Chapitre XXII : Enfant du tourment, Partie 1

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 Voilà vingt-cinq cycles que ma vie a débuté sur cet Univers ; je suis unique, exceptionnelle... Mais seule. Je ne me plains pas d'être confrontée à cette fatalité, néanmoins, je ne peux que la constater. Cette pensée n'est pas celle d'un érudit, j'en suis consciente ; cependant, je n'ai jamais baissé les ailes lorsqu'il s'agissait de rechercher une explication rationnelle à ma venue sur Mithreïlid. Pourtant, nombreux sont les jours où, me perdant au gré des lignes traçant l'histoire du Continent, j'ai bien pensé abandonner mon investigation.

 Plus que désespéré, j'étais surtout un cas isolé ; voler n'avait jamais fait partie des attributs de la population Mithreïlidienne, posséder le faciès d'un rapace encore moins. Aurais-je pu hériter d'un quelconque trait "normal" ? Non, bien sûr que non.

 En quête d'une réponse qui aurait pu me satisfaire, j'avais exploré tous les courants d'air, nagé dans les nuages, murmuré à l'oreille de tous les pics. Ce que certains rêveurs mettaient toute une vie à explorer, cela ne m'avait pris qu'une dizaine de cycles à découvrir. Mes yeux s'étaient posés sur chaque paysage qui composaient cette terre de cocagne.

 L'âpre sentiment qui était né avec la remise en question de mon existence n'avait jamais cessé d'être justifié : j'échappais à toutes les règles naturelles qui s'imposaient à toute âme qui naissait sur Mithreïlid. Qu'étais-je censée faire de mes dons ? Comment devais-je les employer ? J'enviais la quiétude de la majeure partie de la population de cet Univers, qui se contentait simplement de vivre, de tomber malade, de lutter contre la mort, puis finalement de s'y abandonner. Pourquoi mon chemin avait-il été décidé pour être différent ?

 J'avais engrangé en mon esprit toutes les connaissances que ce Monde possédait, toutes les portes m'étaient ouvertes, aucun obstacle ne pouvait plus entraver ma progression ; malgré cela, je n'avais pas l'impression qu'il existait une réponse qui me ferait avancer. J'étais effrayée, effrayée de ne jamais être capable de donner une raison d'être à ma vie.

 À ce jour, je ne me considérais pas plus utile qu'une malle, qui se gave de tout ce qu'on lui donne, qui ingère chaque information ; j'étais cet objet conscient de sa propre condition, immuable et scellée. Ce n'était pourtant pas ce que l'infinité de mots que j'avais lue, m'avait enseignée. Peut-être était-ce ça la clef de toutes mes interrogations. J'ai fui et réduit le contact avec les autres Mithreïlidiens au plus que je le pouvais, pas par misanthropie, je ne me serais pas limitée à ça.

 Cependant, les remarques et reproches à mon égard s'étaient faites bien trop nombreuses, tant et si bien que lorsque je ne me rendais pas utile à une population, j'étais tout bonnement considérée comme un monstre. Mais je savais vivre de mes acquis, là n'était pas le problème. J'avais jusque là, toujours estimé les ouvrages comme les plus vieux témoins ou rapporteurs de l'Histoire, mais j'avais omis un "petit" détail. Même le plus poussièreux des atlas, ou le plus usé des tomes, n'était pas aussi vénérable que pouvait l'être, ceux à qui aucun Mithreïlidien n'avait osé s'approcher pour converser. Peut-être, venais-je de découvrir une nouvelle piste afin d'élucider le mystère de mon existence.

 Cette décision n'était pas plus la sage, ni la plus raisonnable parmi toutes celles qui avaient pu germer dans mon esprit, néanmoins, je n'avais plus le choix, et je perdais espoir. J'allais donc interroger un Dragon. Bien qu'ils soient pourchassés, pour des raisons que j'ignore, puisqu'eux-mêmes ne se montrent pas naturellement agressifs envers les humains, il semblerait qu'ils se voient dotés d'intelligence.

 Quand bien même il ne s'agissait pas d'une certitude acquise, je me souvenais clairement avoir lu le carnet de voyage d'un explorateur émérite, dans lequel, il révélait avoir surpris le larcin fort curieux d'une de ces fabuleuses créatures, s'affairant à dévaliser une bibliothèque... Cela prouvait bien que les sauriens étaient instruits et capables de lire. Selon le récit, il s'agissait de l'Un des Quatres Dragons Cardinaux, le tyran aux défenses d'obsidienne, Sernoc'Sed'Semurb. Ils furent ainsi nommés "Cardinaux" car ils résidaient réciproquement : dans le cratère Septentrional du Mont Fendu, au cœur de l'abysse Méridionale de la Balafre de Cristal, dans les entrailles Orientales de la Tourbière des Damnés et, en ce qui concernait celui qui m'intéressait, au sommet Occidental du Pic du Temps.

 La chaîne de montagne en question, bordait et protégeait la région de Draconica, accueillant en ses pores rocheux, nombreux bassins et sources thermales, dans lesquels j'avais déjà fait une halte, afin de profiter de leur chaleur réconfortante, ainsi que des vertus apaisantes et revigorantes de leurs eaux. Même en volant et malgré mes plumes thermorégulatrices, l'atmosphère glaciale de cette cordilière enneigée tous les mois de chaque cycle, m'avait glacé le sang et frigorifié. J'avais, de cette manière, pu profiter de ces havres de paix chauds, lors de mon premier long périple dans les cieux de Mithreïlid.

