Chapitre XXVII : L'éveil d'une tenace rancune, Partie 4

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  Nous venions de retourner à l'auberge, je n'avais pas pris de le temps de saluer le tavernier et m'étais directement précipitée dans la salle embrumée par la vapeur de l'eau chaude, afin de me laver de la crasse accumulée durant les précédents jours de marche, ainsi que la sueur qui avait tâché ma peau, et de ce que je percevais comme une terrible humiliation. Je commençais même à me demander si cette Teïnelyore ne s'était pas payée ma tête après notre affrontement. Pourtant ses pensées étaient si lucides, si franches, totalement dépourvues d'un quelconque jugement à mon égard. Pendant un bref instant, je me demandais si je n'étais pas en train de devenir paranoïaque.

 Je laissais cette pensée s'évanouir en moi, ôtais mes vêtements et m'enfonçais dans une immense cuve chaude. Je ne risquais pas d'être dérangée, l'établissement ne se remplissait qu'aux premières lueurs du crépuscule, et nous étions au beau milieu de l'après-midi. Je fermais les yeux et essayais d'oublier les peines qui m'avaient conduite à fuir l'homme que je croyais être celui de ma vie. Comme quoi, même moi je pouvais me tromper, bien que sa réaction m'ait clairement dégoûtée.

 La porte de la pièce s'ouvrait. Quelqu'un entrait. Par réflèxe, je me glissais à l'opposé de la baignoire de pierre afin de pouvoir rapidement voir de qui pouvait-il s'agir. Je constatais que c'était la duelliste qui venait de pénétrer mon sanctuaire de vapeur. Elle déposait une tunique pliée près de la mienne froissée et roulée sur elle-même, et enfin se décidait à jeter un coup d'œil dans ma direction. Elle me faisait un geste de la main, puis sans hésiter, se dénuder à son tour.

 Son comportement me glaçait le sang : comment pouvait-elle ainsi se dévêtir sans retenue ni pudeur ? Pire, elle s'avançait dans ma direction. J'immergeais mon visage dans l'eau jusqu'au niveau de ma bouche. J'espérais qu'elle finisse par changer de cap, mais non. Elle se rapprochait jusqu'à arriver au bord du réceptacle creusé à même le sol. Ma vue s'arrêtait sur son entre-jambe, dont les poils étaient de la même couleur que sa chevelure, mes yeux glissaient sur son corps au gré de ses muscles finement dessinés et des tatouages qui ornaient sa peau mate. Mon regard englobait sa poitrine et finalement se stoppait sur un bijou vert qu'elle portait autour du cou. Mes iris blancs se confrontaient aux siens, j'avais l'impression de plonger tête la première dans une mer remplie de rubis volcaniques.

 Elle, pendant ce temps, était restait immobile, elle me laissait la scruter dans ses moindres détails, sans broncher ni chercher à se couvrir de ses bras afin de cacher ses formes ou son intimité. Alors que penses-tu de moi ? J'espère que je te plais. Ce n'est que lorsque j'avais entamé ma chute dans ses yeux qu'elle se décida à entrer dans mon refuge aqueux.

 " Je n'avais jamais vu quelqu'un tenir aussi longtemps contre moi en duel. Se décidait-elle à me confesser après avoir barbotté quelques instants dans le silence. Pourtant j'en ai vus, des gaillards qui se croyaient invincibles. Tu dois avoir un sacré entraînement, non ?

- Pas vraiment non, disons que... Je ne savais pas si je pouvais lui révéler la nature de mon arme et les pouvoirs qu'elle me conférait. J'ai de bons réflèxes, et j'ai un peu travaillé le fer... Enfin, c'était une phase de ma vie.
- Hé bien... Tu te débrouilles drôlement bien pour une néophyte du combat. Tu m'as surprise quand tu m'as soufflée hors de toi. J'ai senti une onde de puissance que je n'avais encore jamais ressentie. Puis ces marques noires qui te recouvraient le corps, c'était du plus bel effet. S'échauffait-elle l'esprit, en me scrutant délicieusement.

- Tu dis ça, mais je n'ai rien pu faire contre toi. J'étais obligée de reconnaître sa maîtrise. J'étais complètement impuissante, dès que je t'ai fait... Enfin, tu sais ?

- Dès que mon sang a commencé à couler ?

- Oui... Je n'avais jamais vu ça. Pourtant j'en ai vu des paysages se succéder et des personnes différentes.

- Tu voyages beaucoup ? La chance.

- Oui, enfin, je me suis déplacée un peu partout, sauf dans le Sud. Enfin, j'ai beau avoir vu un peu de tout : la misère de ce monde, la tyrannie de certains ; Je n'avais par contre jamais vu quelqu'un se servir de son sang... De cette manière.

