Au nom du ciel [5/9]

8 minutes de lecture

   Ils passèrent sous une arche anodine et arrivèrent dans un endroit immense. Cela ressemblait à une bibliothèque. Une magistrale bibliothèque. Très encombrée. Et mal rangée, semblait-il. Astralia nota l'accumulation d'un nombre incroyable de parchemins, de globes, de tablettes, de livres, et une multitude de maquettes dont elle ne connaissait ni l’utilité ni le nom, quel que soit l’endroit où elle posait les yeux.

  La jeune fille tourna sur elle-même, émerveillée, observant au plafond les représentations des planètes et des astres observables depuis le monde terrestre et les prototypes de machines extraordinaires. Elle trébucha sur une pile d'objets, se rattrapa puis croisa les mains devant elle en fixant le sol. Elle se sentait idiote tout à coup. Sofine sourit en l’observant d'un air indulgent tandis que le maître des lieux apparaissait entre deux rayonnages.

 « Votre manque de ponctualité ne vous permet pas de toucher à mes affaires ! »

  Etinon, le Dieu-Serpent la dévisageait d’un air peu avenant après son introduction cinglante. Ses écailles changeantes irradiaient de mécontentement. Astralia se fit la plus petite possible, honteuse comme une enfant prise en faute. Elle ne l'avait pas imaginé si grand, ni si majestueux ce serpent à visage humain, encore moins si effrayant.

 « Mon frère ! Tu ne vois pas que tu lui fais peur ? Les humains sont des êtres craintifs. Tu devrais le savoir depuis le temps. »

  Sofine passa derrière elle et posa les mains sur ses épaules pour la rassurer tout en s’adressant à Etinon. Depuis quand était-il plus grand qu’elle ? D’un coup d’œil, Astralia remarqua que le Dieu-Messager avait changé d’apparence, il ressemblait à présent à un chevalier de l’armée royale, grand et puissant. Avait-il senti son besoin de se sentir en sécurité ?

  Etinon grimaça en marmonnant la dernière remarque de Sofine. Ce dernier glissa doucement à l’oreille de sa protégée :

 « Ne t’inquiète pas, il est grognon parce qu’il déteste faire pénétrer les humains dans son sanctuaire.

 — Je n’aime pas être bousculé, c’est tout ! le corrigea le Dieu-Serpent de mauvaise foi. Vous compliquez tout mon emploi du temps.

 — Et il est susceptible avec ça ! »

  Les deux frères se disputèrent comme des gamins à partir de là. Ceci avait quelque chose de comique qui fit doucement rire Astralia. Elle n’aurait jamais imaginé que les dieux soient si proches des mortels de ce point de vue.

 « Plaît-il ? réagit le Dieu-Serpent en la fixant soudainement.

 — Suffit, Eti, tu vas la traumatiser. »

  Changeant brusquement de sujet, le maître des lieux s’emporta vivement. Il siffla et s’attaqua à son frère avec plus de sérieux.

 « Je n’ai rien dit la dernière fois que Mère a choisi le guide, mais là, cela va trop loin ! Après le gamin narcissique, elle désigne une enfant tout juste sortie du berceau. Quand va-t-elle enfin se décider à prendre quelqu’un ayant déjà atteint un certain stade de maturité ? Je ne demande pas un vieillard centenaire, mais tout de même quelqu’un qui ait déjà un peu de vécu ! Et puis, pourquoi choisit-elle toujours des humains ? Il n’y a pas plus faible que les humains ! C'est une race déviante et facilement corruptible ! »

  Piquée au vif, Astralia se raidit sous les paumes de Sofine. Elle n’avait pas décidé d’être ici, c’était eux qui l’avaient convoquée. Tout ce qu’elle voulait, c’était aidé son prochain. Elle avait étudié les rites pour éveiller la foi de ses étudiants et leur apporter le Savoir transmis par les anciens. Elle aurait pu passer sa vie terrestre sans jamais voir les Jardins Célestes ; qui ne ressemblaient en rien à un jardin, soit dit en passant. De nombreux religieux vivaient de leur seule croyance, elle aurait très bien pu vivre de même.

