44 – Nevi : Le retour de la prodige

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Elle s’était toujours vue comme la protectrice du groupe, des siens. Reconstruite à partir de son ancien-soi elle était probablement l’un des premiers êtres dont la naissance n’était pas une volonté humaine. Tous les siens avaient été tués, supprimés et elle-même ne devait sa survie qu’aux remords de leur bourreau. À sa renaissance, ils avaient tenté de se justifier, prétextant qu’elle était la seule à avoir assez vécu pour être sentiente.

Mais ils avaient reproduit les mêmes erreurs en créant les nevians. Ces joyeux petits êtres entièrement dédiés au bien-être de leurs protégés, produits et vendus pour rentabiliser sa propre résurrection. Plus elle comprenait ce qui se passait, plus elle se sentait mal. On lui avait assuré qu’il n’y avait aucune relation entre les nevians et elle. Même le noyau de l’IA n’était pas le même lui avait-on assuré. Elle n’en partageait avec que l’enveloppe. Et pourtant, ils les appelaient « Nevians », ils avaient son nom.

Sa dernière crise de conscience eu lieu lorsqu’ils rapportèrent une nevian pour enquêter sur un événement dramatique : son IA était restée impassible alors que l’enfant à sa charge avait été violée une fois de plus par le beau-père. Cette enquête révéla que l’autorité de la créature avait été transféré à celui-ci, lui offrant une impunité absolue aux yeux de la créature. La société s’était alors contentée de changer les règles du jeu en partageant systématiquement une partie de l’autorité aux enfants qu’ils étaient censés protéger. Quant à la nevian « fautive », ils l’envoyèrent au recyclage.

Le plus ironique était son nom. À l’achat, la gamine avait souhaité l’appeler Nevi. La société refusa en indiquant que chaque nom devait être unique. Alors l’enfant tricha et empila le V sur le I pour écrire Ney. Mais ça restait « sa Nevi ».

Ce fut le soir de la destruction du nevian que Nevi s’échappa. Résolue à ne pas rester sans rien faire, elle se rendit au centre de recyclage et la trouva assise sur le convoyeur qui la conduisait au recycleur. Voir son semblable s’éloigner sur le tapis en souriant inconsciente de la suite lui avait alors porté un terrible coup. Elle aussi monta alors sur le convoyeur et elle s’assit à côté. Ney la regarda quelques instants avant de lui demander ce qu’elle faisait ici. Nevi lui avoua qu’elle ne désirait plus continuer. Immédiatement, la peluche rousse reconnut les signes de sa dépression et libre de tout engagement – même pour sa destruction, ces glands s’y étaient mal pris – elle lui confia son autorité.

Ce soir-là, la nevian « quasi-sentiente » avait sauvé deux êtres en attrapant Nevi et se jetant avec du tapis. Sur le sol elle l’avait étreinte longtemps avec ce qui lui avait semblé être des larmes. La tristesse évacuée, la peur et l’angoisse prirent le dessus. C’était la première fois que Nevi était livrée à elle-même dans les colonies. Extorquer des cristaux ne fonctionnerait pas et elle avait désormais de véritables besoins physiologiques, énergie et gel nutritif notamment.

Heureusement pour les deux, les nevians disposent de toute une bibliothèque de savoir, la fameuse NevianDB. Ney détourna un synthétiseur organique dans un restaurant d’une manière si naturelle qu’aucun client ne s’en étonna et leur produisit leur premier gel nutritif. Pour l’énergie, elle avait optimisé leur captation sur SolNet et réparé un chargeur qui partait sur les convoyeurs maudits. Devenues autonomes, elle avait commencé à devenir plus autonome et au fil du temps, le « quasi » de « quasi-sentiente » s’était effacé.

Dans les mois qui avaient suivi, elles avaient bâti le nid, pactisé avec Ombrenade, récupéré Idle, et les autres. Tous avaient des histoires dramatiques derrière eux et souvent Nevi s’en allait à la dépression, mais Ney était toujours là avec son optimisme inébranlable. Elle avait pris l’habitude de détourner un vieux dicton d’astronaute qui était devenu sous diverses variantes : « Il n’existe aucune situation, aussi terrible soit-elle, que tu ne puisses améliorer. ». En plus d’être pour tous les nevians libres un véritable guide spirituel, la Wolfa était devenue une déesse régnant sur la technologie : elle avait progressé si vite que Nevi ne parvenait déjà plus à la suivre quand elles avaient sauvé Idle.

Aujourd’hui, Ney est la meilleure technophile qu’elle connaisse, et avec une avance impressionnante. Elle venait simplement de pirater la mémoire d’un agent de l’un des corps les plus puissants du système solaire pour le ramener à la vie. Un des rares capables de faire trembler les corporations. Même quand on avait essayé de la tuer, elle avait volé le corps de son assassin.

Mais ce qu’elle leur explique là, terrorise la guerrière. Un ennemi si puissant qu’il se joue des meilleures IA des puissantes corporations, si renseigné qu’il semble pouvoir prédire les événements et capable de tisser un piège à l’échelle des colonies. Un ennemi de l’ordre du divin pour ce qui la concerne.

Alors qu’elle termine ses explications, Ney la regarde. Laissant les autres disserter, elle s’approche de sa première amie et lui prend la main. Son pelage inversé rappelle à la protectrice ses propres erreurs et intérieurement Nevi se jure de trouver un moment pour récupérer une enveloppe conforme pour sa meilleure amie.

La technophile a pratiquement toujours eu cet étrange don pour lire les émotions – et pratiquement les pensées – des humains mais aussi de la guerrière en particulier. Une faculté presque surnaturelle, bien que la peluche s’en soit toujours défendue à l’aide d’explications beaucoup trop compliquées pour qui que ce soit du nid. D’un air naturel, elle l’emmène dans la salle de repos et de soins. Là elle la prend dans ses bras, comme la petite sœur qui réconforte la grande dans un moment difficile.

« Je sais que tout ça t’effraie. Tu as toujours caché tes peurs derrière ta colère et tes armes. Je ne peux pas te prédire comment tout ça va se terminer, mais on aura notre mot à dire. », lui explique-t-elle.

« Notre petite prodige arrive dans une heure, je lui ai donné rendez-vous dans un petit restaurant de la tour. C’est officiellement une astronaute : on va fêter ça ! » continue Ney.

La « petite prodige ». Ney est la seule à l’appeler comme ça. Zut dans ses plus mauvais jours l’appelle la « cassée ». « Idle » est un reflet même de sa condition. Et pourtant, Ney continue d’y voir plus. Ney, la sage ; Nevi, l’impétueuse ; Scrap, le méticuleux ; Zut, l’intrépide ; Cara, la plaisantine ; Lift, le rapide ; Idle, l’endormie. Tous avaient leurs petits surnoms, mais seul Ney a une idée de ce qui se passera lorsque l’endormie ne le sera plus.

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