32 – Nightly : Dans les entrailles d’un cauchemar

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La navette avait été sécurisée et le mystérieux homme flottait mort, retranché dans le poste de pilotage. Visiblement quelques balles l’avaient quand même atteint même si l’hypoxie était vraisemblablement responsable du décès. En dehors de quelques combinaisons d’EVA rangées hâtivement – douce ironie – rien n’attestait d’une activité récente dans la cabine.

La soute, en revanche, contenait tout un stock d’armes incendiaires, y compris deux réservoirs de trifluorure de chlore. Cette désignation n’était pas parlante pour Nightly, mais le docteur Emmanuel avait vivement réagi. D’après lui, si un tir avait atteint les réservoirs, la navette ne serait plus qu’un champ de débris. L’autre fait inquiétant : l’un de ces réservoirs était pratiquement vide…

« Les forces de sécurité récupéreront les corps et l’épave, Nightly. Nous allons passer à la station, lui explique Tsadir.

– A1 : revenez au marqueur 1, nous vous avons préparé de l’équipement spécialisé, ordonne le commandant de la canonnière.

– De quoi s’agit-il ? demande Nightly.

– Un photo-spectromètre : nous ne voulons pas que vous soyez exposée aux sal… produits que vous avez trouvé dans la navette, lui répond le docteur.

– Je me mets en route. », termine l’enfant.

Continuant de dériver, la navette est maintenant à plus de sept kilomètres de la canonnière mais les systèmes de positionnement de la combinaison restent assez précis pour la positionner au millimètre. Eve se lance à nouveau dans le vide et par la force de son implant revient vers le vaisseau mère.

« La vache : elle vient de passer de zéro à sept-cent mètres par secondes en trois secondes ! s’étonne un des officiers.

– Je vous l’avais dit, pas besoin de jet pack, maintient Tsadir.

– Madame, elle vient de produire plus de vingt G d’accélération, explique l’homme presque bouleversé.

– Techniquement, je n’ai rien senti. », leur explique Nightly sur un ton amusé.

Le temps de la conversation, la voilà déjà arrivée au niveau de la corvette. Elle se place au niveau du marqueur 1, celui placé devant le sas par lequel elle était sortie. La porte externe est ouverte et, mis en surbrillance par le système de vision, un petit drone est attaché sur le « sol ». Eve s’en empare et le fixe à son harnais.

« Ici A1, j’ai récupéré le drone.

– Très bien, rendez-vous au marqueur 3 et déployez-le à l’entrée de la station. Le drone vous précédera.

– Bien reçu. », termine l’enfant.

Moins d’une dizaine de secondes plus tard, l’astronaute débutante est en position. Eve détache le petit appareil. Manipuler des choses avec les épais gants est difficile, mais heureusement leur surface embarque un revêtement intelligent qui duplique les propriétés des pattes des geckos : ça permet une prise ferme y compris sur une surface plane.

Elle le relâche et le petit drone s’oriente par la force de ses tuyères. Piloté à distance par le docteur Emmanuel, il s’engouffre dans l’ouverture béante du sas d’accès qui a visiblement été forcé et détruit de l’extérieur : quelqu’un est déjà rentré de force dedans. Une image à 360 degrés – quatre pi stéradians serait plus exact – montre la vision de l’appareil d’exploration et de multiples petits faisceau lumineux mesurent la composition des matériaux.

L’intérieur de la station semble calciné : les faibles tuyères de l’appareil dégagent quelques cendres à son passage. La lecture thermique indique que les murs sont à une température de 557 kelvins, littéralement la température d’un four domestique à plein régime. Le couloir principal voit sa température augmenter légèrement de quelques dizaines de degrés.

« J’envoie le drone vers l’emplacement de la salle de commandement. »

Les couloirs présentent d’étranges décorations : comme si du lierre avait poussé contre les murs et que l’incendie avait tout ravagé. Suivant le drone, Eve progresse prudemment, le fusil pulseur à l’épaule, évitant soigneusement de toucher les surfaces brûlantes de la station.

Le docteur fait part de ses constats : « Les portes menant au poste de contrôle semblent avoir toute été forcées à l’explosif. Ha, voilà le poste de contrôle… merde ! »

La salle de contrôle ne ressemble pas du tout à une salle de contrôle : tout le mobilier intérieur manque et les murs luisent légèrement de la chaleur : l’affichage thermique à la limite de la saturation exprime une température de presque 800 kelvins. Les radiations thermiques commencent même à mettre à mal le petit drone qui signale une défaillance de ses moteurs.

