La carte aux trésors.

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Le Capitaine Berboz était un pirate à la dérive. Non pas sur son bateau, il avait les pieds bien sur terre, mais il était totalement instable. C'était ce genre d'hommes baraqués qui dormaient la tête sur le bar, au milieu de dizaines de chopes, pour être finalement jetés dehors par le patron.

Pourtant, le Capitaine avait un talent certain pour la piraterie. Il avait écumé toutes les mers du globe. C'était un homme sanguinaire et sans pitié. Il n'épargnait aucun de ses adversaires, de l'enfant qui lui tirait la langue à la vieille femme qui aurait le malheur de marcher trop lentement sur son chemin.

Aucun trésor ne lui avait résisté. Si on accumulait toute la fortune qu'il avait amassée au cours de sa vie, les Nobles de l'Empire auraient eu de quoi le jalouser ! Malheureusement, le Capitaine Berboz aimait beaucoup trop la boisson et les jeux d'argent. Il était l'un des clients fidèles de la taverne de la Loutre Sanguinaire, et personne n'osait lui piquer sa place au bar. Ses matelots tentaient parfois de le raisonner, sans grand succès. Ils finissaient tous par démissionner pour aller chez la concurrence. Cela payait moins, mais plus souvent !

Il n'y avait que le Second qui restait à ses côtés. Ils naviguaient ensemble depuis leur plus jeune âge. Durant leur premier voyage, sous un ciel éclairé par la pleine lune, ils s'étaient promis d'avoir autant de pièces d'or en poche que d'étoiles dans l'univers. L'homme se tenait d'ailleurs à côté du Capitaine, finissant son lait de chèvre. Le Second ne buvait pas, chose rare dans cette partie de la ville. Personne n'osait le brimer, de peur que le Capitaine Berboz ne sorte son sabre.

D'ordinaire, c'était lui qui arrivait à détacher le Capitaine de sa boisson. Mais, ce soir, quand son ami demanda une énième choppe, le Second ne broncha pas. Les affaires tournaient mal. Ils avaient encore une fois loupé un trésor de très près. Cela arrivait souvent en ce moment. Ils se faisaient doubler. La concurrence envoyait de jeunes matelots comme agents doubles pour récupérer des informations. Malgré ses talents de navigateur et de guerrier, tout le monde savait que le Capitaine ne savait pas tenir un équipage.
Il était de la vieille école, la dure, la vraie ! Celle qui vous faisait nettoyer le pont avec votre brosse à dents. Celle qui ne garantissait pas un repas par jour. Il fallait être résistant pour survivre aux tourbillons, à l'orage, aux sirènes, au Calamar Géant ! L'océan devait être dompté, et il fallait être un vrai homme pour cela.

Hélas, le vent avait tourné. Il n'y avait que les vieux ivrognes comme lui pour idéaliser la piraterie de cette manière. Mais il ne voulait pas finir ses jours ainsi, quelle honte ! Il devait mourir comme un vrai pirate, sous le sabre de ses ennemis ou englouti par une vague monstrueuse, pas dans un misérable taudis, en succombant à la bière ou au poison d'un faible qui aurait eu peur de le défier ...

  • Allez Berboz, on ferme.

Le patron de la Loutre Sanguinaire le tira de ses pensées confuses.

  • Gnnnh ... encoore ...

L'ivrogne dormait à moitié sur le bar. Un léger fil de bave coulait sur le bois.

  • Dégage j'te dis !

Le tavernier fit trembler le bar en le tapant de sa grosse main. Le Capitaine releva sa tête en sursaut, complètement perdu. Le Second dut le tirer de son tabouret et l'aider à marcher.

  • Jeee suis le Capitaine Beeeerboooz ! Le pourfendeur des océaaaans, respectez-moiii !
  • Vous mettez ça sur notre note, chef ?
  • Eh ! Les crédits, ça se paye. Les clochards, c'est dans la rue.
  • Ose me redire ça en face, enfoiré !
  • Tais-toi Berb', on y va !
  • Moi au moins je fais pas fuir mes serveurs ! Ton temps est fini Berboz, dégage !
  • C-C-Connaaard !

