Curieux sentiments

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Diegory tomba une nouvelle fois sur la boîte vocale d'Elise lorsqu'il se décida à lui laisser un message :

— Qu'importe le chemin que tu empruntes pour regagner ta chambre... assure-toi juste d'y être avant l'arrivée du chef. Il est en route. Si tu ne le fais pas pour toi, ajouta-t-il face au soupir consterné de Gareth, fais-le au moins pour nous.

Dès qu'il eut raccroché, Gareth se laissa choir sur sa chaise. Ensemble, ils avaient fait de nombreuses cachoteries, dissimulé diverses investigation secrètes, fait des blagues de mauvais goût à d'autres collègues. Pourtant, jamais au grand jamais, le cadet ne s'était montré si terrifié à la supposée idée d'affronter le Chef.

— Elle est sûrement dans sa chambre, tenta Diegory, ne t'inquiète pas.

Gareth lui lança un regard désapprobateur :

— Ce n'est pas le vieux que je crains... c'est l'autre.

— L'autre ? se rapprocha Diegory.

— Ton nouveau partenaire... Celui que tu viens de croiser dans les escaliers... celui qui s'est assis dans le fauteuil du vieux l'obligeant à rester debout. Celui qui l'a mis dans une colère noire sans même sourciller. Celui qui a cloué le bec à Clyde en moins de quinze mots. Pourtant, tu connais Clyde... Quand le vieux a annoncé que le type travaillerait avec toi et Elise, il a voulu se rendre intéressant : «  La chienne et son maître ont droit à un psy maintenant ?  », « La chienne ?! Celle qui a refusé de sucer ton os ?  », répéta-t-il avec une pointe d'admiration. Tu savais qu'il avait essayé de se taper Elise, toi ? Moi, je le savais pas... Les femmes, elles en sont fans... Faut dire, il a une belle gueule... Et le charisme... Oh, le charisme ! En moins d'une heure, il a appris des choses qu'on ne savait même... Alors... tout ce qu'on a dissimulé sera dévoilé au grand jour dès qu'il se mettra à creuser. Parce qu'il va creuser, c'est sûr, termina-t-il le regard dans le vague.

À ces mots, Diegory se remémora une bribe de la conversation qu'il avait entendue durant son ascension :

«  — Je dois juste comprendre pourquoi elle est la seule à entendre ce bruit.  »

Désormais, à n'en point douter, cet homme parlait d'Elise : cette question, il se l'était lui-même posée dans le taxi pour rentrer chez lui. Aucun son ne lui avait semblé étrange ou anormal. Tout du moins, aucun qui ne lui aurait permis de détecter de la vie dans ce charnier. Lorsqu'Elise lui avait signalé qu'une personne vivante était de l'autre côté du mur, il avait foncé tête baissée. Ce n'était qu'une fois la tôle tombée qu'il avait été en mesure d'entendre l'écho du métal. Bien que la victime fût décédée et que diverses sanctions en découleraient, Diegory ne regrettait pas d'avoir suivi Elise. Si c'était à refaire, il n'hésiterait pas une seule seconde. Mieux encore, si l'inconnu était bel et bien innocent et que Diegory pouvait remonter le temps, il composerait directement le numéro inscrit sur la cuve, afin de, peut-être, sauver cette femme ou lui accorder un dernier moment avec celui qu'elle aimait.

— Tu m'écoutes ? s'enquit Gareth, l'extirpant de ses pensées. A l'évidence, non. Allez, dégage. Va attraper le salaud de ce charnier.

Diegory s'exécuta : dans la situation actuelle, ni l'un ni l'autre ne rattraperait la balle lancée hormis celle à qui elle était destinée.

Elise ferma les yeux. De cette façon, elle avait l'impression de contrôler l'obscurité. Bien que la brume ne l'accompagnât pas, Elise la savait toujours là et, aussi étrange que cela parût, elle se sentait rassurée. Elle effectua un pas, hésitant, puis s'élança à l'aveugle. Après quelques minutes, ou heures, le sol, qu'elle supposait plat jusqu'ici devint comme boueux, marécageux. Elle avait l'impression de s'enfoncer dans la mélasse intestinale de la dépouille et s'immobilisa.

«  Écoute l'univers qui t'entoure. Ouvre tes sens. La perception et l'ouïe te seront indispensables si tu veux entrer dans son monde. Cette âme a souffert, Elise », se répéta-t-elle. Entrer dans son monde ? Elise ne le désirait pas. Elle voulait l'en extirper. L'arracher à cette douleur palpable. Le libérer. Le venger. Les venger.

Instinctivement, elle tendit la main, comme pour inviter quelqu'un à la saisir.

— Je sais que vous êtes là, murmura-t-elle. Si vous prenez cette main... Si vous prenez cette main, je partagerai votre douleur.

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