Prologue

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D’une pression légère sur la gâchette de son pistolet, Krane tira une balle meurtrière dans la tête de son adversaire. Il soupira pour évacuer la pression et jeta un coup d’œil autour de lui. Les derniers mercenaires se faisaient exécuter un à un par ses hommes. Parmi les corps allongés sur le sol de la cabine, il compta trois morts et deux blessés graves appartenant à son groupe d'intervention.

Le combat avait commencé une demi-heure plus tôt quand, par un hasard qui déplaisait à son professionnalisme, la mission furtive de son équipe spéciale était tombée à l’eau. Tout cela à cause d’un maudit rat qui avait fui des ombres où ils se terraient pour courir en direction des malfaiteurs. Il n’en avait pas fallu plus pour mettre la puce à l’oreille de ces derniers qui avaient répondu aux couinements du rongeur en faisant feu à l’aveugle. L’agent avait perdu deux hommes dès les premiers échanges.

La mission était pourtant simple. Son équipe devait s’infiltrer dans le vaisseau, mettre hors d’état de nuire les quelques gardes et encercler le gros de l’ennemi. On leur permettait de tuer s’ils le jugeaient nécessaire mais Krane avait ordonné à ses troupes de minimiser les pertes adverses. Il pensait qu’il serait plus intelligent de garder sous la main quelques mercenaires à interroger.

Seulement, personne n’aurait pu prévoir la présence d’un rat au beau milieu de l’espace. La mission avait échoué. Le commandant avait ordonné de passer au plan B : tuer tous les ennemis, sécuriser l’otage dans la cabine et attendre les renforts pour l'extraction. C’était pour cela qu’ils étaient venus, pour elle, et Krane espérait qu’elle valait les trois hommes qu’il avait perdus au cours de cette mission.

L’agent rengaina son arme et tourna le poignet pour regarder sa montre. Il ne leur restait qu’une dizaine de minutes avant l’arrivée des renforts. Au vu de ses blessures, l’un de ses soldats ne tiendrait pas jusque là. Dans un nouveau soupir, Krane enfonça une oreillette dans son lobe et attendit le clic de connexion avant de parler :

— Vaisseau sécurisé. Attendons renforts dans la cabine panoramique. Quatre morts, un blessé grave. Récupération du colis terminée.

— C’est moi que vous appelez « colis » ? Eh ben ! Le respect se perd on dirait…

Krane se tourna vers l’otage. Nonchalamment enfoncée dans un fauteuil en cuir sombre, Alice tapotait les accoudoirs de ses doigts fins, les jambes croisées. Instinctivement, l’agent recula d’un pas et plissa les yeux, prêt à dégainer. Il se sentait mal à l’aise sans arriver à l’expliquer. Quelque chose dans l’attitude de la jeune femme le dérangeait. Pourtant, elle ne riait pas comme une complice, ni ne souriait comme le cerveau d’une opération qui dépassait l’entendement ; mais elle ne pleurait pas non plus comme on l’attendrait de la part d’une otage sans défense. Non, en vérité, elle ne faisait qu’un acte si ordinaire qu’il effrayait Krane : elle attendait.

— C’est un code. Je ne voulais pas vous manquer de respect, madame, s’expliqua-t-il malgré lui.

— Madame ? se moqua-t-elle. Bah ! Peu importe.

— Les secours vont bientôt arriver. Tout est terminé. Si vous voulez bi-…

— Terminé ? le coupa Alice, sèchement.

L’agent déglutit péniblement sous la force de son regard. Il n’arrivait pas à comprendre son calme. Elle venait de se faire kidnapper, de survivre à une fusillade et elle restait tranquillement assise dans son fauteuil à tapoter le cuir sombre de sa peau si blanche. Krane porta une main à son pistolet laser en voyant que ses doigts ne remuaient plus sur les accoudoirs ; à la place, Alice avait planté ses longs ongles polis dans la chair de son fauteuil.

— Vous ne comprenez pas, souffla-t-elle entre ses mâchoires serrées. Tout ne fait que commencer.

Krane retira son oreillette et l’écrasa de son talon. S’il saisissait correctement les sous-entendus de l’otage, alors il était trop tard pour le sauver lui et son équipe. Il ne devait rien laisser sur son cadavre pour compromettre ses supérieurs. Même s’il ne les portait pas dans son cœur, c’était le règlement et il s’y pliait comme tous les autres.

— Vous dites qu’il s’agissait d’un piège ? interrogea-t-il sans attendre de réponse.

Il ne voulait pas se charger de cette mission. Il avait mieux à faire à terre que dans un vaisseau pirate perdu dans l’espace. Il s’agissait du plus beau cul-de-sac de son existence. Il mourrait sous les beaux yeux d’une femme qui attend que les choses se passent et ne pourrait rien faire pour l’empêcher. C’était trop tard.

Tandis qu’Alice baissait la tête d’une manière plus évocatrice que le moindre mot, Krane admira le reflet des deux soleils de Malker sur sa chevelure immaculée. Il était un professionnel mais, devant la mort, il pouvait bien l’avouer : il n’avait jamais rien vu de plus beau.

Une explosion contrôlée envoya la porte de l’ascenseur contre un homme de Krane qui mourut sur le coup. Plusieurs mercenaires déboulèrent dans la cabine et la seconde fusillade commença. Elle fut plus brève que sa précédente : l’équipe furtive se trouvant à la merci de l’ennemi, protégé par un champ de force circulaire. Quelles chances leur restait-il de s'en sortir et de mener à bien leur mission ? Les uns après les autres, les hommes de l'agent tombaient sous le feu ennemi, incapables de répondre à l'attaque. Ils avaient échoué, ils allaient tous mourir.

Face à cette fatalité, le commandant ne prit pas la peine de se défendre. Il dévisagea la belle Alice, ses cheveux blancs, sa peau translucide, ses grands ongles, ses longues jambes et ses yeux… l’espace infini en un seul regard ; le vide et ses milliards de petites étoiles. Il n’arrivait pas à comprendre son rôle dans cette mascarade, ni à lui en vouloir pour les morts dont elle était responsable. Il ne voyait qu’une femme assise dans un fauteuil et qui attendait. Mais attendre quoi ? Ou qui ?

Alors qu’une dizaine de balles venaient lui percer le corps, Krane vit les doigts de l’otage s’enfoncer un peu plus dans les accoudoirs et ses lèvres se pincer. Puis la voix résonna sans qu’aucun son ne sorte de sa gorge :

— Trouve-moi, murmura-t-elle directement dans son esprit.

Krane s’affaissa sur le sol et soupira une dernière fois. Il aurait presque pu pleurer sur son sort. Il n’avait vraiment pas envie de courir partout pour sauver la mystérieuse otage.

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