Une nuit à la taverne du borgne

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Je suis à l'étage, plongé dans l'obscurité, le front plaqué contre la porte en bois de la chambre. Plus aucune voix, tintement de verre ou crissement de chaise ne monte de la grande salle au rez-de-chaussée. La taverne toute entière semble endormie. Il est tard, et un courant d'air froid m'arrache un frissonnement. Ma peluche en chiffon dans une main, je frappe timidement de l'autre contre la porte. J'entends alors le grognement rauque d'un homme dans la pièce, puis le gémissement étouffé de ma mère. Souffre-t-elle ? Je ne comprends pas, j'ai peur. Ma vue s'habitue peu à peu aux ténèbres, tandis qu'une désagréable odeur vient picoter mes narines. C'est l'encens qui empeste l'étage, à chaque fois qu'elle reçoit un inconnu. Je ne devrais pas rester dans l'établissement du borgne, mais je crains encore plus de rentrer chez nous, de me retrouver seul avec mon père. Malgré mes appels, ma mère ne m'entend pas, et l'idée de passer la nuit dans le couloir me terrifie. Je sanglote en silence, tandis que les grondements de l'homme en sa compagnie reprennent.

Assis contre la rambarde du balcon, je remarque un mouvement dans la grande salle, puis croise avec effroi le regard assassin de mon père. Il beugle comme un chien qui aboie, et se rue quatre à quatre dans l'escalier. Je me précipite contre la porte, hurle et frappe de toutes mes forces, terrorisé. Je sens d'ici son haleine fétide, tandis que des voix s' élèvent quelque part. Subitement, la porte s'ouvre et je plonge en avant. Un homme nu s'écarte et tente de la refermer derrière-moi, mais mon père est déjà sur lui. Comme un dément, il frappe de toutes ses forces l'homme au visage.

Au sol, l'inconnu a le nez brisé et la bouche en sang. Ma mère crie, je pleure, et me cache derrière le paravent qui sépare un petit espace du reste de la pièce. La porte se referme, l'homme est parti. Je n'entends plus que les hoquets et reniflements de ma mère, puis la respiration lente de mon père. Sur le mur, la flamme du bougeoir près de la couchette projette leur ombre. Lentement, la silhouette de mon père s'approche de celle de ma mère, qui recule et se met à couiner. Je connais la suite. Je ne veux pas y assister. La gorge nouée, je me réveille.

J'aperçus face à moi le visage d'Aline, paisiblement endormie. La houle berçait le Corbeau Blanc et son équipage, tandis que l'aube pointait à l'horizon.

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