Chapitre 4 

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Décembre 1876

Un vent froid siffla alors que je refermais la porte de la chambre. Vétustes, seuls deux lit meublaient la pièce. Les draps blancs apportaient un peu de luminosité à cet endroit dont la pierre sable s’était ternie avec l’âge.

Eddy s’était déjà allongé dans son lit, près de l’unique fenêtre. Ses cheveux blonds, légèrement bouclés, formaient des épis sur l’arrière de son crâne. Les religieux lui demanderaient bientôt de les couper. Ses prunelles bleues me lançaient un regard interrogatif.

— Pourquoi t’es-tu précipité hors de la chapelle ? Tout le monde s’interroge.

— Je ne sais pas, Eddy.

— Es-tu sûr que ça va ? Tu es tout pâle. Si tu as un problème, tu peux m’en parler.

Je hochai fébrilement de la tête, mais gardai le silence. Eddy n’avait pas besoin de connaitre mes doutes, ni mêmes les étranges paroles de frère Gaël. Mes mains passèrent ma soutane par dessus ma tête et je la jetai au fond de mon lit avant de m’y allonger. Des soubresauts de fatigue agitaient mon corps alors que je ressentais à nouveau une brûlure dans le creux des reins. Ne voulant pas amplifier cette désagréable sensation, je me tournai sur le ventre, enfonçant mon visage dans l’oreiller de plume.

— Tu dors sur le ventre ? Helei, mais qu’est-ce qui t’arrive ?

— Dors, répliquai-je calmement.

Eddy n’ajouta rien, mais je pouvais sentir les multiples questions qui se bousculaient dans sa tête et l’aura d’inquiétude qui l’entourait. Avec toute la volonté possible, je fis abstraction de l’atmosphère qui m’oppressait et me laissai subjuguer par les limbes du sommeil.

***

Les ténèbres dansaient dans les ruelles de Luxembourg. Excepté le sol à mes pieds, je ne distinguais rien. Tournant effrénément sur moi-même, je tentais de me repérer, de chercher un point d’encrage dans ce décor de noirceur. Je ne vis rien et la panique menaçait de me submerger. Un choc résonna. Un seul coup, puis plusieurs réguliers, comme une canne qui frappait le sol. Une silhouette se dessina devant moi. Seuls ses jambes et sa poitrine étaient visibles, son visage restait caché dans l’ombre. Je reculai, effrayé, mais mes pieds semblaient attachés aux pavés. L’inconnu continua d’avancer, sa progression rythmée par sa canne. Ma respiration s’accélérait, hachée, par la peur. L’air ne parvenait pas à atteindre mes poumons, je me mis à suffoquer.

— Tu fais partie des nôtres, Helei. Accepte-le et rejoins-nous.

La voix de la silhouette s’éleva, percutant les murs et renvoyant l’écho de ses mots, qui sonnaient comme une menace. Je tentai à nouveau de reculer, mais les paroles de l’homme m’avaient enchainé. L’angoisse serrait ma gorge telle une main froide. Je peinai à articuler ma pensée.

— Qui êtes-vous ? Et de quoi parlez-vous ?

— Tu fais partie des Ombres. Tu découvriras notre communauté bientôt.

La silhouette de l’homme s’estompait alors que des volutes de vapeur sombre l’aspiraient. L’attache qui me maintenait finit par se dissiper. Malgré ma peur et ma surprise, j’esquissai un pas vers mon interlocuteur. Il avait disparu. Le décor commençait à se troubler, ne me laissant pas le temps de me noyer dans l’angoisse. Les pavés sales se fissurèrent, les ténèbres m’englobèrent, compressant mes poumons à mesure que je chutais. Une voix me parvint malgré le sang qui tambourinait dans mes oreilles. C’était celle d’Eddy.

Mes paupières s’ouvrirent d’un coup, comme si je réalisais enfin ce qui se passait. J’avais rêvé. Les pavés, cet homme, ses paroles, tout avait été inventé, ce n’était que mon imagination. Eddy s’était penché près de mi et avait saisi ma main, excessivement froide. Des perles de sueur enduisaient mon front et l’une d’elles glissa le long de ma tempe, s’écrasant sur les draps imprégnés de transpiration. Je tremblais, incapable de me contrôler, alors que ma peau se couvrait de chair de poule. Mon ami resserra son emprise sur mon poignet. Il était mon seul point d’ancrage.

— Helei, qu’est-ce qui se passe ?

— J’ai fait un… cauchemar.

Eddy ne dit rien, il ne savait pas comment me réconforter. J’inspirai le plus lentement possible, essayant de faire cesser la pression qui écrasait mon sternum. Voyant que l’oppression ne disparaissait pas, je repoussai les draps, déliant la prise d’Eddy sur mon poignet. Nerveusement, je ramassai ma soutane qui était tombée sur le sol.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’inquiéta mon ami.

— Il faut que je prenne l’air, j’étouffe ici.

— Mais le couvre-feu ?

Je haussai les épaules, ce couvre-feu était bien le dernier de mes problèmes. Après une dernière recommandation, j’ouvris la porte et me précipitai à l’extérieur. Les couloirs du monastère étaient déserts, aucune ombre ne se promenait. Mon corps me faisait souffrir, des vagues de douleur me traversaient et semblaient s’échouer à un endroit commun : le creux de mes reins. M’étais-je cogné lors de mon cauchemar ?

Je continuai malgré tout d’avancer, atteignant la cour intérieure. Mes pieds nus foulèrent le manteau blanc, ce qui me fit frissonner. Un pas après l’autre, je progressais, sans me soucier des traces que je laissais. Je finis par m’asseoir sur les marches des pierres qui menaient aux chambres de certains religieux. Mes yeux regardaient fixement la neige, qui continuait de tomber, tandis que des images de mon songe me hantaient. J’aurais voulu le déchiffrer, mais il n’y avait rien à comprendre, ce n’étaient que des divagations de mon cerveau. Alors que j’essayais de me convaincre que tout ceci n’était que des sornettes, une voix m’interrompit.

Il t’avait demandé d’être discret ! En perturbant cet enfant, tu fais exactement l’inverse.

— Je n’ai rien fait. Je n’ai même pas essayé de lui parler.

— Alors pourquoi s’est-il jeté à ta poursuite ?

Mon souffle se coupa alors que je reconnaissais la voix de faire Gaël. Agacé, il s’entretenait avec le timbre posé du professeur Daergos. On m’avait pourtant dit qu’il ne logeait pas au monastère. Tremblant, je me levai et me réfugiai derrière l’une des colonnes qui encadraient la cour. Ils ne pourraient pas m’y voir. Le professeur Daergos reprit la parole, toujours aussi calme.

— Il fait partie de notre congrégation, Gaël. Je le sens.

— Ce n’est qu’une idée ! Tu n’as rien pour affirmer une chose pareille !

— En effet, mais tu verras par toi-même. Ce gamin est comme moi, une Ombre.

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