Chapitre 1

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La Malédiction d'Ariane
© Rose P. Katell (tous droits réservés)
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Assise sur un banc à la peinture écaillée, la jeune fille frissonne sous l’effet du vent frais et observe ce qui l’entoure.

Un peu plus tôt dans la matinée, ses pas l’ont menée jusqu’à la gare. Semblant là depuis des siècles, la bâtisse la domine de sa silhouette ; elle paraît vouloir l’impressionner avec ses nombreuses gravures et ses portes imposantes. Elle n’a pas le cœur à y entrer. Aussi beaux et majestueux soient-ils, des bâtiments sont des bâtiments, inanimés et sans vie. Elle préfère rester sur le quai pour étudier ses semblables.

Certains sont assis non loin d’elle. D’autres se dépêchent d’aller acheter leur billet, acquièrent le journal au kiosque d’en face, fixent leur montre, ou encore jouent avec leur smartphone.

L’adolescente ne fait rien de tout ça. Elle n’a même pas de train à prendre. Elle se contente d’observer. Son regard saute d’un passant à l’autre, avide de détails ; la curiosité est un défaut qui l’habite depuis l’enfance. Plus loin en hauteur, un panneau se met à clignoter : quelques mots s’y affichent. Une voix féminine résonne dans les haut-parleurs et confirme un léger retard pour le prochain train.

Plusieurs personnes grommellent et lèvent les yeux au ciel ; la jeune fille ne peut s’empêcher de sourire. Aussi différents que soient ces individus, certaines choses ont le don de les rassembler.

Elle concentre ensuite son attention sur le quai. Du monde arrive chaque minute. Prise dans le tourbillon de ses pensées, elle en oublie la raison de sa sortie matinale. Y en avait-il seulement une ? Cette question lui apparaît sans importance. Fixant les rails devant elle, elle s’interroge : que se passerait-il si elle sautait dans le prochain train, sans même se renseigner sur sa destination ? Du plus loin qu’elle s’en souvienne, elle a toujours rêvé de s’en aller, de vivre sa propre aventure. Elle ne le peut toutefois pas. Pas encore.

Elle se surprend à dévisager les autres avec envie. Eux ont la chance de pouvoir partir, de tout quitter ne serait-ce que pour un court moment. Mais ils ne pensent qu’à maugréer sur les quelques minutes de retard annoncées. L’adolescente secoue la tête avec résignation. Elle n’y changera rien et le sait, la vie est comme ça.

Un homme attire son attention. Elle ne l’avait pas remarqué et s’en étonne, elle qui n’est pourtant pas mauvaise observatrice. Elle n’arrive plus à en détacher son regard. Loin d’être agacé par le contretemps, il a l’air plutôt perdu et nerveux, voire désemparé. Il ne cesse de considérer ce qui l’entoure du coin de l’œil et se balance d’un pied sur l’autre. On pourrait croire que tout son corps lui refuse l’immobilité.

Intriguée, la jeune fille l’examine plus en détail. Comment a-t-elle fait pour ne pas le voir plus tôt ? Le teint aussi pâle que la mort, les yeux rougis et les mains tremblantes, on le jurerait sorti d’une pièce de théâtre tant ses habits ont l’air d’appartenir à une autre époque. Un instant, elle se demande s’il n’est pas acteur. Peut-être même s’est-il égaré ?

Désireuse de s’en assurer, elle se lève, prête à aller lui proposer de l’aide, et sursaute lorsqu’une voix féminine résonne une nouvelle fois dans les haut-parleurs. L’arrivée du train en gare est imminente. Autour d’elle, des soupirs soulagés se font entendre. « Enfin », semblent-ils tous signifier. Elle n’y prête pas attention. Dans son soubresaut, elle a perdu l’homme de vue. Ses yeux cherchent à le localiser dans la foule qui s’agglutine au plus près des rails.

Elle ne peut s’empêcher de pester en ne le remarquant nulle part. Où est-il passé ? Il doit pourtant être repérable avec ses drôles de vêtements et ses cheveux blond vénitien, presque roux par endroits.

Retrouve-le, lui murmure une voix.

Sous le coup de la frayeur, un cri meurt dans sa gorge : les mots ont jailli dans sa tête, la tétanisant sur place. Par chance, personne n’a perçu son trouble. L’adolescente se calme et tente de se persuader qu’il s’agit d’une hallucination, avant de promener une fois encore son regard sur la foule. Son cœur tambourine dans sa poitrine. Elle n’a pas conscience du bruit que fait le train en s’approchant de la gare, prêt à embarquer de nouveaux passagers.

Retrouve-le.

Cette fois, impossible de prétendre que rien n’est arrivé. La voix est bien trop distincte. Pire : elle a l’étrange impression de la connaître. Comme si elle l’accompagnait depuis toujours. L’urgence du ton ne lui échappe pas. Il la rend nerveuse, l’oblige à chercher l’homme avec plus d’empressement.

Enfin, elle le repère !

À l’écart des autres voyageurs, il se tient au bord du quai et regarde en direction du train. Même de là où elle se trouve, la jeune fille peut voir qu’il pleure…

Empêche-le !

Comprenant ses funestes intentions, elle se précipite vers lui et bouscule quelques personnes au passage.

Aide-le… l’implore la voix. Tu dois lui venir en aide, Cassandra !

— Monsieur ! hurle-t-elle. Monsieur, s’il vous plaît !

Plusieurs passagers se tournent vers elle, intrigués, mais l’homme l’ignore. Rien n’indique qu’il l’ait entendue. Paniquée, elle cherche à le rejoindre au plus vite, d’autant plus pressée par les réguliers « aide-le » que lui intime cette voix. Dans le feu de l’action, elle ne pense qu’à une chose : atteindre cet individu avant qu’il ne soit trop tard pour lui. Elle y pense tant et si bien qu’elle ne songe pas un seul instant à s’interroger sur cette mystérieuse présence.

— Monsieur ! crie-t-elle derechef, priant pour qu’il se détourne des rails.

Peine perdue. Le train arrive sur la voie et, affolée, elle voit l’homme fermer les yeux, prêt à avancer.

— Non !

Dans un élan, elle bondit avec le mince espoir de parvenir à temps à ses côtés. Elle doit empêcher ça. Il le faut, elle le sent au plus profond d’elle-même. La voix l’y encourage. Elle lui répète sans arrêt qu’elle en est capable, qu’elle peut réussir.

Mais le train la dépasse. D’un saut, l’homme disparaît de sa vue.

Elle hurle.

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