Plus que jamais

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A avait veillé tard. Il faisait semblant de dormir depuis une heure et rageait intérieurement. Quand, enfin, sa respiration s’apaisa, il ouvrit les yeux et repoussa sa couverture. Lentement, avec d’infinies précautions, il posa un par un ses pieds sur le sol, puis se leva. Son lit de fortune émit un grincement sonore qui le fit grimacer, mais A ne manifesta aucune réaction. Soulagé, il enfila un pull jeté là, puis hésita à prendre le couteau d’A, au cas où. Il ne le trouva pas, ce qui réglait le problème.

Il ouvrit la porte en priant pour qu’elle ne grince pas et se glissa à l’extérieur. Le froid le saisit, l’air si particulier de la nuit aussi. Léger, frais, d’une certaine manière plus aérien, il glissait sur son visage en le caressant comme une main glacée. Chez lui, il n’avait guère l’occasion de sortir en pleine nuit, surtout avec la rumeur de la mer toute proche. Il respira longuement.

Grimper la côte sableuse dans le noir ! Il réfléchit un instant et jura. Il n’allait tout de même pas se laisser décourager par le premier obstacle venu ! Peut-être qu’en s’agrippant à la corde qu’A utilisait pour descendre ses affaires... L’ascension se révéla moins difficile et il se promit de partager cette idée avec A dès qu’elle se réveillerait.

Une fois arrivé en haut, il hésita sur le chemin à prendre. Son sens de l’orientation était très approximatif et dans la nuit, malgré la lune qui l’éclairait relativement bien, il ne parvenait pas à se rappeler quelle direction avait pris A l’après-midi même. Il finit par choisir la gauche, un peu au hasard. Il marchait lentement, attentif au moindre bruit, passablement effrayé. Les buissons craquaient, les mouettes jouaient les chauves-souris au-dessus de lui, à moins que ce ne soient de vraies chauves-souris... Même le bruit de ses pas lui paraissait assourdissant. Le chemin semblait plus long et il sentit la peur le gagner. Et s’il était perdu ? Il crut entendre des pas derrière lui. Était-ce l’écho de ses propres pas ou quelqu’un le suivait-il ? Ce n’était pas possible, A dormait à poings fermés et ils étaient seuls sur l’île. Mais après tout, en était-il vraiment sûr ?... A cet instant, quelque chose s’effondra derrière lui avec un bruit énorme. Jonathan crut que son cœur éclatait tant il avait peur et s’élança sans réfléchir droit devant lui. Jamais il n’avait couru si vite. Il ne voulait pas se retourner. Mais il sentit vite qu’il s’essoufflait, malgré la peur qui l’aiguillonnait. Au moment précis où il pensait : « Je ne tiendrais pas longtemps », il tomba.

Il poussa un cri affolé en atterrissant en contrebas et roula dans la poussière. Il resta un moment allongé, le souffle court, sans oser ouvrir les yeux. Plus un bruit, hormis sa respiration sifflante. Il se releva en gémissant. Où était-il ? La lueur de la lune projetait des ombres autour de lui. Des formes pointues, hautes et lisses l’entouraient. Dans son cerveau apeuré, peu à peu la liaison se fit.

Le village !

Son moral remonta en flèche. Sa course l’avait conduit dans les ruines ! Peut-être avait-il de la chance, finalement. Bon, maintenant, il s’agissait de trouver l’église. Le village fantôme se révélait plus inquiétant encore de nuit que de jour. A avait parlé d’un incendie... Se pouvait-il que les ruines soient hantées par des revenants vengeurs ? Il déglutit.

Rien à voir avec la lande et ses mille bruits inconnus. Un silence de mort l’environnait. Jonathan avait l’impression de déambuler au milieu d’une assemblée silencieuse qui ne le quittait pas des yeux. Ça lui donnait froid dans le dos. Il accéléra le pas.

