TI -   4   Mein Teil

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***Contenu sensible ***

Je m'avance et hume de mes nasaux flétris l'odeur de chair vivante que nous porte le vent. Au delà d'une lande lugubre où des plantes mutées jonchent un sol souillé, se trouve un vieux château fort délabré dans lequel se terrent les esclaves rebelles. Des évadés, séduits par les illusions du communisme. Si j'étais encore capable de ressentir un tel sentiment, ils me feraient presque pitié.
Je suis le capitaine Heinrich von Pfahlhängen, et mon odorat ne me trompe jamais. Leur peur est tangible. Ce sera un combat facile.
Je me tourne vers mes hommes en faisant crisser mes bottes. Les esclaves humains en uniforme mauve brandissent mollement leurs carabines au bout de leurs bras décharnés. Je les passe en revue, la main sur le pommeau de mon sabre. Ils tremblent sous mon regard, et cela m'excite.
Je me tourne ensuite vers les autres unités. J'aperçois la forme torturée du sieur Ernst von Schraubstiefel. Le pauvre a un aspect aussi repoussant que son âme, et la vue de son corps bestial d'écorché aux muscles et tendons saillants et de son mufle grotesque entouré de longs crocs suffit à provoquer mon dégoût le plus sincère. Ernst est devenu un Strigoi, c'est ce qui attend tout vampire ne maîtrisant pas suffisamment sa soif de sang. Peut-être est-ce mon avenir à moi aussi.
Ernst peste et hurle à la lune, impatient de se gorger de sang chaud. Je passe sans prêter attention, les hommes sous ses ordres semblant tous des humains aussi lunatiques que leur maître, les yeux exorbités et leurs revolvers brandis.
J'arrive devant la tente du général von Vierteilung, quand j'aperçois sur mon chemin le colonel Manfred von Radebrechen à genoux sur le sol poussiéreux. Vêtu d'un grand manteau bleu sombre et d'une casquette de même couleur, il prie en tenant son sabre pointé vers le sol. À mon passage il ouvre un œil et me fixe d'un air furieux, son œil rouge empli d'une haine féroce. J'ai souvent entendu dire que ce vampire détestait notre espèce et qu'il cherchait constamment un moyen de combattre la soif rouge. Je lui répond par le mépris, et je rentre dans la tente du général sans daigner poser les yeux sur le colonel.
- "Ah… vous voilà capitaine." fait le général Gebhard von Vierteilung, allongé sur son siège comme sur un transat, ses jambes chaussées de bottes noires épaisses croisées sur la table tactique. Ses yeux rouges globuleux me scrutent jusqu'aux tréfonds de mon âme noire.
- "Tout est prêt." dit-il. Ce n'est pas une vraie question.
Je répond d'un hochement de tête. Pas besoin de parler entre vampires. J'ai repéré les points faibles de leurs défenses, tout est prêt pour l'assaut.

* * *

Tout semblant de souffle s'est éteint. Tous prêtent l'oreille. J'ai tiré mon sabre au clair, et dans ma main gauche je tiens mon revolver. L'odeur m'excite, mais je me retiens. Les insurgés au loin brandissent des drapeaux rouges et scandent avec un entrain feint les premiers vers de l'Internationale. Les fous.
«Debout! les damnés de la terre!
Debout! les forçats de la faim!
La raison tonne en son cratère,
C'est l'éruption de la fin»
Ils ne croient pas si bien dire. Nos batteries de canons font feu à ce moment précis, leurs obus éventrant sauvagement la pierre du château, exposant ses entrailles sous la forme d'une masse de petits humains appétissants qui remuent comme s'ils souhaitaient attiser ma faim. Le bruit de tonnerre des obusiers nous fait nous lancer vers l'ennemi. Je hurle un ordre d'attaque et les esclaves se précipitent à ma suite, baïonnettes en avant. Ernst von Schraubstiefel passe devant moi en hurlant, ses hommes le talonnant en poussant des cris et en tirant en l'air. Le Strigoi est le premier à arriver au contact. Comme un rien, il égorge et éventre dix hommes en n'utilisant rien d'autre que ses immenses griffes. J'arrive peu après. Les rebelles ayant échappé à la fureur d'Ernst se précipitent vers moi, me trouvant moins terrifiant en comparaison. Ils ont tort.
À coup de sabre, je tranche les mains avant qu'ils ne puissent tirer, puis je les empoigne par les cheveux pour leur arracher de grandes pièces de viande de la gorge à l'aide de mes crocs aiguisés comme des dagues. Les esclaves ont plus de mal à suivre, ils sont tenus en respect par des mitrailles qui font une hécatombe. J'aperçois, et surtout j'entends Manfred von Radebrechen qui est resté derrière les hommes pour les pousser en avant.
- "Dans la brèche ! J'ai dis dans la brèche sales chiens ! Dans la brèche tout de suite !"
Sans hésitation, il tourne son pistolet contre ses propres hommes, abattant sans pitié ceux qui fuyaient ou qui refusaient d'avancer. Les soldats humains finissent par s'avancer sous le feu sans broncher, plus effrayés par leur chef que par la mitraille. Leur muraille de chair a beau saigner abondamment, ils parviennent jusqu'aux nids de mitrailles et les mettent en pièce. Nous nous engouffrons tous dans la forteresse sans peine, la suite de la bataille n'étant plus qu'un massacre.

* * *

L'odeur alléchante de viande rôtie avive mes papilles. Je me mets à saliver alors que les esclaves cuisiniers nous portent le festin. Ernst von Schraubstiefel, comme on s'y attendrai d'un Strigoi, bâfre sauvagement, ne faisant d'aucune distinction entre les plats et ceux qui les servent. Il dévore sur place plusieurs esclaves apeurés en projetant des monceaux de chair et d'entrailles autour de sa gueule bestiale. Manfred von Radebrechen ne savoure pas autant ce festin de victoire. Entre chaque bouchée il ferme les yeux et murmure une prière. Pour ma part, je savoure les corps rôtis avec délectation. Je découpe délicatement la chair humaine et la trempe dans la sauce avant de la porter à ma bouche. Un délice. Von Vierteilung plante sa fourchette dans l'œil vitreux d'un humain rôti et l'arrache pour l'avaler goulûment.
- "J'ai toujours dit," fait-il remarquer d'un air badin, "qu'ils étaient meilleurs avec un peu de rouge."
Je m'esclaffe à cette plaisanterie et continue mon repas. Mon rire fait frissonner d'effroi les esclaves. Pourtant, lorsque je leur lance un tibias entamé, j'ai le plaisir de les voir se jeter dessus. Les humains affamés se battent pour récupérer les restes de viande que nous daignons leur jeter. Tout en les regardant, je m'essuie la bouche avec une serviette et j'attrappe mon verre de cristal empli de sang frais. Décidément, leur désespoir est presque aussi nourrissant que leur chair.

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