Au bord de la salle un corps calciné, recroquevillé sur lui-même.

« Trend… » prononcent simultanément la wardner et la justicière. Eve sent le petit module mémoriel dans son compartiment à échantillon prendre plus masse, attirant son esprit comme pour lui signifier son importance.

« Le drone est perdu, annonce le docteur Emmanuel.

– A1 : Revenez au marqueur 1 pour réintégrer le vaisseau : l’EVA est terminée ! », annonce le commandant Dannis.

Confirmant la réception de l’ordre, Nightly repart en arrière. Un bref flash de lumière indique que les batteries du drone ont explosé.

Prenant à nouveau son élan dans l’espace, elle se demande les raisons pour lesquels le wardner a été tué. S’il s’agit bien de sa mémoire qu’elle transporte, ils devraient pouvoir en tirer une explication. À moins que Tsadir n’en sache déjà plus : elle semblait connaître l’homme de la navette. Celui qui a mystérieusement disparu quelques minutes, échappant aussi aux perceptions de son propre implant. C’est la première fois que ça lui arrive et ça ne la rassure pas vraiment.

La surface externe de sa tenue affichant une température de plus de 70 degrés Celsius, on la fait attendre dans le sas d’accès soumis dans un air réfrigéré par le super climatiseur du vaisseau. Sa peau externe redescendue à une température normale, Nightly est guidée par la solar wardner dans la salle de préparation et le rituel inverse s’opère. Le froid de l’air ambiant choque l’enfant. Heureusement, l’opération est plus rapide et elle regagne rapidement ses vêtements.

Tandis qu’elle enfile son armure personnelle, elle constate que la combinaison présente de nombreuses petites éraflures à sa surface. Le vol au travers des débris en allant à la maudite navette était plus encombré que ce qu’elle avait vu. Mais l’armure de combat de Suan était prévue pour encaisser des impacts bien pire que ça et elle-même n’avait pas ressenti le moindre choc.

De son côté Tsadir range la combinaison militaire et extrait le module mémoriel du compartiment à échantillon. Elle le prend dans ses deux mains, fermées l’une sur l’autre, et semble lui adresse une courte prière d’un simple souffle. Elle se tourne vers Nightly et lui tend le module.

« Si c’est la sauvegarde de Trend, tu ne devrais pas la conserver ? lui objecte l’enfant.

– Je veux que tu remettes cette sauvegarde à Sanaë : c’est une wardner plus expérimentée qui a déjà eu affaire à l’homme que tu as vu à bord de la navette.

– Sanaë ? Son nom me dit quelque chose…

– Probablement : elle s’est spécialisée dans les affaires liées aux dérives concernant l’implant psi, de près comme de loin.

– Et je la trouve où ?

– Autour de Saturne : elle accompagne une délégation martienne – une histoire de vaisseau avec peut-être un lien avec l’Héméra. Je l’ai prévenue de ton passage.

– Et toi, tu ne viens pas ? Je peux faire passer des gens avec moi, tu sais.

– Je sais, mais j’ai encore pas mal de chose à faire : notamment trouver à qui appartient cette station, qui possède la navette, qui sont les complices de ce « Bishop », et il y a probablement une petite montagne de paperasse à mon nom. », ironise la solar wardner.

Nightly la regarde interrogative alors qu’elle ajuste les derniers éléments de sa tenue de justicière. Le docteur Emmanuel arrive enfin s’assurer de sa santé mais Tsadir le repousse d’un geste calme.

« Quand tu seras prête, met toi en chemin. On a déjà perdu beaucoup de temps et toi seule peut aller plus vite que l’information. Trouve Sanaë et surtout, sois très prudente. », lui explique Tsadir en la prenant par les épaules avant de l’étreindre amicalement.

Surprise Nightly, répond à l’étreinte comme pour la remercier. Le contact humain n’a jamais été vraiment son fort.

Saturne. Ney. Elle replonge dans ses pensées : si les affaires étaient effectivement liées, pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé.

Les deux femmes se séparent et la psion se concentre sur la surface lisse du plafond. Ombrenade, ce serait un bon départ. Sous le regard éberlué du docteur Emmanuel un cercle de lumière s’ouvre laissant entrevoir un couloir situé dans une cité se trouvant à presque deux milliards de kilomètres de là.

« Bon voyage », lui adresse la wardner.

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