En plus, il n’arrêtait pas de se demander ce qu’il y avait dans cet autel qui pouvait faire s’effondrer quelqu’un comme A. Un squelette ? Un trésor dérobé dans des temps anciens ? Un passage secret ? Un monstre ?

Pile au même moment, un objet roula derrière lui. Pas de blagues ! Bon, une pierre avait pu se desceller, tout simplement, avec ces murs vermoulus. N’empêche...

Et heureusement que la lune était presque pleine !

Il reconnut enfin la cour avec le pommier. Soulagé, il s’y engagea et tâta le mur pour repérer la trouée qui permettait d’accéder au chemin.

  A l’extérieur du village, le vent soufflait plus fort. Jonathan se félicita d’avoir emporté un pull et remarqua un éclair à l’ouest. Aïe... Si l’orage lui tombait dessus, il se retrouverait en mauvaise posture. Il ne fallait pas traîner ! L’église semblait l’attendre, comme une main attend le moustique pour l’écraser. Elle ne bougea pas, bien sûr, et Jonathan s’arc-bouta sur le lourd battant, qui céda dans un grincement sinistre. Il le referma soigneusement. Le moindre bruit résonnait démultiplié dans ce silence de sépulcre. Jonathan frissonna. Le vent sifflait par les trous de la vieille porte, exactement comme dans les films. Il hésita avant d’ouvrir le coffre de pierre. Qu’allait-il y trouver ?

 Il alluma un cierge moisi, prit une profonde inspiration et souleva. Ses parents insistaient pour qu’il fasse du sport, mais le couvercle était plus lourd qu’il ne l’avait imaginé. Il se tendit et poussa de toutes ses forces. Quand enfin il y parvint, il promena son lumignon sur le fatras d’objets disparate qui se trouvait devant lui. A priori, rien de terrifiant. Sauf que... Un tableau, posé sur le sommet de l’amoncellement, attira son regard. Il le sortit du coffre et le posa à côté de lui. Il représentait une famille, deux parents d’âge moyen qui semblaient formidablement heureux. Jonathan ne se souvenait pas avoir jamais vu ses parents sourire ainsi. La femme était blonde, avec des cheveux longs et ondulés, et son regard était du bleu le plus clair qu’il n’ait jamais vu. L’homme, lui, était son exact opposé, brun et des yeux plus sombres qu’un ciel d’orage. Il la tenait par la taille et riait à moitié. Sur le côté, sur un petit établi, il remarqua quelques pinceaux et une palette abandonnée où les couleurs se mélangeaient. Entre eux, une toute petite fille fixait le peintre, et maintenant l’observateur, avec un regard mélancolique. Elle tenait un coquillage dans ses petites mains serrées. Ses cheveux, aussi blonds que ceux de sa mère, portaient les mêmes tresses qu’A. Ses yeux affichaient une curieuse teinte bleu-outremer. Au coin du tableau, une signature emberlificotée attira l’attention de Jonathan. Victor Dumont... Mm. N’était-ce que ce tableau qui terrorisait A ?

 Il quitta le tableau et fouilla dans le coffre. Des vêtements, pour la plupart féminins, quelques bijoux... Il sortit une boîte en bois, assez grande, avec un fermoir doré qu’il ouvrit. Il découvrit des pinceaux de tailles différentes, bien rangés, des pots de peinture creusés dans le bois et une palette dans un emplacement réservé à cet effet, recouverte de peinture séchée. La même que sur le tableau ? Qu’avait pris A dans ce coffre, et qu’en avait-elle fait ? Il soupira. Ce n’était pas ce soir qu’il aurait des réponses. Il allait sortir d’autres tableaux du coffre de pierre quand un bruit l’interrompit. Celui de la pluie qui frappait les vitraux. Il jura, laissa retomber le couvercle, referma sa main au hasard sur un bijou posé là et s’enfuit.

