Au nom de la Rose [2/4]

5 minutes de lecture

  Après la cérémonie, Lily Leyhan quitta le voile. Elle continua de suivre les enseignements des anciennes en privé, tout en se mêlant à ses sœurs pour les tâches quotidiennes. Elle se mit à suivre les patronnes de sections pour apprendre à leurs côtés et particulièrement auprès des Roses Noires, les combattantes.

  Au début, Hyacinthe Rosales vit cette intrusion d’un mauvais œil. C’était une guerrière méfiante et dure, une meneuse inébranlable. Toutefois, la douceur de Lily vint à bout de son armure. Et puisqu’elle s’occupait de sa fille, née le lendemain de la cérémonie, Hyacinthe avait pu reprendre rapidement ses entraînements.

  Caressant la peau basanée du nourrisson, Lily plongea son regard dans le sien. Elle lui exprima sa joie et l’enveloppa de son amour.

 « Tu seras forte comme ta mère, Suna. Aussi fière et inébranlable. »

  L’enfant la regardait gravement. Ses grands yeux noirs semblaient percevoir et comprendre tout ce qu’il se passait autour d’elle. Elle finit par sourire à la nuwë qui fondit de bonheur.

  Avec les années, Suna et Lily devinrent inséparables. Le bouton de rose grandissait et s’épanouissait à vu d’œil quand la fille d’Ogani vieillissait lentement comme ceux de sa race. Des premiers pas de la future Bouclier à ses premières leçons en tant que femme, en passant par toutes ses premières fois d’enfant, Lily était là. Ce furent de grands moments de joie partagée. Elles tissèrent un lien fort.

   Néanmoins, une fois son rite de passage effectué au début de sa puberté, Suna commença à s’assombrir. Quand Lily rayonnait d’une lumière bienveillante, son amie faisait preuve de cynisme et parlait avec une froide lucidité de tout ce qui l’entourait. Peu à peu, Suna s’isola, rejetant la compagnie de ses sœurs, passant des heures à s’entraîner seule jusqu’à l’épuisement. Lily cessa de compter le nombre de fois où elle se fit rejeter sans recevoir aucune explication.

  À dix-sept ans, Suna était devenue aussi ténébreuse et taciturne que Lily était pleine de grâce et d’amour pour son prochain. Guerrière tout comme sa mère, Suna maniait les armes avec dextérité, tout en reniant la magie et toutes ses utilisations. Elle était devenue intransigeante à propos de cette dernière. Lily avait bien tenté de lui montrer les avantages des sortilèges mais rien n’y fit. Suna refusa irrémédiablement tout enseignement magique que ce soit pour le combat ou le confort.

  Afin d’alléger ses soucis, Suna aurait voulu faire vœu de solitude. Cependant, en tant que Bouclier, elle devait rester aux côtés de la nuwë. À cause de ce destin tracé, elle n’avait pas le pouvoir de décider de sa propre existence. Ainsi, elle fut contrainte de cacher son secret à ses sœurs et à son amie de toujours.

  Lily ne comprenait pas pourquoi Suna semblait constamment déchirée entre ses désirs et son devoir. Un jour, elle était aimable, le lendemain, méchante et odieuse. Lily finit par lui donner rendez-vous dans une salle déserte afin de mettre les choses au clair.

  Suna s’était laissée entraînée sans savoir ce qui l’attendait. Quand Lily lui demanda franchement pourquoi elle l’évitait, Suna se montra agressive :

 « Si tu m’as fait venir pour ça, je m’en vais.

 — Si je n’avais pas prétexté avoir besoin de ton aide, tu ne serais jamais venue. Maintenant, j’attends une réponse.

 — Je n’ai pas de compte à te rendre !

 — Bien au contraire.

