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Hier, les hommes. Elle commençait toujours sa ronde aux abords du quartier. Demain, les hommes. Sa longue silhouette encapuchée filait, de toit en toit, de bloc en bloc, dominait la médina assoupie. Maintenant les femmes. Elle s’immobilisa, l’œil rivé sur une ruelle sombre, attentive aux moindres remous à la surface de la rivière d’encre grise.

Oreilles sibilantes.

Elle se concentra sur les recoins opaques, sur les sinuosités fourbes de la vieille ville abîmée. Rien. Le silence hurlait contre le lever de lune ascendante. Dans quelques heures, elle y verrait clair. D’ici là, elle devait progresser à l’odeur et aux bruits.

Elle s’élança sur un toit, puis un autre, de loin en loin gagna les remparts, leurs éboulis de pierre et de torchis glissants. À l’horizon d’une mer de bâtiments noirs, sur une place désolée comme une île, un maigre troupeau d’herbivores transhumait à corps serrés.

Sous ses pieds instables, un filet de sable fin ruissela. Le cheptel d’hommes s’immobilisa, renifla aux quatres vents, et comme s’il avait perçu sa présence, regagna brusquement les eaux mornes dans un nuage moutonneux. Pendant quelques temps encore, elle devina leurs hennissements misérables et le claquement de leurs galops apeurés. Puis le silence retomba.

Ces troupeaux d’hommes herbivores l'inquiétaient. La violence se terre dans les gènes de ces mals déterminés… et la nature reprend toujours ses droits. La vieille avait tort de croire qu’il serait possible de domestiquer certains d’entre-eux.

Des cris percèrent la nuit. Hier, les hommes. Elle s’envola droit dans leur direction, déchirant l’obscurité, la main crampée sur sa flissa. Demain les hommes. Elle filait contre le vent, enjambait les terrasses, planait au dessus des rues mortes, sourire carnassier rivé aux crocs. Elle atteignit un perchoir dégagé. Là, enveloppée dans sa cape terne d’oiseau de malheur, elle dominait le monde. En bas, quatre femmes grondaient, soufflaient et sortaient les griffes. Un vieux mâle solitaire agrippait l’une d’elles. Il tirait un bras, secouait sa prise, bien résolu à l’emporter.

Maintenant, les femmes. Elle fondit sur lui comme une veuve, le dard de son sabre cabré entre ses pattes écartées.

La bête n'aperçut qu’un éclair blanc lui traverser l’épaule et ressortir de son torse. Sa carcasse molle s'affaissa dans un sifflement sourd en serinant des gargouillis insignifiants.

Le groupe de femmes observait la scène, atterrées. Le grand corps fauve accroupi sur le cadavre leur fit face. Elles ne distinguèrent que deux éclats jaunes dans l’ombre d’une capuche bleu nuit. Elles ne demandèrent pas leur reste quand l’inconnue tonna un « Rentrez ! » qui retentit comme le fer sur le roc.

Elle abandonna la charogne à la vermine, rejoignit la sécurité des toits. Elle contempla la lune haute, se mit à courir comme un diable, à perdre haleine, s’efforçant de démonter la mécanique qui la tendait aux tremblements. Elle dut rôder longtemps pour s’apaiser.

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