Chapitre 7 (1/7)

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Les deux agents signalèrent à Elise qu’ils se rendaient à la morgue et qu’elle n’y était, officiellement, pas conviée. À force d’arguments et de persuasions, Elise fut autorisée à les accompagner à condition qu’elle demeure discrète.

En route vers la salle d’autopsie, Elise fixait un point imaginaire au loin. Dès que ses barrières psychiques s’effritaient, elle s’empressait d’en ériger de nouvelles. Les antidouleurs agissaient encore, mais elle recouvrait peu à peu ses capacités à éloigner les esprits qu’elle refusait de croiser.

De temps à autre, Diegory lançait des regards par-dessus son épaule et, en retour, elle lui souriait. Lorsqu’ils arrivèrent aux cellules réfrigérantes, Elise se figea devant l’une des portes. Son regard se braqua sur la paroi aux finitions blanches.

— Ah ! Vous voilà ! tonna le médecin légiste derrière eux.

Diegory et Talyah se retournèrent pour le saluer, mais l’enquêtrice demeura immobile. De l’autre côté de cette cloison, elle ressentait le corps vide de la jeune fille. Son âme avait rejoint le néant. L’agente n’arrivait pas à oublier la peur dans la voix de cette enfant qui craignait que son père la déteste. Elle revoyait son visage inquiet.

Soudain, la jeune femme sentit les regards peser sur elle et ouvrit les yeux ; elle ne se rappelait même pas les avoir fermés. Elle ne réalisa qu’à cet instant avoir ouvert la porte de la cellule réfrigérante. Trois sacs hermétiques lui faisaient face.

— Nous n’avons pas encore eu le temps d’autopsier les corps, lui lança le légiste, mais celui que vous cherchez est là-bas, sur la table.

Elise se détourna avec lenteur et reconnut sans mal le cadavre drapé de la femme enceinte de l’autre côté de la salle d’autopsie.

— C’est bien pour elle que vous êtes là, non ? s’enquit-il, troublé.

— C’est ça, répondit Diegory, impassible.

L’agente referma la cellule réfrigérante sans détourner son regard du premier sac hermétique où se trouvait la petite fille, puis se plaça en retrait aux côtés de Diegory et Talyah.

— Il s’agit de Victoria D. Lawson, trente-trois ans, déclara le médecin, en intimant aux agents d’avancer. Née le 14 février 1985 à Los Angeles. Avez-vous contacté la famille ? s’enquit-il, en direction de la table d’autopsie.

— Nous n’avons pas encore été en mesure de le faire, répondit Talyah. Le numéro principal du dossier clinique de la défunte n’est plus attribué et le second numéro lui appartient. Une équipe est descendue à l’adresse indiquée afin de trouver un membre de sa famille.

Le sang de l’enquêtrice ne fit qu’un tour : elle porta sa main à la poche arrière de son jean et en tira le papier chiffonné sur lequel était inscrit le numéro de téléphone du père de la petite fille, mais se ravisa lorsque le médecin reprit en dévoilant le visage de la victime :

— Date et heure du décès : dimanche huit juillet à 21 h 42, continua le légiste, nullement intéressé par la réponse de la scientifique. Autopsie pratiquée le huit juillet à la demande de Paul K. Duran, procureur des États-Unis. Le corps est celui d’une femme normalement développée, malnutrition sévère, elle mesure un mètre soixante-huit et pèse vingt-six kilos quatre-vingts. Aucun signe d’abus sexuels, présences d’automutilation au niveau des cuisses, des bras et des avant-bras. Plaies fibrineuses au niveau des phalanges distales ; les ongles ont été arrachés et, faute de soins, se sont infectés et gangrenés. Présences de nombreuses escarres de stade trois et quatre au niveau des fesses, des hanches, des omoplates et des chevilles, signes d’une longue immobilité. Le tronc présente divers hématomes indatables par leur périphérie. La cornée présente des séquelles ayant entraîné une cécité totale. D’après les brûlures sur la peau, nous pensons que de l’ammoniaque est à l’origine de cette blessure.

Grossesse arrêtée depuis environ vingt-six semaines. La taille du fœtus laisse supposer qu’il était âgé de vingt et une semaines avant de succomber de malnutrition. Poids du fœtus : cent soixante-dix-huit grammes. Le cœur de la défunte, d’un poids de deux cent trente grammes, présente des signes de faiblesses cardiaques aux deux ventricules. Cause du décès…

— Vous ne comptez quand même pas nous réciter l’intégralité de votre rapport ? l’interrompit Diegory d’une voix neutre. Vous nous avez demandé de venir, nous sommes là. Votre rapport, nous le lirons nous-mêmes, venez-en aux faits.

L’enquêtrice planta son regard dans celui de Diegory. Depuis qu’ils travaillaient ensemble, l’inspecteur n’avait jamais apprécié le passage à la morgue. Il s’agissait probablement du seul lieu où il n’aimait pas mettre les pieds. Ainsi, elle comprenait son envie d’en finir. C’était d’ailleurs grâce à cela que la jeune femme se permettait de traîner davantage aux côtés des morts vu qu’il ne l’accompagnait pas.

— Je vois que vous êtes pressé, monsieur Keaton. Très bien. Nous vous avons appelés pour ceci :

Le médecin légiste tira sur le drap et découvrit entièrement la victime. Il écarta les cuisses de cette dernière et indiqua à Diegory de se pencher. Intriguées, Talyah et Elise s’avancèrent également.

— Comme vous pouvez le voir, à l’intérieur de chaque cuisse, la défunte a inscrit un prénom. La forme des lettres, la profondeur des plaies ainsi que l’angle des incisions montrent que la victime s’est elle-même infligé ces blessures.

Instantanément, les deux femmes se rapprochèrent et décryptèrent le premier prénom :

— Steven, énoncèrent-elles en chœur, tout en se redressant.

— Pourquoi l’avoir gravé dans sa chair plutôt que de l’écrire sur le mur ? s’interrogea Diegory à voix haute.

— Ça, c’est à vous de le découvrir, reprit le médecin. Le prénom inscrit à l’intérieur de la cuisse gauche est Lewis. Les clichés vous ont été envoyés.

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