- Il y a bien d'autres personnes qui doivent en être capable ! Je ne peux pas être la seule ! Dur à savoir n'étant jamais partie d'ici. Après, je te rassure, je ne connaissais personne avant de te voir, qui se teintait de la couleur de la lame qu'il brandissait !

- Sauf que ce n'est pas moi qui suis unique, c'est mon espadon.

- Pourtant, tu es bien la seule à le manier, non ? Donc quelque part, tu es unique ! Il faut avoir confiance en soi, c'est primordial.

- Peut-être, mais j'ai encore beaucoup à apprendre. Puis... Ta façon de combattre est déroutante. Sabre, hallebarde, épée double... Y a-t-il d'autres armes dont tu maîtrises l'utilisation ?

- Hmmmm. Absolument toutes, mais ça je vais le garder pour moi... Pensait-elle, sûre de ses moyens. Disons que l'on m'a contrainte à me battre très jeune. Pour survivre, pour être utile. Pour que l'on puisse justifier de me garder en vie.

- Tu n'as pas eu une enfance facile ? Je restais calme, impassible devant sa modestie, pourtant presque irritante.

- Oui et non. Ce n'est pas le pire que j'ai eu à supporter. J'ai perdu... Celle que j'aimais... J'ai tout perdu à mes treize cycles. Mes convictions, ma joie, ma routine. De bandit à Vice-Commandante, il y en a eu du chemin entre temps... Je suis passée de l'ombre à la lumière, au prix du plus gros sacrifice que je pouvais offrir.

- Tu as été une hors-la-loi ? Je m'interrompais, me rendant compte que je venais de faire une erreur.

- Comment tu sais ?

- Et bien. Il fallait que je me rattrape. C'est quand tu as dit "De l'ombre à la lumière", j'ai supposé que c'était de ça qu'il s'agissait.

- Ah... Tu as bien deviné. Après, je ne l'avais pas spécialement choisi. Je suis née à l'Orphelinat, et là-bas, toute âme qui y vivait se devait d'honorer les souhaits - de cet ignoble porc - du boss. Larcins, pillages, enlèvements... Et j'en passe. Elle se regardait les mains. Mais tout ça, c'est le passé. Peu après la mort du chef, dont je suis responsable, j'ai intégré les rangs de la Garde de Bourg-en-Or, quelques temps après, je devenais haute gradée. Tout a été très vite, mais sans ça, je pense que j'aurais sombré. Je n'arrivais pas à surmonter mon deuil.

- De ton supérieur ?

- Ah ça, non. Je n'aurais pas pleuré sa mort. Non.

- Et tu comptes rester ici toute ta vie ?
- Non, je comptais partir à l'aventure, j'attendais un prétexte plutôt. Je pense que je l'ai trouvé.

- Comment ça ?"

 La porte de la pièce des bains s'ouvrait une nouvelle fois, la femme-féline rentrait à son tour. Aussi rapidement que Teïnelyore auparavant, elle se déshabillait et nous rejoignait, un peu pataude, elle enjambait le rebord de la cuve en pierre et s'immergeait complètement. Elle refaisait surface, le regard grisé.

 " Tu en fais une tête. Lui demandait la Vice-Commandante. Pourtant te voilà tirée d'affaire. Qu'est-ce qui ne va pas ?

- Merci de m'avoir sauvée... Balbutiait-elle, tout en remuant ses mains dans l'eau. Je ne me souviens plus de grand chose, j'étais à bout. Je me rappelle avoir atteint les abords de la cité, te voir sauter des remparts. Je pensais avoir amené la mort droit sur la ville.

- Allons, je n'allais pas laisser ce Dragon massacrer les habitants sans rien faire. Quand j'ai vu ta tête, et la panique qui t'habitait, j'ai compris que tu étais pourchassée. Tu pourrais m'expliquer d'ailleurs ?

- C'est une catastrophe. Ils sont tous morts par ma faute... Tu as souvenir de la première fois où nous nous sommes rencontrées ?

- Quand tu étais avec ton groupe de chasseurs ? Que sont-ils devenus ? Ils ont fui ? Les lâches.

- Non... Si seulement, ils avaient fui, je ne méritais pas de survivre. Se renfrognait-elle, en se lamentant.

- Vous chassiez un Dragon ? M'étonnais-je, d'apprendre que certains avaient pour objectif de terrasser ces créatures toutes-puissantes. C'est un peu suicidaire comme mission, non ?