Le Second eut du mal à pousser le Capitaine hors de la taverne. A peine avaient-ils fait quelques pas dans les rues malfamées que le pirate s'empara d'un tonneau dans une allée pour y déverser tout l'alcool accumulé depuis la veille. Son ami soupira.

  • Je vais chercher les autres, s'ils sont encore dans le coin. Bouge pas.

Le Second tourna dans une rue voisine. Le Capitaine s'assit au sol contre son tonneau. Il déposa son immense chapeau plumé à côté de lui. Son crâne dégarni luisait sous les faibles rayons du soleil matinal. Il s'assoupit rapidement. Il fut réveillé en sursaut par une bagarre d'animaux. La petite allée se terminait en impasse obscure, on voyait mal ce qu'il s'y passait. Le pirate devina qu'un énorme chien se battait contre un chat féroce jusqu'au sang. Le Capitaine Berboz était hypnotisé. Les deux animaux finirent en roulé-boulé face à ses pieds. Ils sortirent de l'ombre l'espace d'un instant. Le pirate put à peine les voir, ils explosèrent immédiatement dans une fumée rose. Il se protégea les yeux. Qu'est-ce qu'on pouvait faire comme rêves bizarres en étant bourré !
Il sentit cependant quelque chose voler près de lui. Il baissa ses mains et aperçut un rouleau beigeâtre à côté de son chapeau. Il s'en empara. C'était un vieux parchemin. Il le déroula et découvrit une carte du monde d'une précision extrême. En bas à droite se trouvait un soleil magnifiquement calligraphié. Se pourrait-il...


Chaque monde possède ses mythes et ses légendes, celui de la piraterie avait celle de la Carte Miraculeuse. Une carte enchantée dont nul ne connaissait l'auteur. Elle répertorierait tous les trésors cachés du monde entier pour chaque bateau coulé dans l'océan, chaque fortune volée et oubliée dans un endroit quelconque. Chaque pièce d'or perdue dans ce monde avait sa petite croix griffonnée sur ce papier. C'était la promesse d'un futur riche d'aventures et d'argent, le rêve de chaque pirate !

Mais cela ne pouvait pas être cela. De nombreuses contrefaçons existaient. Le seul indice connu était le dessin de soleil si complexe à reproduire. Ici, il était parfait. Le pirate se moqua de la carte. Il était trop vieux pou croire en ces fabuleries. Puis, une petite croix noire se dessina sous ses yeux dans les Amériques, comme par magie !

Il eut un moment de réflexion.

...

Il n'en croyait pas ses yeux, il tenait la carte légendaire entre ses mains ! C'était donc vrai, elle existait réellement ! Ses yeux détaillèrent les autres petites croix noires inscrites sur les différents continents et océans : l'Australie, l'océan Atlantique, la mer Noire, l'Antarctique ! C'était incroyable, tous ces recoins du monde étaient remplis d'or et personne ne le savait, à part lui et bientôt son Second ! Ils allaient devenir riches, tellement riches ! Ils navigueraient jusqu'à la fin de leurs jours à travers les eaux du monde entier !

Une nouvelle vie commençait. Le Capitaine Berboz s'imaginait plonger dans les pièces d'or. Il en bavait. Littéralement. N'ayant pas encore totalement décuvé de sa soirée d'ivresse, le pirate n'arrivait pas à retenir sa salive. Elle filait abondamment depuis sa bouche jusque sur le papier fragile de la carte. Ses mains tremblaient.
Il se leva difficilement et, tout excité, il se précipita hors de la rue sombre. Malheureusement, il ne vit pas que son chapeau traînait sur le chemin. Il glissa dessus et tomba à la renverse, directement contre le tonneau puant. Son cou craqua sous le choc.

Le coup du lapin.

Fatal.

La carte se replia d'elle-même pendant que le corps sans vie du Capitaine Berboz tombait lamentablement au sol. Elle disparut dans un petit nuage de fumée rose.

Ce vieil ivrogne l'avait vexée. Baver de telle manière sur elle, quelle impolitesse !

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