Au nom du ciel [4/9]

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  La douleur s’était calmée. Astralia ouvrit les yeux. Elle était allongée sur un autel au centre d’une esplanade bordée de colonnes. Celle-ci baignait dans la même mer de nuages dorés. Elle n’était donc pas retournée dans son monde, et elle n’était pas seule.

  Un hoquet lui échappa aussitôt qu’elle s’en rendit compte. Il y avait des hommes nus. Beaucoup d'hommes nus. Elle papillonna des yeux pour être sûre de ne pas rêver. Astralia se sentit rougir avec gêne. Grands et athlétiques comme les rameurs du fleuve Imla, ils étaient pour la plupart occupés à manger et boire, assis ou debout, par petits groupes. C’était des apollons, les serviteurs de la Déesse-Fleur. Ils étaient encore plus beaux que les statues du temple d'Ogani.

   Une bouffée de chaleur soudaine lui fit prendre une grande inspiration. Cela attira l’attention. L’un d’eux se tourna vers elle et lui sourit. Elle n’avait jamais vu d’êtres aussi parfaits. Embarrassée, Astralia baissa les yeux. Puis une douce mélodie retentit ; la prêtresse écouta les yeux fermés. Quand elle les rouvrit, une femme d’une grande beauté s’avançait vers elle, aussi peu vêtue que les apollons.

 « Ma chérie ! Tu es réveillée ? C’est formidable. »

  Quelle étrange façon d’aborder une inconnue. Astralia sourit maladroitement. Elle se redressa néanmoins et s’assit au bord de l’autel face à la dame qui l’avait chaleureusement accueillie. Il fallut passer au-delà de sa nudité pour repérer le peigne de nacre caractéristique dans la dense chevelure. Stupéfaite de rencontrer une autre divinité dans la même journée, Astralia se laissa glisser au sol et se prosterna avec respect, ce qui mit la Déesse-Fleur en joie. Son rire était enchanteur et la prêtresse ferma une fois de plus les yeux pour l’écouter avec délice.

   L’instant suivant, sans savoir comment, Astralia était parvenue jusqu’au sofa de la déesse de l’amour. Elle croisa les mains sur ses genoux en baissant les yeux. Ogani coiffait ses cheveux tout en bavardant joyeusement.

 « J’ai vu des mâles plus épais que toi ne pas survivre au don de ma mère. Alors ? Comment te sens-tu ? Cela doit te paraître étrange, non ? Être connectée à toutes formes d’énergies. Enfin, ici tu ne dois pas faire la différence, tout est fait d’énergie... Une fois de retour chez toi, tu verras tout ce que tu peux faire avec ce don ! Tu n’imagines pas encore les possibilités qui s’offrent à toi. »

  Astralia ouvrait la bouche pour répondre quand l’un des apollons lui présenta un plateau sur lequel se trouvaient de nombreux fruits inconnus et quelques verres aux liquides colorés. La Déesse-Fleur l’encouragea à se servir. Astralia refusa les fruits mais prit une coupe et la but. Le liquide rosé était frais et sucré, tout à fait délicieux et incomparable à tout ce qu'elle avait pu boire avant ce jour. Elle ferma les yeux et en apprécia toutes les saveurs.

   Doucement, elle eut un peu plus chaud et le rose lui monta aux joues. Ses remerciements se perdirent dans le bleu des yeux de l’apollon. Il l’avait complètement envoûtée et rendue muette par un simple sourire. Le charme ne fut rompu que par l’arrivée de l'éphèbe à la toge bleue.

 « Allons ma douce Ogani, ne la laisse pas dans cet état, elle ne va plus pouvoir repartir.

 — Ne fais pas ton rabat-joie, mon Sofine d'amour ! Elle a bon goût cette petite et cela ne lui fera pas de mal.»

  Astralia sortit de sa béatitude et reposa précipitamment la coupe sur le plateau avant que l’apollon ne s’en aille sur les ordres du Dieu-Messager. Était-elle sotte au point de ne pas reconnaître un dieu majeur quand il se présentait à elle ?

 « Ne t'en veux pas, belle Sainte, la rassura Sofine. Mon apparence varie d'une personne à l'autre. Mais tu le sais déjà, n’est-ce pas ?»

  Elle en avait entendu parler en effet, mais il y avait un fossé entre savoir et expérimenter. Astralia hocha la tête avec une réserve respectueuse et fixa le sol tout en leur jetant de temps en temps des coups d’œil curieux. Après avoir rencontré l’épouse du Dieu-Soleil, elle côtoyait deux autres dieux. C’était extraordinaire tout de même !

   Ogani sourit à son frère après cet échange et lui tendit la main pour l'inviter à approcher. Le dieu des vents, guide des voyageurs et des âmes des défunts, lui fit un baisemain puis posa son regard sur la prêtresse, imité par la déesse. Astralia ne put s’empêcher de s’interroger sur sa présence en ces lieux. Sofine croisa son regard interrogateur. Astralia fit taire ses questionnements pour ne pas être incommodante. Il lui adressa la parole avec autant de simplicité et d’humilité que précédemment.

 « Je suis heureux que tu ailles bien. Il fallait que nous en soyons sûrs avant de te ramener. Nous ne voulions pas te retenir trop longtemps.

 — Que voulez-vous dire ?

 — Le don de mère est plutôt lourd à porter et le temps ne s’écoule pas de la même façon aux Jardins Célestes. Cela fait cinq jours que tu n'es plus chez toi.

 — J’ai dormi si longtemps ? »

  Les dieux sourirent de sa candeur et lui donnèrent l’impression d’être une enfant ignorante tandis que son esprit cherchait à comprendre les lois qui régissaient ce monde-ci. Après une courte concertation avec sa sœur, à laquelle Astralia ne comprit pas un traître mot, Sofine mit un genou au sol pour se mettre à la hauteur de la jeune fille. Il prit sa main entre les siennes et la rassura :

 « Je sais que tu te poses de nombreuses questions, Sainte Astralia de Fluvie. Mais nous ne pouvons pas y répondre tout de suite. Mère ne le permet pas.

 — Tais-toi donc ! »

  La furieuse injonction d’Ogani fit sursauter Astralia tandis que Sofine regardait sa sœur calmement. Y avait-il des choses qu’elle ne devait pas savoir? Son regard passa de l’un à l’autre plusieurs fois, puis elle posa la question timidement.

 « Pourquoi ?

 — Tu es fier de toi ? »

  Sofine ignora sa sœur et entraîna Astralia loin du divan d’Ogani. Une fois revenu sur l’esplanade où la jeune fille avait rencontré Sighna, il s’arrêta, l’attrapa par l’épaule et la fixa en baissant la voix comme s’il voulait que personne ne soit au courant de ce qu’il allait dire. Pourtant, ils étaient seuls.

 « Ici on n’est jamais seul, belle Sainte. Mais passons ! Ce n’est pas pour cela que je ne t’ai pas encore conduite chez Etinon.

 — Je promets de ne rien dire à propos de…

 — Comme j’aimerais me contenter de ta parole... »

  Il baisa son front pour aspirer le souvenir de leur conversation avec Ogani. Astralia se sentit brumeuse pendant quelques instants après cela. Il sembla satisfait et se mit à sautiller joyeusement.

 « Allez, viens. C’est par là. Etinon nous attend.»

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