Le méchant garçon

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- Papy, ça suffit ! Je les déteste ! Ils sont affreux, tes méchants, ils tuent tout le monde !
- Qu'est-ce que ? Dis donc ! Tu ne me parles pas sur ce ton, ma p'tite !
- Je suis pas ta p'tite ! J'suis grande d'abord ! Mais je les déteste quand-même tes méchants, j'en ai marre ! C'est toujours pareil tes histoires !
- Ha ! Bah... Ça !
- Tu peux pas m'en raconter une avec des gentils ? S'il-te-plaît, papy !
- Elles sont très bien mes histoires ! Moi, quand j'avais ton âge...
- mais papy, je suis une fille moi !
- Ça change rien ! Tu joues au foot, toi ! Et puis, t'as toujours aimé la bagarre ! Qu'est-ce que t'as ce soir ?
- J'en ai marre, c'est tout ! Je veux des gentils ! Allez, papy ! Pour une fois !
- Hm... Laisse moi réfléchir... Ok, pourquoi pas. Mais je te promets rien, elle te plaira pas forcément, parce que je vais un peu inventer, quoi !
- Ouais ! super ! T'es le plus génial des papy !
- Oui, mais attends quand même avant de me féliciter. Alors, hm ! Il était une fois, un méchant petit garçon.
- papyyyy !
- Mais si, attends ! Laisse moi raconter, hein ! Il était une fois, un méchant petit garçon.
Tout mince, beau, toujours bien habillé, il avait une très belle voix. Il ne mesurait qu'un mètre vingt alors qu'il avait fêté ses dix ans un mois auparavant. Cela le désespérait, ou pour être exact, le rendait furieux et vindicatif. Ses cheveux bruns contrastaient joliment avec ses yeux verts et son teint frais. Son regard fier et intelligent faisait dire aux adultes qu'il deviendrait sûrement quelqu'un d'important ! Lorsqu'il chantait, sa voix pure rendait son allure rigide plus énigmatique et amenait chacun à songer alors à la pureté du cristal. Il se prénommait Mathias.
Ses parents rêvaient de le rendre célèbre. Un Mathias vedette de la télévision ne les aurait pas contrariés, surtout pas son argent, d'ailleurs. Mais lui, ne l'entendait pas de cette oreille. Il était vraiment méchant. Pas question d'obéir à ses parents ou de leur faire plaisir. Ah, ça, non ! Comment ? Un enfant de 10 ans refusait de sacrifier impunément ses mercredis, ses samedis et dimanches, ses vacances pour aider ses parents à s'offrir de menus plaisirs ? Inacceptable, que veux-tu ! Il était très difficile de le faire changer d'avis, vraiment très dur. Lui, préférait aller à l'école sérieusement, faire ses devoirs le soir plutôt qu'apprendre des chansons, réviser ses leçons le mercredi et ses contrôles pour la semaine les week-ends, plutôt que de partir en vadrouille dans des casting à n'en plus finir. En somme, c'était un enfant insupportable qui prenait l'école au sérieux. Ses parents ne pouvaient rien, absolument rien planifier pour se détendre. L'enfer !