 « C’est exact… »

  Etinon se calma après avoir perçu les pensées de la jeune fille et l’observa avec une attention nouvelle. Astralia plongea son regard dans le sien. Elle le laissa lire en elle sans lui opposer de résistance. Il détourna le regard au bout d’un moment, comme satisfait par ce qu’il avait vu. Le Dieu-Serpent enroula ses anneaux autour de lui-même et prit une apparence humaine, plus familière pour la jeune fille. Un homme brun à la silhouette élégante, les yeux aussi changeants que ses écailles se tint alors devant la prêtresse dans une longue toge verte.

 « Alors ? Elle te plaît mon frère ? demanda Sofine avec intérêt.

 — Elle a du potentiel. Même si elle n’a pas été confrontée aux difficultés de son monde. Vivre dans une sphère confortable et sûre pendant toute sa vie, ne l’a pas préparée à ce qui l’attend. Et puis, comment Mère a-t-elle osé choisir un descendant de Naga sans m’en avertir ?

 — Allons, Eti, elle avait sûrement une bonne raison.

 — Ce n'est pas la peine de la couvrir ! J’irai moi-même lui demander des comptes. »

  Astralia suivit leurs échanges avec intérêt. Est-ce que Naga était le Naga ? Celui qui avait bâti le Panthéon de Naguilé avec ses propres mues, régné sur les fleuves et donné son nom à la Fluvie ?

 « Le réduire à cela, c’est t’insulter toi-même ! Tu as hérité de son Don. Fais-en bon usage, et gare à toi si tu l’utilises à mauvais escient ! »

  Entre agacement et plaisir de rencontrer un des descendants de sa Créature, Etinon s’enfonça dans une allée encore plus encombrée que le reste de son domaine. Sofine fit un clin d’œil à Astralia pour lui signifier que tout se passait pour le mieux puis s’adressa à son frère.

 « Est-ce que tu vas lui présenter Fonaï ?

 — C’est mon idée. »

  Des ouvrages et objets en tous genres chutèrent. Etinon râla. Ils l’entendirent fouiller à différents endroits. Astralia se pencha vers le Dieu-Messager pour demander à voix basse.

 « Qui est Fonaï ?

 — Il s’agit d’un livre de poche, répondit-il en souriant gentiment. Il est relié au Grand Livre du Savoir. C'est sa version miniature si tu préfères. Il s’ouvre automatiquement sur ce dont son maître a besoin et ne se laisse pas consulter sans la permission de celui-ci.

 — Qui est son maître actuel ?

 — Moi, évidemment, s’écria Etinon en traversant l’allée principale pour changer d’étagères. Quelle question stupide !»

  Il fouilla au milieu des boîtes, des livres et des instruments, monta à une échelle puis à une autre, cherchait toujours. Astralia trouva étonnant qu’il ne sache pas où était l’objet, car après tout, il était le dieu de la connaissance.

 «Je te prierais de surveiller tes pensées, jeune fille, la gronda Etinon. Sache que Fonaï est un être vivant, avec sa conscience propre. C’est un petit malin qui trouve toujours le moyen de changer de place, rien que pour m’embêter. En plus, j’ai beau le punir et l’enfermer, il ne m’écoute pas et cherche toujours à m’échapper. Cela l’amuse.

 — Et ça l'agace, murmura Sofine en désignant son frère. Eti n’est pas très joueur.»

  Après un cri de joie, Etinon revint vers eux. Il fixa de nouveau la prêtresse puis lui tendit un coffret aux parois gravées de monstres. Astralia le prit et remercia le Dieu-Serpent avec respect. Il hocha la tête, lentement. Cette humaine lui plaisait bien finalement. Il lui accorda un maigre sourire et lui expliqua comment les choses allaient se dérouler.

 « Pour ouvrir la boite, prononce la formule inscrite sur le couvercle. Fonaï te reconnaîtra comme sa maîtresse. Dès lors, où que tu ailles, il sera toujours avec toi. S’il te gêne, tu pourras l’envoyer dans l’entre-mondes. Il te suffira de l’invoquer au moment où tu en as besoin. C’est tout. »

  Le silence tomba soudainement. Etinon retourna à ses affaires sans épiloguer. Astralia fixa la boite puis le dos du Dieu-Serpent. C’était aussi simple que cela ? Sofine la regarda en silence puis déclara d’un air bienveillant :

 « Il semblerait que nous en ayons terminé ici.

 — Et s’il ne m’obéit pas ?

 — Fonaï ? Il t’obéira.