 Il souffla le cierge qui faiblissait et ouvrit la porte. Un immense chaos d’eau et d’air en fureur l’inonda aussitôt. Le souffle coupé, il glissa ses mains sous sa veste et sortit. Le vent était si fort qu’il parvenait à peine à ouvrir les yeux. La pluie traversait sa maigre protection. En quelques pas, il fut frigorifié. Les orages en mer étaient beaucoup plus violents qu’à terre. Il se mit à courir vers les silhouettes indistinctes des ruines du village. Le vent faisait claquer les pans de sa veste derrière lui. Il les retint des deux mains, puis trébucha sur une pierre et dût lâcher prise. La veste s'envola et lorsqu'il se releva, le vent le fit vaciller. La pluie fouettait son visage. Il courut dans le village abandonné, se glissa derrière un mur pour s'abriter un peu du vent. Il regarda autour de lui, tenta de se repérer. Un éclair illumina tout d'une brève lumière grise. Les mâchoires de Jonathan claquaient. Il se jeta dans l'orage, rejoignit un autre abri. Puis le village prit fin. Il commença à monter une pente que l'orage transformait en rivière. Il tomba deux fois. Il ne voyait quasiment plus rien. Un autre éclair fit apparaître dans un flash tout le chemin. Il ne savait absolument pas où il se trouvait.

-AAAAAAAAAA !

 Elle ne pouvait pas l'entendre. Elle dormait, et d'ailleurs Jonathan ne s'entendit pas lui-même tant le vent était fort. Il reprit sa marche laborieuse. En haut de la pente, le vent soufflait plus fort encore et la pluie lui arrivait droit dans la figure. Il sentait son goût salé sur ses lèvres. La foudre éclaira la lande autour de lui. Il était soûl de vent et de sel. Il marcha d'un pas hésitant, comme un ivrogne. Il avait quitté le chemin, il sentait l'herbe sauvage sous ses pieds. Les coups de tonnerre l'assourdissaient. Tournant sur lui-même, il chercha à repérer la cabane. Il ne voyait que le noir. Soudain, sur la crête, une faible lueur apparut. Un lumignon pâle, minuscule, mais constant. Il s'orienta vers elle. Le sol se déroba sous ses pieds, il tomba à nouveau. Mais il reconnut le sol sableux du sentier. Il se releva et le suivit avec un meilleur espoir. La petite lumière au bout du chemin continuait de briller infailliblement. Jonathan se protégea les yeux d'une main. Encore un éclair. Cette fois, il lui avait semblé reconnaître l'endroit. Il se remit à courir. A quelques mètres, il reconnut la lanterne et A, fouettée par les bourrasques, qui la tenait à bout de bras. Il courut en trébuchant jusqu'à elle.

-Jonathan ! L'orage m'a réveillée et j'ai vu que ton lit était vide, alors j'ai eu peur que tu n'aies fait une bêtise... Tu vas bien !

-Je...Oui, tout va bien.

-On rentre, vite.

 Elle l'accompagna sur la pente sableuse, le soutenant sous les aisselles. Elle le poussa à l'intérieur et ils durent se mettre à deux pour fermer la porte contre le vent déchaîné. Ne plus sentir ni la pluie ni le vent fut une délivrance. Il se débarrassa de son tee-shirt trempé. A lui tendit une serviette bleue et le frictionna vigoureusement dans le dos. Il se changea entièrement pour mettre des vêtements secs, ainsi qu'A. Elle portait maintenant une autre tunique, presque une robe, et elle avait perdu deux ou trois des plumes qu'elle portait dans les cheveux. Ses yeux redevinrent couleur ciel quand elle vit Jonathan s'essorer énergiquement les cheveux et relever une tête ébouriffée comme un hérisson.

-J'ai l'impression que la cabane va s'envoler.

-Non, ça n'est jamais arrivé ! Rendors-toi, maintenant. Tu es épuisé.

-Tu ne te demande même pas où j'étais ?

-Demain. Tu es revenu, c'est l'essentiel. Bonne nuit.

Il sourit. L'orage grondait toujours dehors, mais il se sentait hors d'atteinte ici. Oui, avec A, il était en sécurité. Plus que jamais.

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