Tout feu tout flamme [2/6]

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  Dans ses appartements, Arya trouva sa dame de compagnie et sa couturière en pleine conversation autour d’une tasse de thé. La princesse les interrompit le temps de leur présenter ses excuses pour son retard puis disparut dans la salle de bain pour se laver.

  L’eau du baquet avait refroidi. Arya ne s’en plaignit pas et n’en fut que plus rapide pour se décrasser. Serviettes, savon et brosse avaient été préparés ; elle n’eut plus qu’à les utiliser. Malgré son statut, la pupille royale refusait toute servante pour l'assister. Elle ne supportait pas son corps, par conséquent, il lui était inconcevable de le montrer. Lauriane, sa dame de compagnie, s’en était accommodée et elles avaient trouvé plusieurs compromis.

  Une fois propre et en chemise longue, Arya retourna auprès des deux femmes et se livra à leurs mains expertes pour l’habillage du soir. La reine Maï était très à cheval sur la bienséance de ses tenues pour les dîners mondains. Un événement spécial était prévu ce soir-là. L’anniversaire d’une personnalité importante d’après ce qu’elle avait compris. Enfin, tout était prétexte à la fête chez les Limcoriens, grands amateurs de bière et de festins.

  Rose, la couturière, savait qu’il valait mieux faire comme si les cicatrices de la princesse n’existaient pas au risque de se faire renvoyer avec perte et fracas par une furie qui ne méritait plus ses lettres de noblesse. La jeune femme lui enfila la première couche de sa tenue : une fine robe ajustée à la taille, brodée d’oiseaux et d’arabesques cousus de fils dorés.

  Pour faire abstraction des étranges nervures noires qui couraient sur la peau d’Arya de la nuque aux cuisses, Rose se réfugiait dans un babillage incessant.

 « Je suis enchantée de savoir que vous avez pris du poids, La’ori. Maï’al m’a fait savoir que vous étiez serrée dans plusieurs de vos robes. Si vous le permettez, je les ajusterai. Puisque vous refusez que j’en confectionne de nouvelles à chaque fois que je reprends vos mensurations. Saviez-vous que la reine devient folle quand je vous apporte plus de tenues informelles que de robes seyant à votre rang ? Peu importe : vous êtes de plus en plus resplendissante. À propos le vert vous va à merveille !»

  Arya soupira à la remarque. Elle peinait à reprendre du poids de façon régulière ; pourtant elle faisait de son mieux pour effacer ce qui ressemblait à de longues années de privations. À cette pensée, les tentacules froids de son passé tumultueux lui étreignirent la gorge et Arya se focalisa sur les réflexions de Rose pour garder une respiration calme et régulière. Cette dernière abordait le sujet des prochaines célébrations saisonnières avec enthousiasme.

 « Pour les fêtes de l’automne, je vous prépare une magnifique robe aux tons chauds, comme les feuilles qui tombent des arbres pour préparer l’hiver. C’est poétique, n’est-ce pas ? C’est ce que m’a dit le barde quand il m’a vu traverser le marché avec les tissus que je désirais utiliser. Je vous ai trouvé du satin caramel et du taffetas chocolat. Vous allez être magnifique, La'ori.»

  Arya écoutait à peine. Elle se concentrait sur la mélodie de la voix et non sur les mots. Rose avait une voix agréable et douce, et des doigts légers. On les sentait à peine quand elle manipulait les étoffes ou prenait de nouvelles mesures. Arya ferma les yeux et se coupa de tout. Jusqu’à ce que Lauriane lui prenne doucement la main.

 « La’ori ? Tout va bien ? »

  Arya se força à sourire pour les rassurer. Il était bien trop tôt pour se laisser envahir par ses angoisses du soir. Elle regarda les deux jeunes femmes puis relança la conversation.

 « Excusez-moi, j’ai perdu le fil. De quoi parliez-vous ?

 — Des défis de Fran, lui répondit gentiment Lauriane.

 — Je me demandais si vous aviez quelqu’un en vue La’ori, osa Rose.

 — Cela ne m’intéresse pas, coupa Arya abruptement.