 — Pourquoi avoir fait de moi sa maîtresse ?

 — Pour qu’il puisse t’aider.

 — Comment ?

 — Tu verras. »

  L'autorisation d'Etinon n'aurait-elle pas suffi ? Astralia regarda la boite puis releva les yeux vers le Dieu-Messager. Il prit sa main et l’entraîna vers la sortie. De retour sur l’esplanade, elle observa la boite qui contenait le malicieux Fonaï. Une pointe de doute s’immisça de nouveau dans un coin de son esprit. Parviendrait-elle au bout de sa mission en ayant pour seul appui un livre vivant qui adorait les farces ?

 « Tu ne seras pas seule longtemps, Sainte Astralia de Fluvie. »

  La voix féminine, profonde et calme lui fit redresser la tête. Sighna s'approcha puis toucha le front de la jeune fille d’une délicate caresse. Sa marque brilla sous ses doigts. Un frisson courut sur l’échine d’Astralia.

 « Le rôle d’une Sainte est de rassembler, unir et guider. Tu es pure. Ne laisse personne corrompre ton âme. Sache reconnaître tes amis. Ils seront tes appuis et tes protecteurs pour peu que tu ne les laisses pas dans l’ignorance. Que ta voix porte loin. »

  La déesse fit signe à son fils qu’elle en avait terminé. Astralia recula d'un pas pour mieux s'incliner respectueusement devant la Déesse-Lune. Cette dernière la salua gracieusement d’un signe de tête puis s’en retourna et disparut dans un amas d’étoiles.

 « Je dois te ramener.»

  Sofine s’approcha de la Sainte et l’enveloppa dans un tourbillon de vent, de couleurs et de parfums. Astralia perdit conscience rapidement sous la puissance dégagée. Le Dieu-Messager réintroduisit le corps astral dans son enveloppe charnelle puis reprit le chemin du monde divin.

Ж


  Astralia s’éveilla quelques heures plus tard au cœur du sanctuaire, sur la lune en mosaïque. Elle était seule et se sentait lasse, et lourde. Elle s’assit difficilement et fixa ses mains, puis toucha son front. Est-ce que tout cela n’avait été qu’un rêve ? Elle se leva et une boite tomba au sol. C’était le coffret donné par Etinon. Elle n’avait donc pas rêvé. Astralia récupéra la boîte, la serra contre elle et se releva. Qu’était-elle censée faire à présent ?

  Dans le silence du sanctuaire où le passage s’était refermé depuis plusieurs jours, Astralia s’interrogea. Qui devait-elle unir et dans quel but ? Pourquoi Sighna lui avait-elle fait don de clairvoyance ? Face à la statue de la Déesse-Lune, puis du Dieu-Serpent, la nouvelle Sainte resta figée, méditative.

  Un mouvement brusque dans le coffret la fit sursauter et elle jugea bon de quitter le sanctuaire. La Porte-Monde s’ouvrit d’elle-même. Avec surprise, Astralia fut accueillie par un parterre de croyants, priant pour le retour de la Sainte. À son apparition, des cris de joie s’élevèrent. Tout le monde chercha à l’atteindre. Elle eut la sensation que des milliers de mains l’agrippaient de tous côtés. Astralia fut happée par toutes leurs énergies. Des centaines de visions l’envahirent.

  Passé...

        Présent...

                Futur...

  Tout se mélangea, se brouilla. Elle s’évanouit sous le flot d’informations.

  Inquiets, des moines la portèrent au-dessus de la foule. Ils la transportèrent jusqu’au pavillon des Saints en retrait des temples majeurs. Historiquement, ce lieu était la résidence de tous les religieux élevés au rang suprême. L’édifice avait été remis en état après de longues décennies d'abandon. Les ouvriers avaient travaillé d’arrache-pied pour lui rendre ses fonctions. Ils pouvaient être fiers d’eux. Le pavillon resplendissait à nouveau.

  La Sainte fut lavée puis couchée sur un autel aux yeux de tous. Telle une statue vivante dans une pièce bordée de claustras qui laissaient peu de place à l’intimité. Les croyants se pressèrent en masse devant les séparations de bois. La foule en mouvement se renouvela régulièrement pendant de longues heures. Chacun voulait assister à cet événement historique. Le retour de la Sainte se propagea comme une traînée de poudre dans le monde entier.

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0