 « Mahal pense que tu as besoin de soins adaptés à ta situation. Kol et moi sommes d’accord avec lui. Nous n’avons pas les compétences suffisantes pour prendre soin de toi comme il le faudrait.

 — Vous… Vous voulez que je m'en aille ? »

  Ébranlée, Arya s’immobilisa. Qu'est-ce que cela signifiait au fond ? Qu'ils ne voulaient plus d'elle ? Qu'elle était devenue trop dangereuse ? Trop encombrante ?

  « Je ne veux pas que tu penses que nous te rejetons, répondit Maï. Nous t’aimons de tout notre cœur. C’est parce que nous t’aimons que nous souhaitons que tu rencontres des personnes comme toi, des mages qui comprendraient ton cas. Tu connais nos relations avec le Dumlandcast, nous ne pouvons pas entretenir de relations paisibles avec ces gens-là. C’est pourquoi Saltar nous semble être la meilleure solution. Si tu décides d’y aller, tu devras faire le voyage jusque là-bas, car jamais les maîtres ne quittent l’île. J’ai bien dit à Kol que ce serait très fatiguant pour toi. Aussi, n’hésite pas à en discuter avec lui. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour t’aider. Nous ne voulons que ton bien, malheureusement nous sommes impuissants face à la magie.»

  Maï avait beau la rassurer, Arya sentait la chaleur quitter son corps. Un écho douloureux remonta des profondeurs abyssales de sa mémoire. Cet écho fit remonter la peur, une sensation de manque, d'humidité et de mur froid. Quand la reine se rendit compte que la jeune fille tremblait, elle la prit aussitôt dans ses bras.

  Enveloppée dans la chaleur de sa mère adoptive, Arya ferma les yeux et se concentra sur l’amour qu’elle portait à cette femme qui l’avait acceptée dans sa famille. Et qui souhaitait son départ à présent ? Arya se redressa brusquement et s’éloigna de Maï. La reine se tordit les mains, mal à l’aise face au retour de la sauvageonne qu'elle avait dû apprivoiser à son arrivée quelques années plus tôt.

 « Tu veux aller en discuter avec Kol ? Il pourrait te donner tous les détails. »

  Quels détails ? Ils voulaient la mettre dehors le plus rapidement possible ? Le visage d’Arya se déforma en une grimace de défiance. Trahie. Elle avait été trahie. Sur une impulsion, elle se détourna et partit en courant. Maï se désola de son échec et se rendit jusqu’à l’office de son époux pour le prévenir.


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