((( ☿ )))

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Son cri sans âme s'éteignit dans la poudre grise. La grande fauve cherchait, comme une bête prise au piège, une issue au cauchemar qui tapissait ses pensées. Elle tremblait, brûlante de fièvre. La couverture tiède de la nuit ne parvenait pas à tempérer son corps de bête. Ses visions n’avaient jamais été aussi précises, obnubilantes. Elle entendait le cri du chergui. Fort. Insistant. Viscéral. Elle refusait de céder à l’appel, d’ouvrir cette trappe, d’y trouver la folie animale campée à l’aube de sa conscience, prête à fondre d’instinct sur les miettes de raison restantes.

Elle s’accroupit dans le noir, griffes antérieures rivées au sol, s’ébroua pour chasser les plumes de cendre et porta son regard vers le plafond nuageux. Derrière le voile diaphane, la lueur pâle de la veilleuse ondulait délicatement. Ses prunelles jaunes répondirent à l’astre. L’appel vaporeux de la nuit. Elle serra les crocs pour s’interdire un hurlement de louve, banda les noeuds de ses cuisses pour agripper le courage et ne pas se carapater comme un herbivore. Dans la tanière de ses pensées, elle surprit soudain la peur, l’affronta, de son regard dur, la laissa tempêter puis se disperser. Elle se retrouva finalement seule avec sa rage. Hier, les hommes.

Des aboiements sourds saisirent son attention. Elle se tourna vers le palais, se colla au sol. Les contours diffus du bâtiment se dessinaient par instants dans le halo des foyers dispersés derrières les murs noirs. Le porche s’illumina à son tour. Le lourd portail de bois claqua et s’ouvrit lentement. Dix ombres émergèrent d’un bruit. Elles émirent quelques grognements confus, incompréhensibles, puis s’étouffèrent dans la nuit.

Hier, les hommes. Elle se jeta du toit et glissa toutes griffes plantées dans le flanc du ryad. Demain, les hommes. Elle galopa à quatre pattes, traversa la rue opaque et se se fondit dans l’ombre de l’enceinte. Maintenant, les femmes. Elle glissa son grand corps jusqu’au portail entrouvert et l’escalada sans bruit de ses longues pattes vives d’arachnide.

Perchée sur l'arête d'un battant, elle dominait sa proie. Elle saisit sa flissa, plongea, ses bras ouverts de toute leur amplitude. Deux éclairs fendirent le noir. Le corps s'effondra en silence sous ses serres.

Elle prit soin de camoufler son forfait sous une pelote de cendres, grattant de ses ongles le sol meuble. Le jardin intérieur resplendissait comme un cimetière. Des troncs de palmiers décapités gisaient comme autant de sépultures de béton sur un marécage de suie. Les hauts murs retenaient le vent mais confinaient la matière comme une poudrière. L’odeur de la pyrite lui prit le museau. Elle s’encapa, rabattit son capuchon, se couvrit le visage d’un bras pour filtrer l’air fétide et ses particules voletantes. Elle contourna le bâtiment, à la recherche d’une entrée discrète, serpentant la mer noire, inerte et inconsistante.

Derrière le palais, dans la pénombre, une butte imposante s’accotait au mur de la bâtisse. Son sommet effleurait les fenêtres condamnées du premier étage. Elle s’élança sur le monticule irrégulier, bosselé et traître, glissa au premier essai, au second. Des frissons de poussière accompagnaient ses tentatives vaines. Elle jura, sortit les griffes, ajusta son élan et se projeta, gravit les niveaux, l’équilibre fragile, rebondissant à coups de pattes désespérés avec l’obstination d’une chatte, la gueule tirée et les muscles bandés. À mi-hauteur, la pente céda soudain sous son poids. Le versant glissa, l’emporta avec elle dans une vague de bruissements lourds et confus.

Elle mit de longues secondes à reprendre ses esprits, à distinguer le haut du bas, à démêler de ce fatras ineffable son tronc et ses membres emmêlés. Elle repoussa une masse informe qui lui pesait sur le dos, siffla de frustration, empêtrée sous un amoncellement de matière molle et répugnante aux relents putrides. Elle rampait et se débattait pour se dérober de cette taupière, s'agrippa à une branche saillante, tira de toute ses forces. Son corps s’extirpait centimètre après centimètre, glissait et se frayait un passage sous le poids mort quand la branche se brisa et percuta son front gouttelé de sueur. Elle gronda de surprise, pesta contre la pénombre.

Entre les strates de nuages impassibles, une percée de lumière frappa sa main. La branche qu’elle agrippait prit alors une apparence toute autre, grise et décrépie, ramifiée de cinq tiges courtes grippées dans une étreinte morbide. Ses yeux se fendirent d’horreur. Sa main tremblante et crampée refusait de lâcher l’objet. Elle laissa échapper un long gémissement, consumée par une peur panique. Son corps de grand fauve s'ébroua, se secoua comme pris de spasmes, tira et poussa sur toutes les prises qu’il trouvait. Elle paniquait, hallucinée par les formes qui se dessinaient sous le rayon de lune et les images lugubres que ses doigts devinaient à présent à leurs contacts. Sa longue carcasse s'arracha soudain du piège. Elle roula au bas du tertre, atterrit dans le lit de cendre épais comme la poix qui l’engloutit toute entière. Elle se sentit aggrippée, empêtrée et suffocante, bondit toute griffes dehors, incapable d'échapper à ses peurs irrationnelles, chuta encore, jeta un regard horrifié en arrière, se releva et déguerpit dans la nuit épaisse et sourde, le regard braqué sur le charnier monstrueux.

Elle ne reprit ses esprits qu'une fois le portail atteint, alors qu'elle s'apprêtait à l’escalader et décamper comme un animal pris de panique. Là, les brasiers filtraient leur lumière tremblotante, chassant les fantômes invisibles qui la pourchassaient. C’est à ce moment qu’elle perçut les grognements d’hommes derrière le mur. Ils découvriraient bientôt le cadavre, donneraient l’alerte puis renforceraient la sécurité. Elle n'aurait pas de seconde chance. Elle se ravisa, plongea dans la mer de cendre, fouinant d’ombre en ombre en direction de la façade du palais, visant l’entrée illuminée et son perron. Elle entrerait par la grande porte, et rien ne l’empêcherait de sortir ses gamines d’ici.

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