 — Pardonnez ma curiosité. Je n'étais pas à ma place.

 — Ce n’est rien, Rose. Je ne voulais pas... Je suis juste… Cela ne fait pas partie de mes préoccupations. »

  La couturière acquiesça et termina de nouer la deuxième robe en silence. D’un vert plus sombre, il mettait en valeur la chevelure sanguine de la princesse.

  Pendant ce temps-là, Arya resta bloquée sur les fêtes de l’automne. Cette célébration était très importante pour les Limcoriens. Trois jours durant, ils priaient, festoyaient et guerroyaient dans des joutes martiales afin d'obtenir les faveurs de la personne aimée. C'était l'étape préliminaire à la cour qui se faisait traditionnellement pendant l’hiver – puisqu’ils n’avaient que cela à faire dès que la neige recouvrait le pays. Dans le meilleur des cas, cela menait à un mariage, célébré à la fête du printemps. Les défis de Fran étaient donc l'occasion pour chacun et chacune de déclarer son amour.

  Contrairement à de nombreux jeunes gens, Arya n'attendait rien de cette fête. Elle avait trop de problèmes personnels à régler pour séduire un membre du sexe opposé, par plaisir comme par obligation. Son rang ne changeait rien à l’affaire. Personne n’attirait son attention dans le domaine sentimental et aucune alliance maritale ne pouvait être envisagée.

  Néanmoins, en tant que pupille royale, et afin de ne pas l'exclure, le roi l’avait sollicitée pour ouvrir des festivités. La perspective de son discours face à la foule l’effrayait. Tous les regards seraient braqués sur elle, attentifs au moindre faux pas.

  La couturière se rendit compte de son trouble et posa délicatement la main sur son épaule. Arya sursauta en revenant à la réalité.

 « Vous parlez encore moins que d’habitude, La’ori. Est-ce que je vous ai offensée ? »

  Arya remua la tête en serrant doucement la main de Rose pour la rassurer. Lauriane sourit et la taquina en espérant la dérider un peu.

 « À moins que vous redoutiez la réaction de Maï’al ? Vous vous êtes encore enfui ce matin, n’est-ce pas ?

 — Ne vous en faites pas, s’écria joyeusement Rose, Ju’il et Jaen’il vous protégeront !

 — Comment pourraient-ils choisir entre leur mère et Lao’ri ? Ce serait une trahison dans tous les cas. Comment choisir entre l’amour d’une mère et celui d’une future reine ?

 — Et s'ils se battaient en duel ?

 — Ce serait magnifique à voir ! Un combat de champions !

 — Merci pour vos encouragements. »

  Cette dernière remarque de la princesse clôtura sèchement l’échange à la limite de l’absurde et chacune retourna à son devoir en revenant à des badinages plus légers.

  La deuxième robe ajustée, Rose attira Arya vers le miroir pour lui montrer le résultat. La couturière avait arrangé la tenue afin qu’elle gonfle un peu ses formes. Arya appréciait ses efforts. Elle avait mis beaucoup de temps avant de manger à nouveau normalement, et comme elle bougeait beaucoup, elle ne faisait pas beaucoup de graisses. Quoi qu’il en soit, elle n’avait plus l’air malade, et c’était déjà un bon point. Puis les tenues colorées lui seyaient beaucoup plus que les couleurs neutres ou pastel. Les cols hauts et les manches longues cachaient sa peau ravagée. C'était tout ce qu'il lui fallait.

  L’examen vestimentaire terminé, Arya s'assit à sa coiffeuse et ce fut au tour de Lauriane d’user de ses doigts de fée. Elle brossa et arrangea la longue chevelure de façon distinguée tout en gardant la nuque couverte. Elle ramena les cheveux en arrière grâce à quelques barrettes et dégagea le visage des mèches rebelles grâce à de petites torsades qu'elle coinça avec d’autres épingles dans le demi-chignon. Finalement, Arya se sourit fièrement dans le miroir malgré l'impression de ressembler à un porc-épic. Elle se trouvait même plutôt jolie. Ce qui était relativement rare.