Lui, par contre, s'amusait, seul, car seule sa compagnie lui plaisait, dans le jardin de la maison. Ce qu'il aimait par dessus tout, c'était s'allonger dans l'herbe et observer les étoiles, là-haut. Si loin, dans le noir complet, où personne ne le suivrait jamais. Il irait un jour, il le savait. Son rêve secret le tenait éveillé des soirées entières. Quand il était censé aller dormir, il se faufilait au dehors et avec son duvet restait sur la pelouse à contempler les astres et à machouiller les herbes qui avaient le malheur de se retrouver sous ses doigts inoccupés. Dès qu'un trou se formait sous ses mains, il se décalait de quelques centimètres et recommençait. Il ravageait les travaux du jardinier qui, régulièrement, replantait des brins.
Las, ce dernier fit appel à un chercheur en biologie de sa connaissance, à qui il confia le problème. Celui-ci lui remit quelques temps plus tard et dans le plus grand secret, une nouvelle variété d'herbes, intelligente, à même de se défendre de ce prédateur étrange et inconnu. Ainsi fut plantée une nouvelle race d'herbes aux nanoparticules. Elles colonisèrent rapidement le jardin, heureusement délimité par les soins du jardinier au moyen d'une clôture spécialement créée par l'ingénieur, afin de générer un champ autosuffisant, vertical et destructeur pour toutes les nanoparticules de ses herbes. Aucune ne pourrait s'échapper. Il ne leur restait plus qu'à attendre.
La séance suivante d'astronomie de Mathias fut mouvementée. A peine allongé, commença-t-il à sentir un certain malaise. Mais tellement absorbé par la féérie du ciel, il n'en prit pas cas et rechercha de la main, son brin habituel. La sensation le fuyait. Il avait beau insister, fourrager, tenter, reculer, avancer, il sentait l'esquive, l'allonge, puis vint la fente et la touche, aïe !
- Tu t'es fait mal, papy ?
- Non, pas moi ! Mathias, voyons, suis un peu !
Mathias avait très nettement senti une piqûre. Il suça son doigt et regarda mais non, il n'y avait pas de bestiole, rien. Peut-être ce petit caillou, là ? Il le jeta plus loin et reprit sa contemplation, en replongeant sa main dans l'herbe, non sans s'être instinctivement déplacé d'une vingtaine de centimètres. Mais là encore, il ne parvenait pas à attraper une seule herbe à l'aveugle ! Il se décida à regarder pour en arracher plusieurs d'un coup. Cette fois, il alluma sa lampe torche, prit vivement une poignée d'herbe entre ses doigts et les vit littéralement onduler pour s'extirper de la pince formée de son index et de son pouce, et venir se coucher sous sa main. S'il ne les avait senties glisser, il aurait cru à un mirage. Fasciné, il réessaya. Elles renouvelèrent leur manège, mais cette fois, elles s'appliquèrent à le couper au passage. Il cria. Aïeee ! Furieux, il sortit le petit couteau suisse qu'il avait eu à son anniversaire, et appliqua directement la lame sur l'herbe, comme sur un steak de verdure. Il se retrouva triomphant, des brins coupés à la main, d'autres lui parsemant les mollets, encore à moitié immergés dans la pelouse. Mathias s'était imprudemment mis à genoux pour œuvrer. Les herbes en profitèrent pour attaquer. Elles le lardèrent de coupures et de piqûres, toutes plus intenses les unes que les autres, au fur et à mesure de l'inflammation générée par les précédentes et de la peur qui se frayait un chemin, dans l'esprit du méchant petit garçon.
- Mais il est pas méchant ! Il travaille bien à l'école !
- Si, il est méchant avec l'herbe, je suis désolé ! Et il embête le jardinier. C'est un méchant garçon. Tout est question de point de vue ! Ha !
- N'importe quoi, papy !
- Bon, je peux continuer ?
- Ouiii !
- Sa douleur devint si intense, qu'elle lui permit de sortir de sa terreur paralysante. Il s'enfuit à toutes jambes en hurlant. C'est alors qu'il traversa le champ généré par la clôture. Un éclair jaillit et le propulsa dans les airs. On avait attrapé le prédateur. Il s'écroula, inanimé, projeté contre la porte d'entrée. Livraison à domicile !

«BRAOUM !»

- Papy ? Qu'est-ce que c'était, ça ?
- Je sais pas. Un bruit, dehors. On aurait dit qu'on frappait à la porte, non ?
- Personne vient jamais, depuis que mamie est plus là...
- J'vais voir. Reste là.

...

- Lili, tu d'vineras jamais c'que c'est ! Bon sang, c'est dingue ! Y'a un gamin, là ! Il s'est évanoui avant de sonner ! L'a pas l'air en forme, me dit pas qu'i' s'appelle Mathias ! ... I' dit qu'i' t'connait ! Lili ! Bah, viens m'aider, Liliiii !

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