 — Laisse-moi tranquille. »

  La nuwë insista. Le ton monta. Suna sortit de ses gonds et piqua Lily de sa verve assassine, au point où celle-ci changea de visage en crachant son venin nocturne bien avant le coucher du soleil. La guerrière battit en retraite immédiatement tandis que la nuwë se détournait afin de reprendre son calme. Suna avait déjà eu l’occasion de voir l’apparence nocturne de Lily mais jamais dans ces conditions. Elle s’en voulut aussitôt d’avoir réagi avec impulsivité.

  Après cela, les deux filles s’assirent calmement l’une à côté de l’autre, s’excusant mutuellement pour leur comportement. Le silence enveloppa leur sage recueillement pendant quelques secondes puis Lily donna un petit coup de coude à Suna.

 « Pourquoi tu ne veux pas me dire ce qui te tracasse ? »

  Par honte, Suna détourna la tête en se murant bêtement dans le silence. Lily la dévisagea sans comprendre à quel moment Suna avait cessé de se confier à elle.

 « Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Est-ce que je te néglige ?

 — Non ! réagit vivement Suna. Ce n’est pas à cause de toi.

 — C’est à cause de qui ? Ta mère ? Les cours de magie ?

 — Non… »

  Suna soupira puis regarda Lily dans les yeux. Elle hésitait à se livrer parce que cela pouvait réduire leur amitié à néant. Lily patienta, prit sa main et la serra pour lui montrer son soutien. Suna posa sa main sur celle de son amie et resta un long moment en silence. Elle continuait de peser le pour et le contre d’une telle révélation. Au moment où Suna se décida à tout lui dire, la Vieille-Mère entra dans la salle et vint à la rencontre des deux filles.

 « Je savais que je vous trouverais là.

 — Bonjour Vieille-Mère, la salua joyeusement Lily en se levant. Cela fait un moment que l’on ne vous avait pas vue. Que pouvons-nous faire pour vous ? »

  Suna lâcha la main de Lily en bénissant l’arrivée de l’ancienne. Sans cela, elle aurait trahi son secret. Et probablement perdu son amie. Hevlaska salua la nuwë puis regarda la jeune Bouclier.

 « C’est toi que je cherchais, ma fille. Peux-tu nous laisser, Lily ? »

  La nuwë s’inclina avec déférence, encouragea silencieusement son amie puis quitta la salle avec le sourire. Ce fut la dernière fois qu’elle vit Suna. Hevlaska l’emporta avec elle et disparut à nouveau pour plusieurs années. Ni Hyacinthe, ni les Vieilles-Mères ne répondirent aux questions de Lily.

  Après le départ de son amie, la nuwë se sentit vraiment seule. Malgré leurs différences, il y avait toujours eu cette connexion spirituelle entre elles. Suna ne l’avait jamais jugée sur sa race, et pour Lily c’était une situation si rare qu’elle s’y était attachée. Elle lui manqua cruellement. Au point où Lily souhaita quitter le sanctuaire et retourner dans sa famille, au Nuwëat.

  Pendant plusieurs semaines, Lily vécut un calvaire. La motivation s’était éteinte. Le mal du pays se faisait cruellement sentir. Pourtant, ses journées ne se ressemblaient pas. On l’occupait du matin au soir, on l’entraînait plus sévèrement. Lily avait conscience de sa mission prochaine et de ses responsabilités en tant que fille d'Ogani, mais l'absence de son amie la plus chère lui crevait le cœur.

   Tout changea quand elle reçut une lettre. Un simple billet glissé sur son oreiller. Suna lui avait écrit. Elle allait bien, n’avait pas le droit de parler, ni celui de communiquer avec le clan. Mais pour Lily elle avait bravé tous ces interdits et même utilisé un peu de magie pour lui envoyer sa lettre. Comment avait-elle su qu’elle n’allait pas bien ? C’était un mystère. Mais ces quelques mots lui redonnèrent espoir. Elle se promit de revoir Suna, dans les plus brefs délais. Mais pour obtenir le droit de partir, il fallait terminer son apprentissage. Cette nouvelle détermination lui donna la force de se relever et de repousser ses propres limites.


Ж

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0