  Satisfaites du résultat, Rose et Lauriane se félicitèrent mutuellement. Pendant ce temps-là, le reflet de son bijou de noblesse attira le regard d’Arya. Le bracelet d'or serti de pierres rouges lui plaisait bien, malgré son luxe ostentatoire. Après tout, c’était grâce à lui que les Maceri l’avaient recueillie. Cet ornement réservé aux plus anciennes familles de l’aristocratie était offert à la naissance et ne pouvait pas être retiré, ni falsifié. Arya le fit tourner sur sa peau jusqu'à voir le blason et la gravure qui se trouvait au revers.

  C’était tout ce qu’elle possédait. Un nom et des armoiries. Elle ne se souvenait de rien. Ces inscriptions représentaient sa seule certitude en ce bas monde. Cela ne l’empêchait pas, depuis son arrivée au Limcorie, de tenter d’élucider le mystère de son amnésie, de retrouver ses souvenirs. Un visage, un son, une image, n'importe quoi. Dans toutes ses entreprises, Arya n’avait récolté que des cauchemars.

  Le temple de Sighna sonna la première heure du soir. Arya devait descendre pour le dîner. Elle se secoua pour récupérer un peu de tonus et Lauriane mit la dernière touche à sa tenue avec une légère touche de parfum. Ensuite, Rose lui ouvrit la porte. Les deux princes attendaient dans le couloir, l’un appuyé contre le mur, l’autre assis sur le petit banc de pierre. Arya ne s'en étonna pas. Ils venaient la chercher tous les soirs. La princesse était rarement laissée seule – c’était la raison pour laquelle elle prenait la fuite : parfois, elle avait besoin de prendre l’air.

  À son apparition, Jaen se mit debout tandis que Ju lui adressait un sourire affectueux. L’aîné décroisa les bras et vint lui faire une bise sur la joue, glissant une main sur sa taille.

 « Voici la plus belle ! Sonnez les trompettes pour La'ori !

 — Arrête, Ju. »

  Sa proximité la gênait. Elle le repoussa gentiment et fila vers les escaliers, une main se préparant à attraper ses jupes pour ne pas se prendre les pieds dedans.

 «Venez ! Je ne veux pas faire attendre vos parents, lança-t-elle à la volée.

 — Oh ! Tu ne crains rien. On n’attend que toi.

 — Ju ! protesta Jaen.

 — Quoi ? Elle a le droit de savoir !

 — C'était sensé être une surprise ! le rabroua son frère en baissant la voix.

 — Oh ! Ça va ! Tu sais bien qu'elle déteste les surprises ! »

  Figée en haut des escaliers, Arya les fixa avec étonnement et un soupçon de méfiance. Qu’est-ce que cela signifiait ? Tandis que les deux frères débattaient de ce qu'il convenait de faire, Arya remarqua qu’ils portaient leurs plus beaux habits. Elle en vint à penser que quelque chose s’était organisé à son insu. Le manque de recherche dans l’après-midi et le peu de sermons à propos de sa dernière fuite prirent tout leur sens : ils en avaient profité. Mais pourquoi se seraient-ils donné autant de mal ? Suite à cette étrange idée, Arya poussa un profond soupir. Ju avait raison, elle détestait les surprises.

  Parvenus à un accord, les garçons la dépassèrent et descendirent les escaliers, avant de se rendre compte que leur compagne ne suivait pas. Ils remontèrent alors et la dévisagèrent. Ju lui adressa tout de suite un sourire rassurant et lui tendit la main. Jaen l’imita aussitôt.

 « Tout va bien se passer, La’ori.

 — Ce n’est qu’une soirée un peu plus particulière que les autres, ajouta Jaen.

 — Allez, viens, ça va être amusant, tu vas voir.»

  Après un moment d’hésitation, Arya les rejoignit. La jeune fille inspira courageusement et les prit par le bras. Ainsi entourée, elle reprit la descente, un peu plus sûre d’elle, même si une nouvelle boule d'angoisse lui prenait le ventre. Espérons qu'elle disparaisse rapidement avant que cela dégénère.

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