Cancritude

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Lors de mon arrivée sur Scribay, il y a déjà quelques années*, je me prévalus du statut de cancre. C’est un titre dont on m’a affublé bien plus jeune. Je le porte depuis la fin de mes études avec fierté, je m’en réclame avec une pointe d’arrogance, car je suis ce que j’ai fait de ce cancre, cancre en français, cancre en orthographe, en écriture.

Cancre ? Cela en surprit plus d’un, ici. Certains trouvèrent ma prose plutôt correcte, voire bonne. D’autres m’accusèrent de fausse modestie. Un seul me soupçonna de m’en servir de parapluie. Je les remercie tous. Ces points de vue, reçus après avoir enfin osé poser publiquement quelques mots, m’ont montré une place où je pensais pouvoir me tenir. Je me suis senti encouragé de ce fait à me réconcilier avec ma langue natale. Elle et moi étions brouillés depuis trop longtemps. Elle me manquait, autant que le cinéma manqua à Annie Girardot.

Cancre ! Hier encore, je l’affirmais et cela n’était pas un délit de confiance en moi. Voyez-vous, je ne mesure pas cet état à l’aune de notions absorbées ni aux quotas de la maîtrise acquise, mais bien au fil d’une histoire personnelle, un chemin débuté à l’école primaire. C’est également une démarche intime, malicieusement provocante peut-être (cela me joue des tours parfois) face au savoir et aux sachants. Mon cancre adresse par procuration un pied de nez à cette institution éducative où je n’ai pas trouvé ma place. C’est enfin une attitude : j’étais jugé cancre de ne pas tout connaître, mais la curiosité que j’ai m’a poussé de l’avant. Tant que je ne saurai pas tout, j’espère conserver cet appétit, et je compte bien inviter encore longtemps mon cancre au banquet. Dans mon cas, cancre et envie d'apprendre sont liés.

Cancre hier… Aujourd’hui pourtant, je m’étonne et je doute. Six ans ont passé, je suis toujours sur la plateforme même si je n’y publie plus. J’écris, mais très peu, et pour moi seul, comme d’autres chantent sous leur douche. Ici, je feuillette les demandes de relecture, j’en découvre de moins en moins qui me motivent. Je me précipite à chaque parution de pépite, j’en reviens silencieux, la moue triste, indécis sur la suite à donner, doutant de l'accueil à ce que je pourrais en dire. Au final, c’est dans les débats que l’on me trouve le plus souvent. Ai-je franchi un cap ? Suis-je devenu un sachant à mon tour ? Pire : prétentieux ? Depuis quelques discussions, mon arrogance s’étale telle une certaine confiture. J’exprime les choses comme vérités irrécusables, j’oublie de préciser mon ressenti, mon expérience, mes doutes. Je m’affiche péremptoire, peut-être même fat et condescendant. Je le sens aux retours que l’on me fait, et, si je passe me relire quelque temps plus tard, je perçois ces portes que je ferme dans l’échange à m’affirmer de façon abrupte.

Alors, prudemment, je me propose d’auditer ma relation à l’écriture, à ma langue, et à mon attitude sur Scribay. C’est peut-être un palier que je dois franchir, une étape où poser plus clairement mes choix et mes attentes. Ai-je encore quelque chose à écrire ? Si je sais pouvoir progresser, la question est peut-être : en ai-je besoin ? en ai-je l’envie ? Que faire de ces bribes que j’ai apprises ? Puis-je les transmettre ? Saurais-je le faire ? Est-ce important ?

J’aimerais voir après ce bilan si je reste celui que je veux être : généreux dans l’entraide envers ceux qui tentent l’escalade de cette pyramide littéraire si attirante, si courtisée, mais aussi si piégeuse. À ceux qui espèrent gravir quelques paliers pour peu qu’on leur tende la main, je souhaiterais rester attentif. C’est mon moteur, depuis longtemps, et je préférerais qu’il perdure. Je ne fais là que défendre mon estime de moi-même. Sans cela, le monde est bien assez grand, je trouverai d’autres choses à faire qu’errer sur la plateforme. Rester pour débattre inutilement, chercher à convaincre, cela ne m’intéresse pas, même si je reconnais qu’un entêtement de mon ego, parfois, me mène à cet écueil. J’y trébuche alors que pourtant j’y trouve peu de satisfaction et davantage d’aigreur stérile.

Un bilan, un audit, un glossaire ? Pourquoi pas. Par contre, je suis bien certain de ne jamais faire un plan précis de mes divagations, je me vois plutôt vagabonder d’une idée à une autre. Ces quelques pages devraient toutefois orbiter sur plusieurs points satellites : les savoirs cumulés, mes découvertes, ma vision d’ensemble sur ce qu’est l’écriture de fiction, et de façon plus générale (et ô combien discutable) du bon usage de la langue (à travers son histoire).

Je laisse cette porte entrouverte. Si vous la franchissez, prenez ce que vous voulez : soyez d’accord ou non, interrogez-vous, interrogez-moi. Complétez, corrigez mes approximations et mon inculture, vous êtes les bienvenus. Je suis certain de peu, mais je pense (beaucoup) donc je suis (cancre ?).

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