- Eux avaient l'habitude, ils n'étaient pas à leur coup d'essai, mais je ne comprends pas... Tout s'est si mal passé. Nous avions l'avantage, puis... Ils se sont tous faits tuer tour à tour. J'ai dû m'enfuir, je ne voulais pas mourir, pourtant...

- Cela n'aurait servi à rien que tu meurs. Philosophait la femme aux cheveux mauves.

- Oui, mais si tu n'avais pas été là...

- La question ne se pose pas, j'étais là. Heureusement, sinon Bourg-en-Or aurait flambé.

- Quand je pense qu'à cinq, nous n'avons pas pu en venir à bout, et que toi toute seule tu l'as occis. Je suis stupide d'avoir pensé tirer une quelconque gloire d'une chasse aussi insensée. Soufflait-elle.

- Au moins, tu sais désormais qu'on ne peut pas forcément compter sur les autres. Même s'ils paraissent confiants. Lançais-je.

- Pourquoi dis-tu ça ? Grognait Teïnelyore. Elle a perdu des compagnons de longue date, et toi, tu penses qu'elle a besoin d'entendre ça ? N'importe quoi. Tu aimerais toi perdre quelqu'un qui t'est cher, et que l'on vienne rajouter que cela importe peu ? Que cet individu ne vaut pas la peine de le pleurer ?

- Et bien... Tentais-je de répondre, avant qu'elle ne me coupe.

- Il n'y a pas de "et bien". Quand des personnes nous sont proches, leur perte ne peut que nous nuire, ou alors c'est que tu ne comprends rien à l'amour. Je te plains si c'est le cas. Cela veut dire que si plusieurs personnes t'ont déjà accordé leur soutien, ou t'ont témoigné leurs sentiments, tu as été capable de les oublier, ou pire de les critiquer alors qu'elles t'avaient offert ce qui animait leurs âmes ?

- Ce n'est pas si simple, parfois les gens pensent...

- Peu importe ce qu'ils pensent, si les songes sont cachés et demeurent secrets, c'est parce qu'il s'agit de trésors propres à chacun. Cela que l'on décide ou non, de les révéler tels qu'ils sont ou de les modifier. Personne ne peut prétendre juger les autres sans faire preuve de cœur.

- Tu ne sais pas ce que tu dis... Poursuivais-je avant qu'elle ne m'interrompe une fois de plus.

- Si je me trompe, ce n'est pas grave, libre à moi d'être dans l'erreur. J'espère juste ne jamais éprouver de béguin pour une personne comme toi. Et pourtant... Pourtant, tu me plaisais bien, tu étais pourtant différente de moi, mais cela ne m'empêchait pas de m'imaginer nue contre toi. Comme quoi, je me trompais. Elle se levait et allait partir. Allez viens, la femme-chat. Je connais d'autres endroits où tu pourras faire ton deuil sans qu'il ne soit critiqué.

- Euh...

- Mais, Teïnelyore... Essayais-je de l'empêcher de partir en lui attrapant la main. Tu as mal compris.

- Peut-être, et si tel est le cas, je ne pourrais que m'en vouloir. En attendant, je refuse de passer un moindre instant de plus en ta compagnie. Profite de ta nuit Hérylisandre, et poursuis ta route. Si je te croise à nouveau, je pourrais me montrer hostile, je déteste ceux qui ne respectent pas la vie."

 Elle se débarrassait de mon entrave, suivie par l'autre femme, qui elle s'inclinait poliement vers moi, sans ne rien dire, elles se séchaient, se rhabillaient et disparaissaient. Je n'aurais pas pu imaginer que ce déferlement de paroles m'aurait touchée. Cependant, Teïnelyore venait de me faire fondre en larmes, un mélange salé de haine et de tristesse ruisselait sur mes joues. Je ne comprenais pas comment pouvait-elle avoir lu en moi aussi facilement. Elle m'avait clairement défini comme étant un être dépourvu d'amour et de cœur.

 Je refusais d'y croire, et pourtant, quelque part elle avait raison. Je songeais à Urghal, dont les pensées m'avaient faite fuir. Je barbottais quelques minutes de plus, puis quittais mon bain, ma faim avait été coupée par les mots tranchants de mon adversaire. Elle ne pouvait pas comprendre ce fardeau qui était le mien. Je fonçais dans la chambre qui m'avait été préparée, je récupérais et jetais mon espadon sur le lit, m'y affalais à mon tour. Serrais la lame contre moi.

" Tu me comprends toi au moins.

- Oui, et je serai toujours là pour toi. N'écoute pas ces ignorants, tu seras bientôt tellement puissante que tous seront obligés de te respecter. Endors-toi Hérylisandre, demain, nous partirons en quête de ton pouvoir.

- Merci d'être là..."

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