 À l'heure actuelle, je me trouvais dans la baie paradisiaque de Sable-Étoile, une petite bourgade portuaire, enclavée au sein d'une crique où l'eau paraît être aussi lumineuse et claire qu'une turquoise, aussi bien de jour comme de nuit. La végétation est ici exotique, bien qu'éparse quand on la compare à la flore générale du continent.

 Le sable ne permet qu'à certaines espèces d'arbres ou de fourrés de se développer, outre les palmiers et les cocotiers qui sont tout de même assez répandus près de toutes les zones cotières chaudes du continent, une variété arboricole unique pousse autour de cette anse : l'Épine de Feu. Un vague cousin des palmiers, bien que ce dernier soit recouvert du tronc à la cime de larges et solides feuilles grasses, dont chacune des nervures donnera naissance à un gros fruit rond rouge appelé le Grenliot, célèbre pour ses propriétés réchauffantes et hydratantes.

  Il est par ailleurs utilisé pour concocter l'Eau de Feu, un breuvage alcoolisé très sucré, qui aurait pu réveiller un mort, ou, ingéré en trop grande quantité, la provoquer. Cet arbre a même donné son nom à une fête traditionnelle se déroulant sur plusieurs jours, qui s'appelle Les Épinales, durant laquelle lesdits résineux, s'embrasent littéralement, une fois que tous leurs fruits ont été récoltés ou sont d'eux-mêmes tombés.

 La population locale, vivait paisiblement et ne cherchait pas spécialement à s'équiper de métal. Cela car la zone n'était pas peuplée de créatures hostiles, et car les ressources naturelles, qu'elles soient nourricières ou fonctionnelles, ne nécessitaient pas d'outils forgés pour leur extraction ou leur collecte.

 J'avais choisi de venir m'installer dans cette région de Mithreïlid, car on m'avait toujours bien accueillie, et que le climat exotique me permettait de décompresser après mes longues semaines de vol. Je m'étais bâtie une hutte arboricole, autour d'un des rares feuillus de la baie, j'y conservais le strict minimum, ce qui se résumait pour moi à des livres, deux tenues complètes de rechange, et éventuellement, quelques sabres ou épées que l'on m'avait offerts durant ces douze derniers cycles de voyage.

 Je n'étais pas une résidente permanente de la baie, cependant, ma présence versatile était toujours appréciée, j'apportais aux locaux les nouvelles du reste du Continent, parfois livrais ou délivrais des biens, bref, on ne m'avait jamais demandé plus d'explication concernant mon apparence ou mes abilités.

 Je m'étais donc relativement vite sentie à ma place parmi ces autochtones, et j'étais bien heureuse de pouvoir barbotter dans l'eau limpide lorsque l'envie m'en prenait. Sable-Étoile se trouvait à quelques heures de vol seulement du Pic du Temps, et bien que battre des ailes sur de longues distances pouvait s'avérer être assez barbant, je n'en ressentais désormais plus aucune fatigue physique.

 Les Lunes venaient de s'élever dans la nue nocturne, je remplissais une besace de quelques grenliots afin de les offrir à l'être mythique à qui j'allais partir rendre visite. Je me munissais tout de même de quatre épées, qui par le fruit de la télékinésie flottaient autour de moi. Je quittais ma cabane et comme à chaque fois que je quittais la région, j'effectuais mon habituel rituel de départ.

 Après m'être envolée, je prenais de l'altitude et me laissais tomber en piqué, me redressant seulement lorsque j'approchais de la surface translucide céruléenne de l'anse, vrillant sur moi-même, scindant l'eau après mon passage, sous les regards ébahis des locaux, comprenant ainsi que je ne serais pas là pour quelques temps. J'usais désormais de mes pouvoirs psychiques pour augmenter ma vitesse en vol, et ainsi, je remédiais au manque de courants d'air ascendants qui me permettaient normalement de gagner en altitude, ou d'économiser quelques battements d'ailes.

 Mes progrès étaient sans pareil lorsqu'il s'agissait de me déplacer dans le ciel : quelques cycles plus tôt, un rapace aurait été bien plus rapide que moi, désormais, je n'avais plus aucun égal dans la mer de nuages. Tout mon corps s'était adapté à ce mode unique et merveilleux de déplacement : je voyais beaucoup plus loin, mes ailes s'étaient allongées et mes plumes s'étaient à la fois solidifiées et assouplies ; j'avais gagné en puissance et en mobilité une fois avoir atteint ma pleine vitesse.

 Aussi, ce trajet me parut bien court, tandis qu'enfin, je sentais les ondées glaciales sillonner entre mes plumes et le long de mon bec, la chaîne de montagne se dessinait, plusieurs centaines de mètres en-dessous de moi. D'une position à plat, je me mettais en oblique et amorçais donc une descente rapide. Je voguais désormais entre les épais flocons froids qui tombaient avec une cadence soutenue sur les sommets rocheux. Je devais repérer parmi la pierre, dont la surface enneigée scintillait de l'éclat azur des Lunes, une enclavure suffisamment grande pour qu'un Dragon puisse y rentrer sans encombre.

 Après avoir tourné plusieurs minutes dans l'air frigorifique dans lequel baignait le Pic, je décelais enfin une ouverture, assez bien dissimulée malgré son immensité, au sein d'un canyon nacré. Je pénétrais dans l'antre tiède, après m'être débarrassée de toute la neige qui m'encombrait les plumes.

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