42 – Ney : “Nécromancienne” lance “Parler avec les morts”

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Les résultats affluent depuis plusieurs minutes, chaque station renvoyant les résultats des éléments connectés. Jusqu’ici, tous contiennent simplement la chaîne : « No match ». Des résultats négatifs. Soixante-dix pourcents des rapports sont arrivés, ce qui n’en laisse plus que trente. Avec les quinze de redondance, il n’y avait qu’une chance sur six pour que le bon résultat ne soit pas déjà arrivé.

Faut-il y voir de la poisse ? Un statut d’exception ? Pas vraiment et la technophile s’amuse à imaginer les effets de l’étrange et irrationnelle approche que les humains tendent à avoir avec les statistiques. Ils en viennent même à invoquer la chance, la foi et le divin. Ney se contente de considérer la situation telle qu’elle est. Pour résumer sa doctrine : « Peu importe où nous somme et ce qui nous est arrivé, ce qui compte c’est ce que nous allons faire ensuite. ».

Ah, le voilà : le message tant attendu. Ney l’examine tandis qu’en arrière plan le virus déployé sur les stations efface toutes traces du méfait. La précieuse clé de décryptage semble complète et la technophile effectue quelques rapides tests pour s’assurer de son intégrité. Ceux-ci passent.

« Bien, le temps est venu, dit-elle d’une voix qui ferait penser à une sorcière.

– Tu as réussi ? demande Eve.

– On dirait bien, confirme la technophile.

– Quatre heures : c’est tout ce qu’il faut pour casser la clef d’un implant mémoriel ?

– Si on compte tous les préparatifs, je dirais qu’on l’a fait en onze, répond fièrement Nevi qui prend Ney par l’épaule.

– On va l’essayer alors ?

– Oui ! », confirme Ney connectant l’implant de Trend sur la console du nid.

Tous retiennent leur respiration tandis que Ney lance les premières instructions pour accéder à l’implant. Une commande plus tard et un indicateur de progression apparaît. Même pas cinq secondes après, un message annonce que neuf exaoctets ont été décryptés et rangé dans le fichier « Trend-2094-2-12.scan-sji-neural ». Un grand soupir commun de soulagement éphémère remplace le silence.

Ney reprend ses opérations, contrôlant la console par la pensée. Elle lance plusieurs logiciels de son cru pour vérifier la nature et l’état du fichier supposé contenir la conscience, la mémoire de Trend et sa cohorte de logiciels intégrés. Tous ces tests passent à l’exception d’un : calibré pour les noyaux wolfa, il n’aurait d’ailleurs pas dû être exécuté. Tant pis, au moins on sait que Trend n’est pas une IA de ce type. L’avertissement a toutefois inquiété Nightly, mais un regard et un sourire de la semi-renarde ont suffi à supprimer cette peine.

Enfin, Ney charge le programme de virtualisation, mais pas dans la console cette fois. Directement dans son propre cerveau hybride. Elle y configure un hôte humanoïde le plus proche possible de ses souvenirs. Ceci-fait, elle injecte les données fraîchement récupérées et devant les yeux ébahis de l’assemblée, le corps simulé de Trend apparaît sur le canal de réalité virtuel du nid.

L’homme semble particulièrement désorienté, mais Ney ajuste rapidement de nombreux paramètres de l’enveloppe virtuelle jusqu’à ce que ses sensations satisfassent son hôte.

« Bonjour Trend, lance t-elle avec un ton amical.

– Ney ? s’étonne le wardner constatant rapidement son intangibilité. Que m’est-il arrivé ?

– Tu as été tué sur Lem, répond la justicière avec une certaine émotion dans la voix.

– Oui. J’aurais dû t’écouter. Vu que je suis émulé, entouré de vous tous, avec deux jours de discontinuité… Ce n’est pas DeepOne qui m’a rappelé. Vous prenez un terrible risque, les avertit-il.

– L’idée vient de Sanaë, même si elle ne l’a pas autorisé, lui explique Ney, on a besoin de toi.

– « Bishop », ça te dit quelque chose ? demande Nightly.

– Oui, mais il relève de Sanaë d’habitude. Pourquoi ? s’inquiète le wardner.

– C’est ton meurtrier, lui répond froidement Nevi. Mais ne t’en fais pas, je vais salement lui pourrir la vie s’il essaie de faire du mal aux miens !

– Je suis désolé pour toute cette déception, mais je n’ai pas eu la moindre information, durant ma visite : si ce n’est qu’il me connaît suffisamment pour employer une arme mémétique.

– Et un mélange carburant – trifluorure de chlore, continue Nightly.

– Un mélange explosif. Il ne devait pas rester grand-chose, constate le wardner.

– Ça a fait des cendres de toi. La station est encore en un seul morceau. Et Bishop est mort, résume Eve mal à l’aise.

– Il a toujours eu des instances actives un peu partout. Sanaë en a déjà eu beaucoup, mais il en reste toujours, explique Trend.

– Il fait quoi au juste ? demande Nevi.

– Il sème le chaos, explique le fantôme. Ses actes sont toujours destructeurs mais sans plan à long terme.

– Pas de schéma ? demande Ney.

– Rien que les intelligences artificielles statistiques des corporations aient pu trouver, se désole Trend.

– Amusant, pas même des fausses pistes ? insiste la technophile.

– Pardon ? Non, confirme-t-il.

– Ces systèmes statistiques sont pourtant très souvent influençables par une version du biais de confirmation : on les entraîne à reconnaître des motifs mais s’il n’y en a pas, ils trouvent souvent des choses malgré tout, explique Ney. S‘ils n’ont rien trouvé…

– Je vois où tu veux en venir. Mais… Tu l’avais déjà deviné, non ? s’interrompt le wardner.

– Oui, confirme Ney.

– Quoi donc ? demande Nevi.

– Je te laisse lui expliquer, se défausse le fantôme.

– J’ai mis Trend dans une sandbox avec un accès limité, explique avec honnêteté la technophile. Tout ce que m’a décrit Nightly semble désigner une mise en scène. Et cet adversaire a été capable d’induire les peurs de Trend. Ça ne se fait pas comme ça. Si on ajoute le comportement étrange, de ce Bishop vis-à-vis du module de sauvegarde, la probabilité que cette mémoire ait été falsifiée n’est pas nulle.

– Mais le certificat ? demande Nightly. Il est bon, non ?

– On a deviné la clé, mais la mémoire aurait pu avoir été encodée par l’allié de Bishop, conteste Ney. Cet allié est visiblement capable de prendre de court les meilleures IA d’analyse statistique des corporations et de fournir des instances à son agent. Un adversaire de ce type porte un nom : un « adversaire fort ». Et la moindre faille qui se retrouve exposée sera exploitée.

– Oh, merde… À ce niveau de paranoïa, comment on va s’en sortir ? », demande Nightly.

La technophile sait qu’il n’y a pas de réponse simple au problème. La plupart des spécialistes en sécurité se consolent en espérant qu’un tel adversaire n’existe pas. Ce qui est effectivement le cas : même la meilleure IA pour le go peut encore être défaite par une IA qui posséderait l’arbre complet des possibilités du jeu. Malheureusement, ces dernières n’existent pas, car le niveau de complexité algorithmique est encore bien trop élevé pour « résoudre le problème ». Une IA qui aurait une chance incroyable, elle…

Finalement, c’est peut-être pour ça que les humains conservent encore une certaine foi en la chance.

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